Chronique de Xavier Bordes

* Laurence Chaudouet – La présence de l’aube – (Ed. Alcyone, coll. Surya)

* Marie-Josée Desvignes – Langue interdite langue a-mère – (Ed. Alcyone, coll. Surya)
Deux livres de poésie féminine, esthétiquement très beaux, et tous deux d’un lyrisme mesuré et efficace qui m’a beaucoup fait rêver. J’ai songé au mot de Rimbaud sur les écrits féminins : « Nous les prendrons, nous les comprendrons… » Deux livres qui méritent lecture par la richesse de deux sensibilités certes différentes, mais proches par la qualité de la formule et l’économie des poèmes où j’ai admiré qu’il n’y ait jamais un mot de trop. Je voudrais citer de l’une et de l’autre la plupart des poèmes, faute de savoir choisir et trouver du « meilleur » dans ce qui est uniformément beau, touchant, et d’un langage dense et plein de trouvailles à chaque vers. Marie-Josée Desvignes nous entraîne au sein d’un périple sensible à travers la langue qui lui est « maternelle » en dépit d’une amère distance dont l’on sent en sourdine qu’il est la « petite musique d’un abandon » au sein d’un « impossible silence ». Chaque strophe de ce court recueil est doublement riche, d’une part par la justesse et la sincérité de ce qui est dit, et par la qualité du blanc, du non-dit qui entoure de ses résonances insaisissables une suite de poèmes profonds, d’un lyrisme maîtrisé. J’ai relu ces poèmes à diverses reprises et leur voix n’a pas faibli en intensité. De l’authentique poésie, avec des vrais sentiments, mais heureusement dépourvue de sentimentalisme et autres oripeaux faciles…
La présence de l’aube de Laurence Chaudouet, dont la qualité d’écriture ne le cède en rien au recueil dont je viens de parler, est dans un registre différent, plus tourné vers les choses extérieures, paysage, nature, mais périple également, dans une forêt qui est aussi celle des mots et dans laquelle la poétesse s’aventure à la recherche d’une « frontière invisible » avec tant de coeur que chez elle aussi chaque vers est une émouvante trouvaille. Pour donner une idée du ton, voici le poème liminaire du livre, que Laurence Chaudouet a précédé d’une photo argentique correspondante :
Dans ce lent enchevêtrement de chanvre et de soleil
des passerelles sont jetées entre l’été et l’hiver
Et des processions de figures de sel y conduisent leur troupeau
Initiant oiseaux, feuilles et fougères
En traversant les forêts les guides rompus aux monotones contemplations
Soudain figés dans l’éblouissement d’un vol
Entrent dans ces jardins sauvages où balancelles et manèges sont ensevelis
Tandis qu’un enfant grave, dans une cachette préservée dépose le flambeau
Et les aigles aventureux très haut ouvrent le versant du ciel
Pour éclairer la route des voyageurs sans mémoire.
À quoi répond introspectivement, chez Marie-Josée Desvignes, également peintre, aux prises avec la langue « mère amère » :
Dérivé légendaire de vos silences engloutis ;
de vos mondes aux identités multiples
trop de mots encombraient vos langues
trop de souvenirs empesaient vos mémoires ;
dans la clarté du jour, la promesse du soir
annonce le miracle et la neige
d’une nuit d’été
ou plus loin :
La lune nous portait vers la mer
et son chant heurté.
En fille de l’ombre je vole encore son baiser
et comme elle j’aime ce qu’elle aime
et ceux qui l’aiment :
« L’eau les nuages, le silence et la nuit
la mer immense et verte » / (Baudelaire)
Deux recueils que j’ai ressentis tout ensemble d’une poésie familière et évidente, mais aussi à travers leurs deux cheminements divergents, d’une poésie à mon regard d’homme étrange d’une même étrangeté : une nouveauté de voix dont l’inspiration ne peut être que d’essence féminine.
© X. B. mai 2019
Deux très beaux poèmes de Laurence Chaudouet et de Marie-josée Desvignes, qui m’ont envoûtée, ce sont des chants mystérieux, sensibles, qui dévoilent l’intimité de l’âme, et le terme qui convient pour parler de ces deux poésies, c’est » transporté « !
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merci à Xavier Bordes pour ce très beau retour et à vous Pascal également
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