Une chronique de Nadine Doyen

Fréderic Vitoux de l’Académie française, L’Assiette du chat, Un souvenir, Grasset ( 18€ -172 p), mars 2023.
Frédéric Vitoux, l’auteur du Dictionnaire amoureux des chats, dédie cet opus à la regrettée Zelda. Baptisée Zelda, comme un clin d’oeil à l’épouse de Francis Scott Fitzgerald, apprend-on à l’entrée intitulée : Les chats de ma vie.
Le titre intrigue. Quel mystère entoure cette assiette du chat, « une soucoupe de faïence » avec décor hollandais. ? À qui appartenait-elle ? Pourquoi déclenchait-elle des hostilités parmi sa fratrie au moment de la mise du couvert? Personne ne voulait manger dans cette assiette ! Quelqu’un se dévouait.
L’ académicien brosse le portrait de son père, déjà familier à ceux qui ont lu ses livres. Par exemple dans le Grand Hôtel Nelson il est question des clichés pornographiques du grand-père Vitoux auxquels il est fait allusion dans ce livre.
Il se souvient d’une chatte Fagonette et subodore que sa grand-mère lui aura trouvé un autre toit, sous prétexte de l’asthme de son fils, (père du narrateur). Un père « vieux comme le monde ou incompréhensible comme le monde. » Un homme taciturne qui a caché son enfance, qui a verrouillé ce qui le concernait.
Dans ce livre, le romancier revisite sa propre enfance, évoque celle de son père en alternance . Il convoque également sa mère, sa fratrie et ses grand-parents. Une famille de taiseux, où on ne parlait pas.
Frédéric Vitoux a donc été « élevé dans « un désert de chat » ! Ceux qu’il croisait , c’étaient ceux qui déambulaient le long des quais, dans le quartier de l’île Saint-Louis. Peu de ses amis d’enfance avaient un animal, alors les chiens de ses camarades de classe le fascinaient.
Enfant , c’est surtout par la littérature qu’il a connu les animaux , la nature, la forêt. Il se remémore les jeux en famille à table, autour de Tintin. Il décrypte leur rapport père/fils .
Il évoque son parcours scolaire, (l’aide aux devoirs), les espérances des parents : le voir embrasser une carrière d’officier de marine . Ces attentes deviennent « un fardeau » pour l’adolescent. Toutefois il a bénéficié finalement d’une grande liberté au moment de ses orientations et de ses engagements. Lui dont les opinions étaient à l’opposé de son père, « homme de droite », aux positions conservatrices.
Puis, il retrace sa carrière, ses débuts à la revue Positif avant son entrée à la rédaction du Nouvel Observateur. Il s’interroge sur le silence qui a régné quai d’Anjou et tente de percer les énigmes.
En même temps, il ressuscite la dynastie des chats qu’il a connue , rappelle les circonstances de leur adoption successive. ( Mouchette, Papageno, Zelda) et quelques anecdotes. C’est son épouse Nicole qui lui a transmis cet amour et cette passion pour les félins, au point de vivre en leur compagnie et de leur consacrer des dictionnaires et l’ouvrage Les chats du Louvre. C’est le coeur serré que l’on assiste à la piqûre létale de Zelda, cette chatte que la famille Vitoux avait sauvée un soir de décembre 2008 puis recueillie. Et définitivement adoptée.
L’auteur nous émeut également quand il relate la maladie de son père et les confusions qu’elle provoque.
En lisant les carnets de souvenirs consignés par son paternel, l’auteur n’a pas réussi à comprendre pourquoi il y a tant de pans de vie occultés. « Les lambeaux de souvenirs de nos enfances ne sont jamais factuels. » Pas de trace de la chatte Fagounette, animal redouté du père. De même Clarisse semble avoir été reléguée de sa mémoire. Pourtant cette femme a joué un rôle primordial dans l’éducation de l’auteur, à la fois nounou, tante. Il lui a d’ailleurs rendu hommage dans une biographie.(1)
Mais pouvait-elle être responsable de la mésentente, de la désunion de ses grands-parents ? Cependant ausculter l’intimité conjugale a des limites. « Il y a un seuil qu’aucun étranger ne parvient à franchir ».
Le romancier biographe sonde sa mémoire, et se retrouve confronté à une pléthore d’interrogations qui tournent à l’obsession. Une phrase traumatisante, entendue à cinq ans l’a hanté : « On aimerait te manger à la croque-au-sel » !
Parmi les non-dits, on retiendra les points suivants :
L’orientation sexuelle du couple formé par son cousin Jojo et son compagnon Monsieur Félipe, chez qui l’auteur, alors âgé de treize ans, a séjourné à Marseille après un camp de scouts. Dans la famille Vitoux la tolérance et le silence prévalaient.
L’amour inconditionnel de Clarisse pour Henriette Rouyer/Vitoux, son professeur de français et d’anglais avait « quelque chose d’insensé ». Auraient-elles partagé une forme d’amour saphique ? Cette ferveur, cette adoration hors normes ont fait naître chez Clarisse la vocation d’enseigner à son tour.
La filiation d’Odette Lévêque, fille de la domestique des grands parents, présentée comme la sœur de lait. Mais ne serait-elle pas plutôt le fruit d’amours ancillaires au sixième étage du quai d’Anjou ? Donc une demi-sœur. Un secret bien gardé. Exilée aux USA., Odette aimait retrouver le quai d’Anjou. Elle reste une comète qui « a laissé un sillage lumineux, tant sa présence avait été phosphorescente et joyeuse ».
On devine la frustration de l’enquêteur qui n’a plus de témoins potentiels à questionner, qui ne dispose que de cassettes d’interviews inaudibles.
« Les bandes magnétiques s’effacent, les sons deviennent une bouillie sonore ».
Il se reproche son incuriosité. Pas de courriers à consulter, aucun objet palpable, juste des albums photos que son épouse Nicole se plaît à compulser.
Espère-t-elle y débusquer des indices ?
L’écrivain signe un récit à la veine autobiographique, pétri de sincérité, teinté de regrets, qui incite à lire ses romans précédents. Le chapelet de souvenirs fait revivre les fantômes qui ont taraudé l’auteur. « Le souvenir, c’est la présence invisible » selon Hugo. « Le passé est un trou noir à la formidable puissance d’attraction ».
( 1) Clarisse de Frédéric Vitoux