Chronique de Nadine Doyen
Muriel Verstichel, Heurs de neige, éditions Chopena ( 12 € – 140 pages)
Muriel Verstichel a l’art de happer le lecteur dès la première page avec ces mots : « Il y a eu l’accident, l’arrivée de Sylvain. La neige… La musique… »
Il ne reste plus qu’à comprendre qui parle, le lien entre la narratrice et Sylvain.
Une réflexion positive sur la vie, la renaissance pour lueur d’espoir.
Le récit s’ouvre sur un décor neigeux dans lequel évolue un enfant. Rêve-t-il ou serait-il somnambule ? A-t-il entendu une voix pour se rendre dans ce jardin, enseveli sous la neige ? Il brave le froid, se prend pour Kay, le héros du conte que ses parents lui lisaient au coucher, espérant rencontrer la Reine des neiges. Mais c’est à un étrange et insolite rendez-vous auquel Sylvain a été convié en ce jour de Noël.
Le récit prend une allure féerique qui interroge le lecteur.
Une fois connues les circonstances du drame, on suit la façon dont Florence et Charles, les tuteurs de Sylvain le drapent de tendresse, l’éduquent, guettent ses sourires après son mutisme post traumatique. On perçoit leur désarroi devant les pleurs de l’enfant qui ne peut pas comprendre l’absence des parents. Un mot devient tabou : col de la Faucille.Ils n’empruntent plus cette route quand ils reviennent de se recueillir sur la tombe d’Amélie et d’Alain, à Bogève.
Flo est devenue accro aux bulletins météo de Bernard Chastaing et focalise son attention sur ses paroles, ce qui insupporte son mari. Serait-il jaloux ?
Le couple immerge le jeune enfant dans la musique. Il est aussi biberonné à la poésie, Florence et Charles, organisant des soirées, une fois par mois, tenant salon, à la manière de Louise de Vilmorin. Une vraie ruche d’intellectuels, d’artistes, Charles tenant une galerie où il expose un peintre polonais, Henryk.
Des échanges animés autour d’un programme riche et éclectique, avec lectures de poèmes. Sylvain retiendra deux mots : « crépuscule et aube ».
Florence, dévastée par la perte de sa sœur et de son beau-frère, prépare psychologiquement et progressivement Sylvain à voir ses parents ailleurs, en particulier dans un jardin. Elle lui apprend à reconnaître des signes, une présence amie, lui permettant de communiquer avec eux. Comme le confie Sarah Biasini : « c’est plus doux de se dire que nos disparus nous regardent ».
La romancière développe une réflexion autour de la mort : « la disparition des êtres chers brise tout sur son passage », qui contraste avec la citation de Christian Bobin, en exergue : « Je suis vivant parce qu’on m’a parlé et aimé… ».
Le jardin représente pour Florence un espace « propice à la méditation », protecteur. Dans ce lieu sacré, elle se sent « entre deux mondes, à mi-chemin entre terre et ciel ».Elle aime « vagabonder parmi les plantes », les effleurer.
Elle épouse les saisons, préférant le renouveau du printemps.
Elle baptise ce nouveau sanctuaire végétal « le petit jardin d’Amélie » et l’entretenir devient son viatique.L’auteur dépeint avec beaucoup de poésie le jardin, les bords de rivière. « Les fougères à larges feuilles se prélassaient dans les perles d’eau… ».
Elle personnifie les arbres, évoquant la chevelure du saule-pleureur.
La narratrice rend hommage à Valenciennes, « une ville du Nord chargée d’histoire, très active et bénéfique pour les artistes », soulignant sa richesse patrimoniale.
On quitte « l’Athènes du Nord » pour une escapade à Nohant, voyage dont Sylvain, « le petit mélomane, l’ami de Chopin» a étudié l’itinéraire. Nohant qu’il connaît déjà virtuellement.
Le graal pour lui, qui veut « s’imprégner de musique, respirer les parfums du jardin, sourire au petit ange gardien… ».
Mais auparavant, Muriel Verstichel nous offre une halte sur le trajet pour arpenter les bouquinistes du village du livre, Montmorillon, « cité de l’écrit ».
On partage l’excitation de Sylvain qui espère exhumer une partition de Chopin. Au cours de leur visite, ils croisent un homme providentiel, David, peintre sosie de leur ami polonais.Charles l’invite à venir exposer dans sa galerie, à dîner ensemble. Ainsi ils profitent des rives de la Gartempe, se laissant « bercés par les clapotis de la rivière ». L’orage menaçant, ils finissent la soirée devant un feu de bois, chez Sylvie, l’ amie de Florie, céramiste, qui les héberge (dans un gîte aux volets bleus). Avant de se quitter, David leur joue un Nocturne de Chopin, « instant magique » pour Sylvain. Un lien d’amitié s’est tissé à tel point que Sylvain désigne David comme son parrain.
Puis, on se joint aux « quatre pèlerins » dans leur promenade le long de l’Indre, un bain de verdure dont ils savent jouir au moment du pique-nique, émerveillés par la beauté du lieu. Cette communion avec la nature leur offre un baume salvateur, ressourçant, Florie, étant persuadée qu’elle peut « guérir des dures réalités, des absences insupportables ». Un regain de désir habite le couple, soulagé de voir leur neveu s’épanouir, s’affirmer, bien décidé à entrer au Conservatoire.
A Nohant, « une portée d’espérance cadence les pas « de Sylvain, désirant jouer Chopin multicolore : « modulation rose d’un crépuscule, si bémol dans l’ocre d’une aube ». Il guette les traces du Maître de musique, trop rares à son goût et préfère voir le paysage de la roseraie, « entendre les oiseaux, le bruit du vent », toutes les sonorités que son talentueux idole avait aussi entendues.
Coup de théâtre, au retour, lors du septième anniversaire de Sylvain avec sa déclaration bouleversante à ceux qui l’ont adopté et l’élèvent.
On referme le livre heureux de constater que l’apprentissage musical du jeune orphelin a déclenché chez lui une vocation. La voie de la résilience pour Sylvain.
Muriel Verstichel signe un roman bouleversant sous le signe de Chopin, de Rimbaud, de la fraternité, dans lequel elle montre avec beaucoup de délicatesse, la reconstruction d’un enfant orphelin grâce au triptyque : musique, nature et art.
© Nadine Doyen