Chronique de Nadine Doyen

Jérôme Attal – Alcie & la forêt des fantômes chagrins, Robert Laffont Jeunesse (220 pages), février 2020-
Coup de Coeur RTL
Jérôme Attal semble être friand des titres à rallonge !
Après « La princesse qui rêvait d’être une petite fille », il revient avec cette histoire, « dite impossible », destinée aux 8 ans et plus.
Comme pour le précédent, des dessins de Fred Bernard à colorier, illustrant les moments clés avec une extrême précision.
On croirait que l’auteur avait prévu la crise sanitaire, car son roman commence par une première exigence :
avoir les mains soigneusement lavées avant d’attaquer la lecture !
Deuxième remarque :le récit est ponctué de passages en gras, débutant tous par « Ooooh », sorte de voix off qui commente les faits, s’interroge, intervient sans y être invitée et en bonus nous convie même à participer !
Dans ses apartés, Jérôme Attal distille quelques injonctions et invite à ne pas dévoiler les rebondissements de l’intrigue. Donnons juste la trame !
On suit les premières vacances d’Alcie chez une tante jamais rencontrée.
Pas facile de rallier le lieu où réside la sœur du père d’Alcie, presque le pays où l’on n’arrive jamais, même le GPS était déboussolé !
De plus son habitation est insolite : un camping-car, au couloir vertigineux, avec des galeries souterraines, « à l’orée d’un champ de maïs » et d’une forêt.
Légère appréhension pour « cette petite fille honnête et délurée » d’une dizaine d’années, au moment du départ des parents rappelés pour leur travail, car cette tante extravagante, Oupelaoupe, au look de sorcière, aux préparations tarabiscotées est quasiment une inconnue.
Un coup d’oeil à la page des personnages permet de se familiariser avec chacun des protagonistes. Alcie, au « super pouvoir », n’a aucune affinité avec son cousin TractoPaul ( 15ans), un glouton vorace, addict à des jeux ultra violents, alors qu’elle a une soif de nature. Son chagrin se manifeste de manière concrète, d’où les deux fantômes chagrins qui surgissent, agissant comme des doudous. Leur taille étant proportionnelle à l’intensité de la peine.
Coiffée de la casquette d’exploratrice de sa tante, Alcie arpente, scrute les environs, « un cookillage » en poche. (1) Elle s’interroge. Pourquoi ce lac sans eau ? D’où viennent tous ces bruits assourdissants ? Disparus les oiseaux, les animaux ?
Par hasard, Alcie rencontre Hugo, le fils du milliardaire voisin, opposé au projet de son père. Une forte amitié, complicité se tissent entre eux. Il lui sert de guide. Les voilà en route, assistés des deux fantômes, tous soudés, main dans la main, pour de nouvelles aventures et d’étranges rencontres ! Mieux vaut ne pas être claustrophobe !
Alcie , écologiste, une Greta Thunberg en herbe, révoltée en apprenant le projet de l’industriel, veut s’insurger contre cette déforestation outrancière.
Le combat d’Alcie pour la sauvegarde des arbres fait songer à celui du militant Thomas Brail, qui n’hésite pas à installer son bivouac dans les arbres pour alerter. (2)
Ayant trouvé en Hugo son alter ego, elle fomente un traquenard ! Lequel ? Suspense.
Alcie, qui se considère en guerre, montre une détermination démoniaque.
L’écrivain aime jongler avec les mots et ne s’en prive pas. Une cascade de jeux de mots : la maison hantée /en T , l’effroi/lait froid, Renoir/renards noirs, les Templiers/ Tant pliés.
L’originalité du roman est de stimuler l’imagination des jeunes lecteurs, de laisser libre cours à leur créativité en les impliquant. Trouver, par exemple, des mots valises formés de noms d’animaux, comme « renarcureuil ».
Il sait susciter la curiosité pour passer au plus vite au chapitre suivant. Les dessins de Fred Bernard sont très explicites.
Ce roman offre une large portée pédagogique, facile à exploiter pour des enseignants, en abordant les thèmes majeurs actuels, comme celui de l’environnement (pollution au plastique de l’eau) ou simplement une connaissance approfondie du français avec le sens de certaines expressions, comme l’origine de l’été indien.
L’auteur, à travers TractoPaul met en garde contre les dangers du virtuel. Par ailleurs il prône la tolérance et l’altruisme. « Les gens les plus intéressants sont ceux qui s’intéressent aux autres ».
Jérôme Attal peut être qualifié de « surprisier » (3) à double titre : à la fois, pour sa conception de la structure du roman et pour les aventures rocambolesques, inquiétantes de nuit, que vivent Alcie et Hugo dans un univers digne de Tim Burton. On quitte cette parenthèse enchantée, ludique, mâtinée de magie, impatient de retrouver le binôme Alcie /Hugo, le quatuor même, puisqu’une suite est annoncée.
(1) cookillage : cookie en forme de coquillage, spécialité de la tante.
(2) Thomas Brail : grimpeur-arboriste, activiste, défenseur des arbres, inquiet du génocide végétal et d’un avenir sans oxygène.
(3) surprisier : terme inventé par Mathias Malzieu, qui désigne « Celui dont l’imagination est si puissante qu’elle peut changer le monde – du moins le sien ce qui constitue un excellent début ».