Blond cendré – Ėric Paradisi – JC Lattès ( 16 € – 249 pages)

RENTREE LITTÉRAIRE SEPTEMBRE 2014

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  • Blond cendréĖric Paradisi – JC Lattès ( 16 € – 249 pages)

La littérature, plus qu’aucun art, est capable d’accueillir en elle les morts. C’est le cas pour le roman d’Éric Paradisi où la vie et la mort se mêlent et « les morts parlent aux vivants ». Un roman douloureux, mais où la reconstruction est la plus forte.

Ėric Paradisi entrelace deux destins, celui du protagoniste central, le grand-père Maurizio et celui de sa petite fille, la narratrice. Le récit balaye la période où sévit la chasse aux juifs dans une Italie dirigée par Mussolini, bientôt envahie par la Wehrmacht, puis nous embarque en Argentine, sous le régime de Perȯn, de la junte.

Le récit s’ouvre sur une silhouette de femme amoureuse, contemplant la neige sur son balcon, donnant au paysage un air virginal, aussi pur que la parfaite idylle qu’elle file avec « l’homme de sa vie ». Par flashback, elle se remémore les dernières paroles qu’elle lui adressa , une vraie déclaration d’amour. Mais pourquoi cette série d’interrogations au conditionnel? La remarque: « Maintenant, c’est trop tard » frappe de plein fouet le lecteur et suscite sa curiosité. N’en dévoilons pas plus.

Par chapitres alternés, la narratrice déroule sa vie et le parcours, semé d’embûches de son grand-père, juif, coiffeur à Rome, qui tomba amoureux d’Alba. Une femme, à «  la chevelure blond cendré », engagée dans la résistance, qui n’hésite pas à cacher celui qu’elle aime et initie. Combien de temps pourront-ils vivre leur amour ?

Maintes épreuves attendent Maurizio, dont sa déportation à Auschwitz, avant son retour en Italie. On le suit, ensuite, à Buenos Aires où il s’exile et apprend l’espagnol. Son talent de coiffeur coloriste lui ouvre alors les portes du succès. Sa notoriété grandit grâce à son art de nuancer le blond selon la personnalité des clientes, tel un alchimiste. Le magnétisme de Lucia n’est pas passé par le regard mais par sa chevelure qui irradie de toute beauté, par son don de déceler « le caractère d’une personne » au toucher de ses cheveux. Cette rencontre providentielle l’amène à se reconvertir au catholicisme afin de l’épouser.

Quant à la narratrice, elle retrace sa rencontre avec son bien aimé, leur conversation au jardin du Luxembourg, évoque leurs projets d’avenir. Elle se remémore leur premier baiser, leurs retrouvailles sur la péniche, havre de leurs étreintes. Elle revit des instants clés de leur liaison. A nouveau l’ expression « un immense gâchis », qui pétrifie le lecteur, traduit bien la détresse dans laquelle sont plongés la fratrie de la défunte et celui qui l’aime. Ne sont-ils pas taraudés par un sentiment de culpabilité? Ce qui fascine, c’est la justesse avec laquelle elle décrit le séisme qui ébranle celui qui reste à l’annonce du drame. On pense à Joan Didion qui évoque comment on peut passer de la vie ordinaire au cauchemar absolu, en un éclair.

Le récit prend un tournant plus lumineux quand les deux âmes masculines, broyées

par le destin de celles qu’ils ont aimées, sont amenées à rebondir en prenant un autre départ dans la vie. La narratrice, Flor, souligne la force de résilience de son grand-père, qui a su prendre de la distance avec son passé et « aller de l’avant », comme Algisa, sa logeuse, le lui intima. Rester enfermé dans ses souvenirs serait mortifère.

Comme le confie Philippe Besson dans son roman La maison atlantique: « Le plus difficile est d’apprendre à vivre avec ses disparus. Mais quand on a appris, alors on est imbattable ». C’est ce soutien que Flor veut apporter à celui qu’elle laisse fracassé, dévasté et qu’elle exhorte à faire « comme si tout allait bien », à vivre, lui prodiguant l’énergie d’aller de l’avant. Elle se confie à celui qui l’apaise et multiplie ses injonctions. Ses paroles résonnent: « Fais comme si… », « C’est pas grave si… », ce qui convoque une pensée de Jacqueline de Romilly pour qui « La vie est belle et mérite d’être aimée ». Par la force de la croyance, elle sépare corps et esprit, laissant entendre que l’âme est omniprésente.

L’auteur montre l’importance de certains objets, derniers liens avec l’être aimé parti.

Si les objets n’ont pas d’âme, ils ont une mémoire. En magnifiant leurs souvenirs, ils restent inscrits dans la durée et apportent du baume au coeur.

Pour Maurizio, c’est la paire «  de vrais ciseaux de coiffeur » offerte par Alba, et cette « boucle blonde » sertie dans un médaillon. Pour l’architecte naval, c ‘est la fougère où se cache l’âme de l’absente, l’orchidée blanche et aussi le flacon de parfum. Poignantes, les scènes où il faut trier, récupérer ce que l’on veut garder, comme des reliques. Cela soulève la question de ce qui reste de nos vies, de ce qu’on laisse. Ineffable le moment de l’adieu devant ce corps drapé dans une soie blanche.

Éric Paradisi a recours à un style obsédant à la manière de litanies psalmodiées pour mieux imprimer chez le lecteur la charge écrasante de vivre sans l’autre.

Le verbe « respirer », accentue cette impression de suffocation qui finit par gagner le lecteur, rehaussée par les mots: « noirceur, calcinés, suie, mousse charbonneuse ».

De même, les mots puissants « flammes, cendres, cheminée » qui ponctuent le récit traduisent le traumatisme vécu par les prisonniers devant les scènes insoutenables.

Dans Blond cendré, le temps d’aimer est aussi le temps de la face sombre de l’histoire. A l’instar du peintre Mandelbaum, Flor par ses tableaux ( « des toiles ayant pour thème la dictature ») et la biographie de ses grands parents se fait témoin de moments tragiques de l’histoire contemporaine, de ses soubresauts.

L’art pour traduire l’indicible. La littérature pour dire l’innommable, pour communiquer avec l’au-delà, nous faire naviguer entre deux mondes : du visible à l’invisible, d’ aujourd’hui à hier et pour conjurer la cruauté implacable du destin.

Éric Paradisi signe un cinquième roman bouleversant, émotionnellement intense traversé par des effluves de jasmin, dont l’épilogue est un hymne à la vie.

© Nadine Doyen

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