Patrick Hellin, Terres levées, poésies, Éditions Traversées, 67 pages, 20€


« Terres levées » pourrait être une allusion comme l’auteur nous le suggère p 29, à la pâte à pain qu’on fait lever avant de la reprendre, de la pétrir à nouveau et de l’enfourner. « Terres levées » matière mole, malléable de laquelle on tire poteries. « Terres levées » paysages qui se révoltent. 

Terres labourées, récoltes terminées, mort de toutes les saisons sauf de l’hiver. Les premiers quatrains en quatre mouvements seraient comme les quatre saisons mais l’on sent qu’à travers les vers de Patrick Hellin, le temps ne passe pas, l’été brille de quelques éclats, le printemps remue à peine l’espoir. L’automne pluvieux et l’hiver s’éternisent.

Seul vers la plaine nue
Les mots n’ont plus d’écorce
C’est un sel froid
D’une sève morte s’élève un chant

L’humeur humaine a ses saisons et je sais combien les champs bruineux, vidés, visités par les cris de quelques volatiles noirs peuvent révéler à l’homme sa solitude, sa finitude, l’absurdité de sa vie. Les terres levées bouchent l’horizon. La dépression cette folie inversée gagne par capillarité l’être entier. Pour s’en sortir, il faut accéder à la lucidité, s’agripper au réel. C’est ce à quoi nous invitent les textes de Patrick Hellin.

Tu observes sa fuite
Son échappée, la route
De tes pas, ton allure
Tu te cramponnes à ses ravins 

C’est un espace affranchi d’ombres et de lumières
Il y brûle des soleils factices
Un noeud de lisières, de rameaux et d’oranges
On y sème les sources qui avalent le ciel

On aura compris que le chemin sera difficile, jalonné d’obstacles qu’on contourne ou affronte avec obstination. 

Les saisons sont étroites
Celle où je vis
En équilibre sur le rétréci
Et l’éveil se vêt de sommeil

À quoi se rattacher?
Écoute le silence des mots
L’écho de l’instant

La poésie, l’écriture a-t-elle un rôle à jouer dans notre quête à être?

Dans tes yeux qui s’affament d’oubli
Le geste du sourcier
Qui cherche le néant
Et ce qui en sa cendre lui survit

À cette « cendre » répond à la page suivante comme en un miroir le mot « pollen »

Ce sont des ombres ailées
Le pollen de demain
Et la poussière des choses

Valerius De Saedeleer- Vóór de lente-olieverf op doek-tussen 1905 en 1941

La poésie de Patrick Hellin fait grand usage des métaphores se rapportant à la nature, aux saisons, à la terre. Les tableaux proposés ressemblent à ceux qui ont bercés mon enfance. Je pense aux paysages hivernaux de Valerius De Saedeleer  ou ceux d’Albert Saverijs. Je regardais les tableaux sans trop comprendre ce qu’ils avaient de sombre et d’éclairant à la fois, ces paysages hivernaux, ces champs d’automne. Plus tard, j’ai compris comment cette grisaille, cette lumière de reflets et d’éclats de miroir caractérisent une position intermédiaire, faite de compromis, jalonnée de quêtes contre l’extrême noirceur. Position d’équilibre. Rien ne semble acquis pour toujours, il faut sans cesse vouloir reconstruire sans pour autant partir de rien.

Albert Saverys (1886-1964)
Paysage hivernal sur la Lys Huile sur toile Signée en bas à gauche H_63 cm L_78 cm

Sur la crête sombre
Figé à la limite
Des ombres et de la lumière
Ce solitaire est nu

L’immobilité tombe du ciel, étreint la terre
Le gel encore a saisi les labours
Un peu de givre accompagne
Leur houle

Dans le ciel mat, l’écho d’un oiseau noir
L’attente et le suspens se couvrent
De nuit. Une vague de terre court vers
Le ciel, ombres et lumières figées

Elle est solitude, monodie du temps
Ce qui parle en costume d’infini
Immobile aussi
Dans les cercles du soir

Où le ciel est un creux que les mots ne peuvent combler

Voilà  le poème que j’ai choisi comme étant le plus représentatif de ce très beau livre des éditions Traversées. En couverture, on admira l’illustration « Le messager » signée Jean Dutour. La mise en page raffinée due à Patrice Breno assure une belle lisibilité à l’ensemble des textes.