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Sérénade/André Doms ; postface de Pierre Tréfois ; peintures d’Irène Philips ; Paris : L’herbe qui tremble, 2013.
Dans ce recueil composé de quatre chants (Ur, Frontières, Fétiches, Eloge), Doms s’ouvre aux risques du temps recomposé et travaille à une désaffectation du moi dans le but de faire un avec un monde authentique parce que rendu à ses structures originelles. Glorifiant une vie primitive en harmonie avec les exigences de la nature (une nature gouvernée par ses propres lois et dénuée d’artifices), il se sert des mots du poème pour s’ouvrir à la vie et se prolonger dans tous les sens et à tous les temps…
Ai-je vécu en retard ? Lent à parler, à aimer, même à recenser le voyage. Si j’ai fui mes chances, va savoir, ou failli à ma statue ! Un rythme, temps, contretemps, m’a mûri à sa guise, à son heure le cœur me dicte avec qui m’accomplir. Et je ressens aussitôt que le solstice inverse le sang, m’inonde l’œil de lumière étale. Autre lieu non lieu natal. Insaisissable lisière.
Car pour le poète, être limité, « fini » ne veut pas dire s’interdire toute expansion ; certes, il subsiste des bornes infranchissables mais il y en a qu’il est possible et parfois légitime d’outrepasser (sans engagement existentiel, la liberté n’est rien). Ainsi, faisant l’éloge de tout ce qui passe et sans nom demeure, le poète « décroche » tant avec les vérités universelles qui dictent nos conduites qu’avec tout ce qui saccage la vie. Mieux, il n’hésite pas à fustiger ceux qui s’enferment dans la peur, la haine voire la bêtise de leur réalité seconde et ne se réconcilient jamais avec leur réalité première, avec ce monde qui vit en eux, qui est leur vie même (mais si loin des modes et tapages médiatiques !)…
D’une certaine manière, on peut affirmer qu’André Doms comme Irène Philips, s’emploient ici à vaincre l’image au profit de la richesse du réel ; l’enjeu étant pour eux de permettre aux yeux de toucher aux sens et au sens de la vie ; l’enjeu étant pour eux de donner du volume mental à l’insaisissable vérité de l’être ; l’enjeu étant pour eux de glisser, malgré tout, dans la joie d’une vie où crépite l’impatience d’aimer.
Indissociables, voyeurs et voyageurs, ensemble en l’amour friable des choses, en leurs saveurs. Mais l’œil n’est pas le seul qui secoue, suscite la transhumance, d’alpage en aval d’être. Bonheur à se surprendre, à tâcher moins d’engranger que d’affiner senteurs et cadences. Changer d’angle, un peu, l’ombre de ton visage m’illumine mieux. Je ne voyage ainsi qu’en nos yeux.
©Chronique de Pierre Schroven