Chronique de Alain Fleitour
Claire Fourier, Tombeau pour Damiens, Éditions du Canoë, roman historique, ISBN: 2732485845
paru 04/2018.
Mais qu’allait-il faire dans cette galère!
Voltaire voyait en Damiens une incarnation du fanatisme religieux, mais avait-il pris la mesure des circonstances qui ont abouti, à le faire condamner par le parlement de Paris, puis à le soumettre sur la place de grève à des supplices funestes et barbares, un acharnement sordide que seul un pervers pouvait imaginer.
Dans son dernier livre Claire Fourier entreprend de restituer la totalité du parcours de Damiens. Celui que l’on a présenté comme « le bras de Dieu », Robert-François Damiens avait d’un coup de canif éraflé Louis XV . Ce qui fut un simple avertissement au souverain dans son esprit, a pris une dimension considérable, aboutissant à sa peine de mort le lundi 28 mars 1757 à l’aube.
Claire Fourier reprend sans cesse les termes « la journée sera rude », il sera bien écartelé, et sera soumis à la question. Cependant et jusqu’au bout Robert-François Damiens, assumant la douleur, fournira la même version des faits.
Claire Fourier écrit ces mots, page 218, étincelants de gravité et de pudeur ; « Damiens regarde avec un attendrissement douloureux ses jambes en charpie ».
Il apparaît qu’il n’est pas un fanatique mais un homme parfaitement informé de la façon dont Louis XV dirige le royaume de France, il pose le doigt sur la faillite du régime, il impose sa sagesse.
La journée sera rude pour ce serviteur zélé, éduqué à servir les plus grandes familles du Royaume de France, et apprécié pour sa discrétion et sa distinction. Soumis à la question, aura t-il le cran de taire, ce qu’il a entendu dans les cours des châteaux ?
Aussi, la journée sera rude pour tous ceux qui ont côtoyé ou croisé Damiens, pour tous ces hauts personnages du Royaume de France qui en coulisse disaient pis que pendre du souverain. La noblesse de l’époque avait si grande frousse que Damiens dévoile les propos distillés, pour stigmatiser le roi et non pour le glorifier, que certains se sont discrètement volatilisés.
Le libertinage du roi, initia le mépris de François Damiens pour cette couronne, mais en réalité les confidences et les secrets qu’il détenait étaient bien plus explosifs qu’une vie dissolue. Il est délicieusement agréable de goûter la précision avec laquelle, Claire Fourier a étayé la vie de François Damiens, domestique au service des plus grands. Il était aussi à sa mesure un érudit, et fut tout au long de sa vie le témoin lucide de son temps.
Oui Voltaire était malvenu de fusiller dans ses écrits ce témoin pour quelques broutilles de bienfaits qu’il reçut de la tête couronnée.
Les relations entre les jansénistes et les dominicains étaient pour lui, une preuve viscérale et essentielle du fanatisme de l’église, ce fanatisme qu’il a pendant des années combattu, explicité, critiqué, à juste titre : peut-être que le cas de Damiens à la lecture d’autres procès a modifié la façon de voir les conditions d’exercice de la peine de mort.
Mais on est encore loin de la position qui sera celle de Victor Hugo. Tombeau pour Damiens est sans aucun doute un livre d’histoire à diffuser, à commenter, à expliquer et pour ce personnage oublié de l’histoire, il conviendrait de procéder comme Claire Fourier, à sa réhabilitation.
Tombeau pour Damiens fut sans doute le pas de trop dans l’abject de la torture, et prépara la remise en cause de la Question.
©Alain Fleitour