Gwen GARNIER-DUGUY, Livre d’or, Couverturede R. Mangú et postface, Bertrand Lacarelle. (Ed. L’Atelier du Grand Tétras 96 pp.)

Une chronique de Xavier Bordes

 Gwen GARNIER-DUGUY, Livre d’or, Couverture de R. Mangú et postface, Bertrand Lacarelle. (Ed. L’Atelier du Grand Tétras 96 pp.)


Si l’on s’amuse à se rappeler que la parole est d’argent et le silence, d’or, on peut considérer qu’un livre de poèmes « traduit du silence » (Joe Bousquet) est une sorte de vermeil, d’alliage solaire ! Et en effet, à travers les élans poétiques de Gwen Garnier-Duguy, il règne une sorte d’enthousiasme pour la poésie, une ardeur, un feu que l’écriture traduit avec force. D’emblée cependant je ne dois pas cacher, d’une part ce que je découvre, à savoir qu’une section du livre m’est amicalement, officiellement dédicacée ; ni d’autre part, ne pas taire que j’avais sollicité antérieurement ce poète, pour son regard remarquable sur la poésie (et notamment tels écrits que j’ai commis), quand il a été question de faire préfacer un mien livre réédité chez Gallimard et qu’il avait accepté ce fardeau. On ne s’étonnera donc guère que je tienne Gwen en estime et qu’ici j’aie plaisir à évoquer son récent recueil. Un recueil assez foisonnant, au demeurant, riche d’idées qui rayonnent en tout sens au point que mon cerveau – autre aveu ! – peine à capter en entier et synthétiser cette heureuse diversité, cet élan d’un temps de la vie où comme disait quelqu’un « la poésie vous étreint follement », ce que le poète résume lui-même comme un « oui à la vie ». 

Dans une certaine mesure, Gwen vient s’inscrire par le ton dans la tradition d’une poésie qui recèle une composante prophétique. C’est renouer avec la valeur de bilan et d’avertissement du poème, valeur qui a été négligée à partir de la fin du XIX ème siècle, sans doute quelque peu à tort, dans la mesure où les intuitions des poètes, comme ces sismographes qu’on installe auprès des volcans, sont souvent d’une sensibilité qui, même inconsciente, laisse pressentir les éruptions, ou au contraire les périodes de calme quasi-assuré. Naturellement les poètes ne sont pas doués d’infaillibilité papale (les papes en sont-ils du reste réellement doués?), cependant ils sont suffisamment à l’écart, quoique proches, de la Cité, pour en ressentir les tressaillements, les vibrations menaçantes, parfois sinistres sous des aspects avenants (comme en notre siècle les médias, l’informatique, les écrans, la puissance technique, etc.) et c’est loyalement que leurs écrits, fût-ce en partie à leur insu, en rendent compte. 

Il s’ensuit en ce cas une forme de véhémence du poème, qui par tous les moyens langagiers, s’efforce de faire aux « frères humains » le tableau des pressentiments du poète concernant ce qui les atttend – à son sens. Les images, les sentences, les observations qui émaillent chaque strophe sont pour la plupart coalisées dans l’ambition d’atteindre cet objectif. On lit une forme de courage à affronter les choses et les événements à travers la langue, marque d’une maturité poétique, celle qui approche le haut de la parabole, le moment où l’on ne se refuse nulle audace, ni sujet, dans le propos. Evidemment le poème y gagne une vigueur, une capacité d’embrassement de la réalité, et il faut le dire aussi parfois, une abstraction où affleure le conceptuel, avec des notions que je dirais « philosophée » comme celle d’Etymon que l’on retrouve à plusieurs reprises. C’est une manière de renouer avec les origines, avec les grands poèmes du passé, lorsque philosophie et poésie étaient une même chose avec les présocratiques, ou encore les poèmes tels que le Roman de la Rose, ou même les traditions précieuses de l’amour de l’époque de la Carte du Tendre. En ce sens Gwen ne se refuse pas la mémoire littéraire, le souvenir des inoubliables légendes de la culture bretonne, ou d’autres d’ailleurs, qui sont comme l’humus formant le substrat implicite de son écriture.

Cependant, tout cela s’équilibre par le concret du quotidien scruté, tantôt à hauteur de pâquerettes, tantôt à hauteur d’étoiles. La grandeur dans l’immense mais aussi dans l’infime préside aux images qui surgissent au détour de moments de prose où les idées abstraites prennent chair à travers quelque immédiate beauté qui en émane. Ainsi les acteurs abstraits, la Femme, Sisyphe, en particulier s’incarnent à la faveurs de notations vivantes, comme intimes, chargées d’une richesse printanière : richesse qui mêle avec nonchalance « le saule, le tournesol et la parole désireuse de parvenir aux hommes. » Larmes et joie recueillies dans les vers du poème, avec le mélange de concrétude et d’abstraction que sauve le naturel et la simplicité de l’énoncé. 

C’est ici qu’il importe également de souligner le rôle de la Nature, et le rapport que le poète entretient avec elle : la Nature chez G. G. Duguy est cela dont la beauté « se risque dans le poème », beauté présente en filigrane qui suscite presque mystiquement, en permanence, le contrepoids d’optimisme et d’espoir dont nombre de passages de poèmes, lourds de constats critiques pessimistes envers la situation des sociétés contemporaines, ont besoin pour en revenir allégés à l’âge d’Éden : cette sorte de futur antérieur qui deviendrait futur rêvé, ou plutôt dans l’idée du poète, rêvable, voire plausible, et qu’annonce par une parole assurée la veine inspirée, originelle, naturelle donc, de chaque page, quel que soit le sujet : comme si la présence même de l’arrière-plan Nature était à la racine de toute confiance en le destin de l’Humanité, quelles que soient les tares particulières des milliards d’individus qui la composent. Si bien qu’il y a chez ce poète une constante vision de la Nature « maternisante » – maternelle et féconde comme la Langue – mais aussi érotisée, une Nature-amante, qui alimente envers et contre tout une vision positive, d’une joie profonde, communicative, quant à notre condition humaine…

Bref, il y aurait d’autres choses à dire sur cette poésie, mais dans la postface du livre Bertrand Lacarelle s’en charge avec minutie. Pour finir ces lignes, je propose d’illustrer mon point de vue par le court poème suivant, plein de lumière et d’espoir, sous la symbolique de Véga, la Parole, la Musique de l’Univers :

                                                              Véga

D’ici j’aperçois la rotonde des continents,

Carte tournante de mers et de terres 

On dirait que l’ensemble du paysage

A forme de visage, comme un relief humanoïde,

Comme une manière de face 

Féminine à trois dimensions, un beau visage aux traits

Dorés par le soleil indocile

Le visage de la Nature se levant

Pour amorcer son retournement Cette femme

Se lève de terre et sourit

Esprit du jaune, du bleu, du rouge, esprit

De la joie primaire des éléments, esprit du sang 

C’est ton attente secrète c’est

Ton espérance informulée courant dans le courant

Vital, rêve cristallisant

La surface des apparences

(La conversation des étoiles III p. 28)

Sur cette vision cosmique, je vous laisse, Lecteur, avec le recueil de Gwen Garnier-Duguy, et la vérité carrée de sa poésie, « quatrième feuille du trèfle de [sa] vie », dit-il si heureusement.

                                                                                            ©Xavier Bordes (23/04/2023)