LA COUVERTURE, Marine Baron, Roman d’espionnage, Editions Balland (130 pages – 13€)

Chronique de Nadine Doyen

LA COUVERTURE, Marine Baron, Roman d’espionnage, Editions Balland (130 pages – 13€)

Marine Baron met en scène Hippolyte Ploemeur, 31 ans, membre du Conseil d’État, enseignant aussi à Sciences Po. Elle brosse de lui un portrait physique très détaillé. Elle dévoile ses goûts, ses habitudes : aller lire le journal le matin au Nemours, sa propension à se lever tard, à « chérir les soirées » , son besoin d’être accompagné. Avec son talent imparable pour  aborder et séduire une femme, il devait jongler avec ses maîtresses ! Pour lui, « les femmes étaient des distractions… ». Son coeur penche pour Bérénice, cette jeune étudiante en droit qu’il a séduite par sa maladresse ! Laissons découvrir laquelle.

Tout aussi gauche envers lui-même, quand il renverse du café sur les documents à étudier ! Occasion pour dénoncer le jargon administratif ponctué de « la formule récurrente considérant que », tous ces termes abscons de la langue du droit.

Il est certes bardé de diplômes, passé par l’ENA, féru de lectures mais l’autoportrait qu’il se plaît à dresser auprès des femmes est peu complaisant.

Mérite-t-il Bérénice qui, lui offre « son temps, sa confiance et son attention » ? 

Hippolyte fréquente les bars à la mode, de grands restaurants, accepte les invitations à des cocktails, lieu idéal pour son marivaudage. Au club l’Aventure il fait la connaissance de Christiano Tamyres, homme d’affaires aux activités fumeuses, qui lui présente son ex, Wendy Malone. Celle-ci lui ayant remis sa carte de visite, il prend contact et la retrouve au Grand Véfour, lieu mythique où, jadis, des sommités (Victor Hugo…) venaient aussi déjeuner. Un endroit somptueux, intimidant, aux « innombrables peintures, au plafond chargé de dorures… ».

Sa relation avec cette Américaine, « femme finissante » est des plus complexes et ambiguës. Serait-elle une cougar ? Que penser des cadeaux de luxe qu’elle lui remet ?

Le mystère plane sur le travail qu’elle lui a confié. Leur ultime rencontre, cette fois chez elle, « une demeure capharnaüm » est chargée d’émotion.

On s’interroge aussi sur les rencontres d’Hippolyte avec un inconnu qui laisse des messages sur son répondeur,  lui fixe des rendez-vous. Au coeur de sa  mission : les futures négociations des accords commerciaux du GATT afin de ne pas se laisser « avaler par l’empire hollywoodien et de conserver son exception culturelle ». Action située en 1992-1993, inspirée de faits réels.

S’il est paresseux, il est néanmoins ambitieux. Ne rêve-t-il pas d’un poste de prestige, tant il est fasciné par le pouvoir ? Quand il est nommé conseiller du Premier Ministre à Matignon, il est ébloui par le décor « irréel, lieu étrange, exigu et luxueux ».

Tout bascule quand il se trouve convoqué à la DST, le suspense naît. Serait-il un espion, un traître ? Une enquête est diligentée, il insiste pour être entendu. Que lui reproche-t-on donc ? Ce qu’il ignore c’est qu’il a été pris en filature… Comment s’en sortira-t-il ? C’est dans l’épilogue que tout s’éclaire, que l’on comprend pourquoi il fut la personne idéale pour devenir « an American breakfast », « un gros poisson » ! «  Sa vie a connu son lot de frissons » !

Gros plan sur la presse pas en reste pour relayer les scandales dont l’affaire des agents de la CIA (du Figaro au Canard enchaîné), pointant « les formules vagues des journalistes pour désigner leurs sources ». Rebondissements qui tiennent en haleine !

Ce qui frappe dans ce roman, ce sont les comparaisons percutantes, certaines gourmandes :« la façade qui en plein soleil a une douceur de mie de brioche, de gâteau de semoule, de cannelé bordelais », d’autres poétiques : « tenant la tasse qui  tremblait comme un pétale de primevère au vent du matin »,fleuries : « les fauteuils rouge vif ressemblaient à des coquelicots criards », ou encore suggestives : « Il fixait le téléphone noir comme s’il ce fût agi d’un serpent sur le point d’attaquer. » Et même empreinte de grâce avec ce couple « glissant sur les pavés comme des cygnes sur un lac » !

En filigrane, on devine l’écrivaine qui a des attaches en Bretagne et choisit comme patronyme pour son personnage principal le nom d’une ville bretonne : Ploemeur.

On peut subodorer que la  pléthore de livres cités font partie de sa bibliothèque, et qu’elle fréquente la librairie Delamain, lieu de référence pour beaucoup d’auteurs.

On devine son parcours par sa connaissance des grandes écoles et concours : « ceux qui réussissaient étaient ceux qui travaillaient sans en faire étalage. »

Autre intérêt commun avec son protagoniste : l’art. Cette statue en bronze de Rodin, « Fugit Amor », décrite avec précision  prend un sens métaphorique. Ne symbolise- t-elle pas une chute ? L’auteure évoque aussi les tableaux de Boucher, Matisse, Ingres : « Les rideaux d’un bleu cyan qui  ressemblait à celui de l’étoffe tombant aux côtés de La Grande Odalisque d’Ingres. »

La romancière pratique le zeugma : « Il engloutit les assiettes et la conversation », figure de style dont Jérôme Garcin est friand. Elle s’avère être un nez, distillant des odeurs variées, enivrantes, celles des parfums de femmes qui obsèdent ce séducteur invétéré : « de pain d’épices, de sous-bois, d’oeillets fraîchement cueillis, oriental », « de bergamote poivrée », « odeur de guimauve » d’une eau de toilette, mais aussi parfum d’homme, auxquels se mêle « l’odeur agréable de cire d’abeille du parquet ».

Bien différent du «  parfum de soufre des espions » perçu par Hippolyte !

On retrouve dans ce roman le talent de portraitiste que Marine Baron avait déjà dévoilé dans ses livres précédents, à savoir sa biographie d’Ingrid Bergman Le feu sous la glace et son autobiographie Lieutenante, être femme dans l’armée française.

Les tenues vestimentaires, les bijoux portés sont détaillés avec minutie et c’est aussi avec une extrême précision qu’elle décrit les lieux où évoluent, vivent, se rencontrent ses personnages.

« La demeure de Wendy était un capharnaüm, une caverne d’Ali Baba. Tout était dépareillé ».

Connue pour ses chroniques, articles, reportages pour divers journaux, ses essais, Marine Baron signe un premier roman prometteur qui nous immerge dans les coulisses, les secrets et les arcanes de la politique et de l’espionnage, par le prisme d’un trentenaire ambitieux, agent double romanesque, à la vie amoureuse chaotique, aspirant aux sphères du pouvoir.

Anagramme de Perry-Salkow sur le titre La Couverture : Voleur, acteur, dans LIRE Le Magazine littéraire. Octobre 2020.

©Nadine Doyen

Entretien de Nadine Doyen avec Marine Baron à propos de sa biographie d’Ingrid Bergman : Le feu sous la glace, Les belles lettres.

Marine Baron

Marine Baron

Entretien de Nadine Doyen avec Marine Baron à propos de sa biographie d’Ingrid Bergman : Le feu sous la glace, Les belles lettres.

Quel a été le déclic qui vous a conduite à publier cette biographie ?

Je suis intriguée par cette actrice depuis mon enfance. Je ne l’ai pas adorée tout de suite. Au contraire, de prime abord, elle me paraissait inquiétante et glaciale. Mais elle me fascinait, je la trouvais mystérieuse, étrange et belle à la fois. J’ai lu son autobiographie à dix-sept ans, et j’ai été bouleversée par sa vie. Il y a trois ans, je me suis souvenue que le centenaire de sa naissance serait en 2015, et je me suis dit que je pourrais projeter d’écrire son histoire avec mes mots à moi. Je voulais en faire quelque chose d’accessible, de fluide, de romanesque. Je ne sais pas si j’y suis parvenue, mais c’était là mon ambition.

Avez-vous écumé tout ce qui a été déjà écrit sur cette icône ou seulement les ouvrages que vous mentionnez ?

J’ai lu tout ce que j’ai trouvé sur Ingrid Bergman, en français et en anglais. Des biographies, des romans, des articles de presse, des interviews télévisées, et bien sûr des films. Mais je ne cite pas tout, je ne voulais pas encombrer mon texte de monceaux d’annotations. Et je n’ai pas l’étoffe méticuleuse d’un rat de bibliothèque. Je ne voulais pas écrire une immense biographie à l’américaine, j’en aurais été sans doute incapable, même si j’apprécie par ailleurs ce genre de lecture. J’ai bien sûr annoté toutes mes citations, et les plus parlantes sont celles d’Ingrid Bergman elle-même, le plus souvent puisées dans son autobiographie. Cette dernière a été ma source principale, mais je ne m’y suis pas cantonnée, parce que certains sujets y sont occultés.

Quel est le premier film dans lequel vous avez découvert Ingrid Bergman?

C’était Les Amants du Capricorne, d’Alfred Hitchcock. Je devais avoir six ans. C’était la nuit, j’étais censée dormir mais j’avais pris l’habitude de me faufiler en cachette dans le salon lorsque mes parents regardaient la télévision. La peur d’être découverte décuplait mon attention. Je me souviens encore de la première scène de l’arrivée d’Ingrid Bergman, pieds nus, à moitié ivre, dans une salle à manger pleine de notables en smoking. L’atmosphère de gêne sensible parmi les convives, la désinhibition apparente du personnage féminin qui cachait une souffrance et une honte persistantes, cette impression d’exposition cauchemardesque, tout cela m’avait touchée d’une façon étrange, sans que je puisse me l’expliquer. Depuis, j’ai revu le film. Le personnage d’Ingrid Bergman, Lady Henriette, est une intruse qui ne trouve pas sa place, dont le comportement n’est pas compris, pas accepté. C’est peut-être cet aspect-là qui m’avait bouleversée.

Quels films vous ont le plus marquée ?

Outre Les Amants du Capricorne, le film qui m’a le plus frappée est Hantise de George Cukor, qui date de 1944. Plus de soixante ans après sa sortie, il n’a pas pris une ride. Je trouve son suspense haletant, ses plans magnifiques, ses acteurs excellents. Charles Boyer y est irrésistible en crapule odieuse et machiavélique. Ingrid Bergman, elle, est sublime, énigmatique, prodigieuse. La dernière scène entre le mari et la femme est d’une immense intensité dramatique. J’ai aussi adoré le légendaire Crime de l’Orient Express de 1973. J’ai toujours eu un faible pour les films policiers. Je trouve Ingrid Bergman hilarante dans son rôle de missionnaire suédoise angoissée, craintive, un peu nunuche. Sa prestation est un monument. Je ne me lasse jamais de revoir ce film, c’est un plaisir du début à la fin.

Certains auteurs, comme David Foenkinos pour Charlotte, sont allés sur les lieux où leur héroïne a vécu. Cinq villes ont compté pour Ingrid Bergman : Stockholm, Rome, Paris, Londres, New York. Avez-vous éprouvé le besoin d’une telle quête ?

J’étais déjà allée à New York, à Londres, à Rome, et je vis à Paris. Mais, lorsque j’ai commencé d’écrire mon livre, je suis immédiatement allée visiter Stockholm que je ne connaissais pas. J’ai vu la maison où Ingrid Bergman est née, le jour même de son anniversaire, j’ai visité le Dramaten où elle a étudié, j’ai arpenté les parcs où elle avait dû aller se promener. Je voulais voir d’où elle venait, même si sa ville n’a pu que changer radicalement en un siècle. Je voulais décrire avec justesse les lieux de son enfance, du moins son atmosphère. En Suède, ce qui m’a plu a été la sérénité des habitants, leur politesse, leur respect, cet air de détachement qui donne une impression de rigueur mais aussi d’indépendance et d’amour absolu de la liberté. J’ai aussi été envahie par la pureté de l’air de la ville, son espace, et surtout la couleur du ciel, d’un bleu très foncé, qui m’a fait penser à un décor, une toile tendue sur une scène de théâtre… Mais il faut dire que l’image d’Ingrid Bergman m’accompagnait un peu partout.

Depuis combien d’années vous intéressez- vous à sa carrière ?

Je dirais que je m’y intéresse depuis une dizaine d’années. Mais j’ai réellement commencé mes recherches sur elle, sur sa filmographie complète, ses histoires personnelles et son enfance il y a un peu plus de deux ans.

Avez-vous eu un contact avec des membres de sa famille, qui vous auraient donné accès à des documents privés ?

Non. Aujourd’hui, les membres de la famille proche d’Ingrid Bergman qui sont encore en vie sont ses enfants. Ses amis ont presque tous disparu. Les hommes qu’elle a aimés aussi. Je me suis notamment intéressée à la vie amoureuse de l’actrice, à ses aventures, à toute une part de son existence qu’elle n’a pas dû raconter dans un cadre familial, encore moins dans une relation filiale, même s’il est possible que je me trompe. D’autre part, Isabella Rossellini a sorti un livre en hommage à sa mère en 2013, je pense qu’elle y a mis là ce qu’elle souhaitait y mettre, qu’elle a livré elle-même ce qu’elle a choisi de donner au public. En outre, un certain nombre de biographies ont déjà été écrites sur Ingrid Bergman : je ne me voyais pas, moi, aller demander à ses enfants l’exclusivité d’une information. J’avais peur, aussi, d’être rejetée, de ne pas me sentir légitime, de paraître indiscrète ou opportuniste. Je suis allée voir Isabella Rossellini au théâtre l’année dernière, lorsqu’elle faisait son spectacle désopilant sur la reproduction des animaux. A la fin de la représentation, elle a parlé de sa mère avec tendresse, mais en évoquant aussi le poids que représente l’héritage d’une telle icône. Alors je n’ai pas osé l’attendre à la sortie de sa loge pour lui dire que j’écrivais sur Ingrid Bergman. Je me suis dit aussi que je n’aimerais peut-être pas qu’on écrive la vie de quelqu’un que j’ai connu, aimé, en projetant forcément des choses étrangères sur son existence et en essayant de m’y associer. J’ai donc décidé d’écrire ce livre seule, dans mon coin, à la fois pour me sentir libre et par pure timidité.

Les lecteurs ont parfois tendance à traquer l’auteur en creux dans son roman.

Pensez-vous que vous avez des points communs avec Ingrid Bergman ?

Liberté, audace, modernité sont trois valeurs qui la caractérisaient. Les partagez-vous ?

Je ne suis ni actrice, ni célèbre, ni surdouée, ni enfant unique, ni orpheline, ni suédoise, ni blonde, ni polyglotte. Objectivement, je n’ai pas beaucoup de points communs avec mon héroïne. Cela ne m’empêche pas d’admirer les valeurs qu’elle porte. Elle est en effet affranchie, courageuse et avant-gardiste. C’est peut-être un peu la femme qu’on rêverait d’être. Pour en revenir à la problématique du lien entre le biographe et son sujet, je pense qu’il est impossible de tenter de décrire les sentiments de quelqu’un sans les penser à partir des siens, et de raconter une vie sans puiser inconsciemment dans sa propre expérience. Comme Ingrid Bergman et comme la plupart des femmes, il m’est arrivé d’être critiquée parce que j’assumais mes ambitions, de devoir choisir entre deux hommes, de dissimuler mes désirs de peur d’être mal vue, de m’inquiéter terriblement pour mon enfant en ayant le sentiment coupable d’être une mauvaise mère, de ressentir, en bien ou en mal, l’importance attachée à mon apparence dans le jugement des autres, de faire l’objet d’injures sexistes, de me dire parfois que ma vie aurait été plus facile si j’avais été un homme. Mais, à quelques détails près, je crois franchement que la comparaison s’arrête là.

J’ai noté qu’elle avait claqué la porte du Dramaten, « l’école du Théâtre royal de Stockholm », ayant pris la «  décision courageuse » de démissionner. N’avez-vous pas, vous -même, été amenée, dans votre propre parcours, à adopter la même démarche ?

Quitter ce grand conservatoire de théâtre, contre l’avis de son directeur, était un pari très risqué de la part de l’actrice. Mais elle a assumé son désir de se consacrer au cinéma, et l’histoire lui a donné raison. J’ai moi-même claqué beaucoup de portes, professionnelles et personnelles. A vingt-deux ans, j’ai abandonné mes études de lettres et de sciences politiques, parce que je ne tenais pas sur ma chaise, pour m’engager dans l’Armée. Deux ans plus tard, j’ai quitté l’Armée parce que je ne m’y sentais pas à ma place, pour travailler dans le civil. J’ai souvent sacrifié mes habitudes à ma liberté. Mais moi, j’ai beaucoup bifurqué. Le courage de partir, c’est parfois la peur de rester. Ingrid Bergman, elle, a toujours voulu être actrice, et elle l’est demeurée toute sa vie. Son choix est celui qui me ressemble le moins et que j’admire le plus : au cœur même de ses changements de styles, de pays, de maris, de films, de réalisateurs, elle est restée fidèle à une profession unique, et elle a osé se donner les moyens d’y exceller.

Le 68 ème festival de Cannes a fait de cette star hollywoodienne son égérie.

Que pensez-vous de l’affiche ? Convoque-t-elle un film pour les cinéphiles ?

J’ai chez moi une certaine collection de photos d’Ingrid Bergman. Mais je n’ai pas retrouvé cette photo-là dans mes livres. Je la situerais dans les années 50, entre 1951 et 1954, c’est-à-dire durant la « période Rossellini », même si je peux bien sûr faire erreur. Il est possible que ce cliché soit postérieur à son mariage avec Lars Schmidt. Honnêtement, je ne peux rien affirmer. J’ai le sentiment qu’il s’agit d’une photo privée mais, en la voyant, à cause de la coupe de cheveux d’Ingrid Bergman, j’ai tout de suite pensé à Voyage en Italie. Ce film déroutant n’est pas mon préféré mais il est remarquable. Et les conditions de son tournage ont été rocambolesques. George Sanders, le partenaire d’Ingrid, a failli faire une dépression à cause du caractère de son réalisateur, et les dialogues ont pratiquement été écrits à la dernière minute. Mais, pour en revenir à la question de la photo, peut-être connaîtrons-nous la réponse durant le Festival.

Mes vifs remerciements à Marine Baron pour nous faire partager sa passion pour cette figure mythique qui a marqué beaucoup de cinéphiles.

Ingrid Bergman, Le feu sous la glace, par Marine Baron, Les belles lettres (205 pages – 19€). Quand la passion engendre le désir d’écrire.

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Ingrid Bergman, Le feu sous la glace, par Marine Baron, Les belles lettres (205 pages – 19€). Quand la passion engendre le désir d’écrire.

L’année 2015 célèbre des icônes du cinéma en littérature. Philippe Besson rend hommage à James Dean dans Vivre vite. Marine Baron retrace la vie de celle surnommée « Le feu sous la glace » qui aurait eu cent ans (en août), comme Orson Welles (en mai). Tous deux ont choisi de mettre la photo de leur vedette mythique respective en couverture. Ce qui frappe ce sont leurs visages qui captaient la lumière et perçaient l’écran. Le « visage incontestablement lumineux » d’Ingrid Bergman convoque, à son tour, le lecteur. On note son « air angélique », « sa grâce remarquable », « ses cheveux blonds », sa beauté troublante et son sourire rayonnant.

De l’enfance d’Ingrid Bergman on retiendra qu’elle fut entachée par le deuil.

Comment se construire sans l’affection d’une mère ? Cette absence de la mère va décupler sa complicité avec son père qui l’idolâtre. De lui, elle a hérité de sa ténacité.

Ses tantes prennent le relais quand le père part en tournée, puis à sa disparition.

Être orpheline si jeune, cela a, nul doute, forgé sa personnalité.

Ce vide va resurgir quand Ingrid Bergman donnera naissance à son premier enfant.

On suit sa vie amoureuse, quelque peu complexe, d’autant que les hommes tombaient vite amoureux d’elle. L’auteur autopsie d’abord le couple formé avec Peter Lindström, souligne cette soumission de la femme. Ingrid Bergman va être confrontée au dilemme : comment concilier vie de famille et carrière internationale ?

Marine Baron déroule l’imposante et éblouissante filmographie de l’actrice, glissant le pitch du scénario, s’attardant sur les films cultes qui ont lancé sa carrière, ainsi que des scènes mémorables comme celle du baiser avec Cary. Malgré son talent, elle va connaître des mois de jachère. Son moral va donc faire le yoyo, en fonction des contrats et passer de l’euphorie à la dépression. De nombreuses sommités, partenaires vont croiser sa route (Hitchcock, Hemingway…) et contribuer à la propulser aux cimaises du 7ème art. Parmi les plus déterminantes, celle avec Roberto Rossellini qu’elle finira par épouser, se retrouvant de nouveau sous la coupe d’un homme, cette fois du « Commandatore ». En filigrane de la crise du couple Roberto & Ingrid, Marine Baron soulève la disparité entre eux qui les éloigne inéluctablement. Comment accepter la réussite de l’autre et sa dépendance financière ? D’être éclipsé par l’autre ? Le divorce est la solution à cette agonie du couple. C’est aux côtés de Lars Schmidt qu’elle poursuit sa carrière jusqu’à l’inévitable séparation en 1973.

Ingrid Bergman aurait pu être surnommée La triomphante, au vu des panégyriques qu’elle a accumulés. Idéalisée par le monde, comment expliquer ce lynchage en 1947 sinon par sa succession de liaisons transgressives qui choquent. Son père n’a-t-il pas été lui aussi « condamné par sa famille, banni pour ses péchés » ? Ne reproduit-elle pas les mêmes écarts de conduite avec Capa, Rossellini ? La voici, comme entamant une chute aux enfers suite à ce scandale, décrié par la presse, source de « tombereaux d’injures ». Le bonheur indicible qui l’habite peut-il la sauver ?

A travers cette biographie, émaillée d’extraits du journal intime, de l’autobiographie d’Ingrid Bergman, Marine Baron nous dévoile les coulisses du milieu cinématographique, avec les exigences des réalisateurs, les incertitudes, les attentes et les doutes pour les acteurs. Un monde implacable où il faut savoir résister.

Par ailleurs la narratrice pointe combien la notoriété peut vous étourdir, « Toute cette gloire lui monte à la tête et lui fait mal » et comment on peut être happé par le tourbillon médiatique, au point de ne plus contrôler son destin, sans compter la meute de paparazzi qui traque le couple Roberto & Ingrid. Marine Baron fait prendre conscience des nombreux paramètres à réunir pour s’assurer du succès d’un film.

Insérées dans le chapitre VII, deux pages de l’album familial immortalisent et résument les moments importants de la vie d’Ingrid Bergman depuis sa naissance, ses films phares et ses retrouvailles avec ses quatre enfants. Une vie tumultueuse, dissolue, erratique, semée d’embûches, de turpitudes, de souffrance, de déceptions, taraudée par la culpabilité à l’encontre de ses enfants et minée par les divorces successifs. Pas facile de voir l’opprobre, la disgrâce s’abattre sur soi. Mais aussi des joies indicibles, ce plébiscite de l’Amérique permet la renaissance de «  la magistrale Ingrid Bergman » qui rafla trois Oscars. Une consécration pétrie de reconnaissance.

Le chapitre X fait entendre la voix d’Ingrid Bergman, lorsqu’elle fut présidente du jury au festival de Cannes en 1973, où elle croisa Ingmar Bergman. Elle disait : «  Je n’ai pas choisi de jouer, c’est le jeu qui m’a choisie ». Pour elle, dit sa fille Isabella Rossellini « jouer la comédie n’était pas une profession mais une vocation ».

Marine Baron signe un mausolée mémoriel qui ravira les aficionados d’Ingrid Bergman, cette icône intemporelle qui a marqué Hollywood, l’Amérique et le monde.

Elle y a reconstitué les soixante-sept années de son existence, évoquant les quarante-six films, les onze pièces de théâtre et les téléfilms qui la catapultèrent au firmament de la gloire. Elle brosse l’ incandescent portrait d’une femme complexe, paradoxale, battante, amoureuse, polyglotte, à l’aise aussi bien sur scène que devant la caméra, éprise de liberté, dotée d’un charisme et d’un talent qui forcent l’admiration, tout comme sa stupéfiante force de résilience pour ses combats dont celui de la maladie. Ingrid confie : « C’est merveilleux de travailler quand on est malade. Cela vous donne de la force. Marine Baron ressuscite avec brio celle dont le nom demeure un mythe et quand le rideau tombe, c’est avec émotion que l’on referme cet ouvrage.

©Nadine Doyen

«  Le feu sous la glace » est une invitation à revoir les films de cette fascinante star.

Une lecture d’actualité idéale en marge du festival de Cannes 2015.

Lire aussi l’entretien avec Marine Baron autour de la biographie d’Ingrid Bergman.