Myette Ronday, Un héritage d’amour, 2022, Arnal et la gauchère, 2020 Éditions Complicités, Paris

Une chronique de Chantal Danjou

Myette Ronday, Un héritage d’amour, 2022, Arnal et la gauchère, 2020 Éditions Complicités, Paris


« Nulle fillette n’est à la fois aussi prisonnière et libre qu’elle. » C’est ce qu’écrit Catherine Hermary-Vieille à propos de Jeanne, son héroïne, dans Un amour fou. Le contexte historique, les raisons d’état, chez C. Hermary-Vieille comme chez Myette Ronday, enferment et renforcent tout à la fois les figures féminines. Serait-ce combler les failles de l’histoire et faire sortir de l’ombre ces femmes qui ont pris la liberté d’aimer, ainsi que le signalait une journaliste dont les propos étaient repris en quatrième de couverture ? L’amour n’est-il que fou ? La référence au roman de C. H.-V. et au portrait de Jeanne de Castille pose question en ce sens. À lire les deux romans de Myette Ronday, le lecteur pourrait s’arrêter à la destinée amoureuse, bouleversée par les aléas de l’histoire et des mœurs d’une époque. Il pourrait aussi figer Mathilde dans Un héritage d’amour et Finamande dans Arnal et la gauchère, dans leur dualité – « prisonnière et libre » – sans échappatoire et, de ce fait, empêcher l’évolution de l’histoire personnelle. Or une certaine complexité est à l’œuvre dans chacun des ouvrages, donnant un ton et un tour personnels au récit même campé dans un siècle et dans un lieu particuliers. 

D’emblée la romancière déstabilise son lecteur en adoptant un double récit jouant du flash-back comme de la diversité de points de vue. Personnages et lecteurs mènent l’enquête, découvrent lentement la vérité, lèvent le secret de concert, au prix de bousculer leur vie et leur confort de lecture. La femme est multiple – mère, belle-mère, nourrice, sorcière, folle ou pressentie comme telle, gauchère et donc accusée de sorcellerie, voire de déviance, jumelle d’un frère paradoxalement moins armé qu’elle, double d’elle-même, autre forme de gémellité, voyageuse, observatrice  –. À elle seule, à figure unique en quelque sorte, elle concentre les divers personnages féminins et masculins, maternels et paternels, décline les différents âges de la femme, ainsi en est-il de Finamande comme de Heide-Agnès. La femme se dévoile, se réalise, retrouve sa filiation, s’initie aux mystères de la vie. Peut-être passe-t-elle de l’indéfini – une femme – de l’imprécision généalogique à la reconnaissance, à LA Femme, libérée de ses entraves y compris amoureuses, capable d’assumer une continuité qui ne soit pas forcément la maternité. Car cette femme libre de ses choix, fille d’une mère au statut ambigu autant que de toute une génération de femmes qui ont tenté de secouer le joug, n’a, elle, pas d’enfants. Elle traverse les frontières, géographiques et temporelles, ne tient pas compte des limites et des traditions, devenant pour ainsi dire atemporelle. Les premières lignes d’Un héritage d’amour sont significatives à cet égard, où l’on voit Mathilde interroger son reflet dans la vitre : « Visage d’hier, d’aujourd’hui ou encore d’un autre temps ? Quels étaient son apparence et son âge ? Ce n’était pas que sa mémoire se fût effilochée, mais Mathilde se pressentait d’ici et d’ailleurs. De maintenant et d’avant […]. »

Myette Ronday tisse chacun de ses livres à l’instar de Zébélie qui s’adonne à une tapisserie sans fin, nouant et dénouant les fils de la destinée. Les récits s’entrecroisent, l’écart temporel se réduisant au fur et à mesure des événements et de la progression de l’enquête, la tension narrative se densifiant, l’intrigue première restant celle de l’écriture de l’histoire sans cesse reprise, renouvelée. En témoigne la conclusion similaire – et c’est troublant – des deux romans, « Demande-lui plutôt, dit Asfeld, dans quelle nouvelle histoire son apparition va nous entraîner » pour Arnal et la gauchère avec en écho dans Un héritage d’amour : « Les histoires [que la maison de poupées] contient, vous les découvrirez en jouant, et c’est vous, qui vous mettrez à les raconter. »

©Chantal Danjou