Ingrid Bergman, Le feu sous la glace, par Marine Baron, Les belles lettres (205 pages – 19€). Quand la passion engendre le désir d’écrire.
L’année 2015 célèbre des icônes du cinéma en littérature. Philippe Besson rend hommage à James Dean dans Vivre vite. Marine Baron retrace la vie de celle surnommée « Le feu sous la glace » qui aurait eu cent ans (en août), comme Orson Welles (en mai). Tous deux ont choisi de mettre la photo de leur vedette mythique respective en couverture. Ce qui frappe ce sont leurs visages qui captaient la lumière et perçaient l’écran. Le « visage incontestablement lumineux » d’Ingrid Bergman convoque, à son tour, le lecteur. On note son « air angélique », « sa grâce remarquable », « ses cheveux blonds », sa beauté troublante et son sourire rayonnant.
De l’enfance d’Ingrid Bergman on retiendra qu’elle fut entachée par le deuil.
Comment se construire sans l’affection d’une mère ? Cette absence de la mère va décupler sa complicité avec son père qui l’idolâtre. De lui, elle a hérité de sa ténacité.
Ses tantes prennent le relais quand le père part en tournée, puis à sa disparition.
Être orpheline si jeune, cela a, nul doute, forgé sa personnalité.
Ce vide va resurgir quand Ingrid Bergman donnera naissance à son premier enfant.
On suit sa vie amoureuse, quelque peu complexe, d’autant que les hommes tombaient vite amoureux d’elle. L’auteur autopsie d’abord le couple formé avec Peter Lindström, souligne cette soumission de la femme. Ingrid Bergman va être confrontée au dilemme : comment concilier vie de famille et carrière internationale ?
Marine Baron déroule l’imposante et éblouissante filmographie de l’actrice, glissant le pitch du scénario, s’attardant sur les films cultes qui ont lancé sa carrière, ainsi que des scènes mémorables comme celle du baiser avec Cary. Malgré son talent, elle va connaître des mois de jachère. Son moral va donc faire le yoyo, en fonction des contrats et passer de l’euphorie à la dépression. De nombreuses sommités, partenaires vont croiser sa route (Hitchcock, Hemingway…) et contribuer à la propulser aux cimaises du 7ème art. Parmi les plus déterminantes, celle avec Roberto Rossellini qu’elle finira par épouser, se retrouvant de nouveau sous la coupe d’un homme, cette fois du « Commandatore ». En filigrane de la crise du couple Roberto & Ingrid, Marine Baron soulève la disparité entre eux qui les éloigne inéluctablement. Comment accepter la réussite de l’autre et sa dépendance financière ? D’être éclipsé par l’autre ? Le divorce est la solution à cette agonie du couple. C’est aux côtés de Lars Schmidt qu’elle poursuit sa carrière jusqu’à l’inévitable séparation en 1973.
Ingrid Bergman aurait pu être surnommée La triomphante, au vu des panégyriques qu’elle a accumulés. Idéalisée par le monde, comment expliquer ce lynchage en 1947 sinon par sa succession de liaisons transgressives qui choquent. Son père n’a-t-il pas été lui aussi « condamné par sa famille, banni pour ses péchés » ? Ne reproduit-elle pas les mêmes écarts de conduite avec Capa, Rossellini ? La voici, comme entamant une chute aux enfers suite à ce scandale, décrié par la presse, source de « tombereaux d’injures ». Le bonheur indicible qui l’habite peut-il la sauver ?
A travers cette biographie, émaillée d’extraits du journal intime, de l’autobiographie d’Ingrid Bergman, Marine Baron nous dévoile les coulisses du milieu cinématographique, avec les exigences des réalisateurs, les incertitudes, les attentes et les doutes pour les acteurs. Un monde implacable où il faut savoir résister.
Par ailleurs la narratrice pointe combien la notoriété peut vous étourdir, « Toute cette gloire lui monte à la tête et lui fait mal » et comment on peut être happé par le tourbillon médiatique, au point de ne plus contrôler son destin, sans compter la meute de paparazzi qui traque le couple Roberto & Ingrid. Marine Baron fait prendre conscience des nombreux paramètres à réunir pour s’assurer du succès d’un film.
Insérées dans le chapitre VII, deux pages de l’album familial immortalisent et résument les moments importants de la vie d’Ingrid Bergman depuis sa naissance, ses films phares et ses retrouvailles avec ses quatre enfants. Une vie tumultueuse, dissolue, erratique, semée d’embûches, de turpitudes, de souffrance, de déceptions, taraudée par la culpabilité à l’encontre de ses enfants et minée par les divorces successifs. Pas facile de voir l’opprobre, la disgrâce s’abattre sur soi. Mais aussi des joies indicibles, ce plébiscite de l’Amérique permet la renaissance de « la magistrale Ingrid Bergman » qui rafla trois Oscars. Une consécration pétrie de reconnaissance.
Le chapitre X fait entendre la voix d’Ingrid Bergman, lorsqu’elle fut présidente du jury au festival de Cannes en 1973, où elle croisa Ingmar Bergman. Elle disait : « Je n’ai pas choisi de jouer, c’est le jeu qui m’a choisie ». Pour elle, dit sa fille Isabella Rossellini « jouer la comédie n’était pas une profession mais une vocation ».
Marine Baron signe un mausolée mémoriel qui ravira les aficionados d’Ingrid Bergman, cette icône intemporelle qui a marqué Hollywood, l’Amérique et le monde.
Elle y a reconstitué les soixante-sept années de son existence, évoquant les quarante-six films, les onze pièces de théâtre et les téléfilms qui la catapultèrent au firmament de la gloire. Elle brosse l’ incandescent portrait d’une femme complexe, paradoxale, battante, amoureuse, polyglotte, à l’aise aussi bien sur scène que devant la caméra, éprise de liberté, dotée d’un charisme et d’un talent qui forcent l’admiration, tout comme sa stupéfiante force de résilience pour ses combats dont celui de la maladie. Ingrid confie : « C’est merveilleux de travailler quand on est malade. Cela vous donne de la force. Marine Baron ressuscite avec brio celle dont le nom demeure un mythe et quand le rideau tombe, c’est avec émotion que l’on referme cet ouvrage.
©Nadine Doyen
« Le feu sous la glace » est une invitation à revoir les films de cette fascinante star.
Une lecture d’actualité idéale en marge du festival de Cannes 2015.
Lire aussi l’entretien avec Marine Baron autour de la biographie d’Ingrid Bergman.