Une chronique de Xavier Bordes
Richard Rognet – Le porteur de nuages (Ed. De Corlevour / revue NUNC. 77. pp.)
Richard Rognet est un poète à la modestie couverte de divers prix de poésie. Sa longue suite de livres est d’une poésie attentive à ce qu’il a nommé « les frôlements infinis du monde » dans un recueil ainsi titré paru en 2018. C’est ce que j’apprécie dans son œuvre, sous-tendue constamment d’une implicite et pudique foi en la grandeur de ce qui nous dépasserait, sans qu’il soit toujours nécessaire de lui donner un nom – les noms, qu’on le veuille ou non, étant toujours réducteurs en incluant dans la trame du langage cela même qui l’excède infiniment :
il y a dans cette poésie une clarté qui m’évoque un Fra Angelico… En voici un exemple (P.29) :
Quel poème sera
suffisant pour Te dire
que vivre auprès de Toi
est un chemin troublant
que mes pas, mot
à mot, empruntent
en tremblant, en plein
coeur d’une joie immense
où je chavire ? …/…
Cette joie, en quoi est-elle enracinée ? Je dirais qu’elle pousse à partir de la situation naturelle d’un être humain dont la contemplation se nourrit de son être-au-monde, contemplation perspicace, qu’alimentent les moindres détails, ces frôlements qui ressemblent à ceux des courants d’invisible dont le poète est éventé par « l’aile de l’ange » : et de là, comment me retenir de citer intégralement cet autre poème de la page 58, qui avec une désarmante simplicité nous fait secrètement le portrait du poète, tout en nous donnant la clef d’une inspiration qu’il veut transmettre et partager :
Il ne faut pas défaire
ce que l’ange du soir
entre rêve habité
et présence légère,
a pris grand soin de répandre
sur les branches où la buée
du soleil de septembre
distribue ses reflets – fragiles,
certes, mais tellement proches
de cette envie de joie
où se redéfinit mon nom,
il ne faut surtout pas
les tromper, les gestes
de l’ange, les changer
en caresse confuses
où ne se révélerait point
la lumière du lieu
d’où il est descendu
pour dissiper ma peur
d’entrer de plain-pied
dans le temps qui se retire,
à l’entrée de la divine source.
Naturellement, ce poème-ci est un parmi tous les autres d’inspiration et de tenue analogues, qui balise le chemin méditatif, étagé de douce altitude spirituelle, que proposent ces quelques soixante-dix pages précieuses d’un poète qui a, disons, « passé l’âge autorisé pour lire encore Tintin ». Nous sommes ici invités au sein du meilleur, du plus mûr, du plus noble de l’écriture de Richard Rognet. Une écriture qui joint à l’extrême maturité du propos une fraîcheur conservée, laquelle me fait penser à ces flacons de vieux vin qu’on laisse à la limpidité de la rivière jusqu’au moment du pique-nique en pleine nature, parmi les oiseaux, les soleils miniatures de la rosée et autres joies de toutes sortes : et lorsqu’on retire la bouteille du bord du ruisseau, c’est pour, grâce à ce philtre, partager une merveilleuse ivresse, qui n’est nullement inconscience ou négation de notre condition de mortels, mais sa transfiguration à travers la vie des mots et l’échange chaleureux :
Écrire la mort, lui
donner une forme
un visage, ça c’est
la vie, la fulgurance
d’un vol de mots
lancés, au hasard,
sur un paysage surpris
par tant d’effroi, de sens
falsifiés, paysage pourtant
pacifique où souvenir
et vie courante semblent
faire excellent ménage …/…
Ne défaisons donc pas ce que le langage du soir, « entre rêve habité et présence légère, a pris grand soin de répandre » dans les recueils inspirés et profonds de Richard Rognet, dont la subtile sérénité et la simplicité (qui n’est pas naïveté) sont aptes à aider à vivre un certain nombre de lecteurs : au nombre desquels, en souriant, je me compte…