Chronique de Basile Rouchin
Régis Belloeil, Poésies incomplètes, Éd. Le Citron Noir, illustrées par Mathilde Lartige, Metz, 2012, 74 p.
Il s’agit du deuxième recueil des éditions précitées, rebaptisées depuis, les éditions du Citron Gare (Patrice Maltaverne). Le propos cauchemardesque (la fille aimée qu’on laisse mourir) évoque un passage du livre d’Albert Camus « La chute ». Une inconnue plonge dans la Seine et le narrateur passe son chemin. Des années plus tard, le cri de la disparue hante encore dans sa mémoire…De même chez Belloeil, des motifs fantastiques (« chimère », « fantôme », « monstre ») installent une ambiance inquiétante et justifient l’emploi fréquent du futur antérieur. Le « miroir » si souvent présent est « réfléchissant » mais surtout déformant : la réponse de la quête n’est pas en nous, ni en dehors et encore moins au-dessus. « À quel ministère adresser / Ma demande en trois exemplaires. / D’un semblant de vie meilleure ? ». Le ciel est vide et « le soleil se noie de sang » dans un mouvement irréversible, violent. « La pluie » si fréquente installe un climat de tristesse et de désolation. Mélancolique, l’auteur se tourne vers un passé irrécupérable et un avenir sans issue : « Devant moi, rien / Devant moi, un mur / Seul le présent compte et aujourd’hui / Je suis heureux / Je ne désire / plus ». L’ataraxie épicurienne -cette absence de troubles, eux-mêmes révélateurs de désirs, de peurs, de convoitises – permet de vivre au présent sans heurt. L’auteur semble d’ailleurs accéder à cet état provisoire en fin de recueil.
Par ailleurs, les codes de la fin amor sont revus et corrigés – façon Diogène, le cynique (cf. « Poèmes d’Amour courtois »). Dans un élan désespéré et jusqu’au-boutiste (p 15 : allusion à Jean-Pierre Martinet), l’autre et soi-même sont d’autant plus aimables qu’ils sont morts. De manière assez banale, la représentation de la femme varie entre idéalisation (femme absente, muse) et vénalité (femme offerte à tous). Mise au pinacle ou sur le trottoir.
Il convient de noter la réécriture d’une morale classique de La Fontaine visant la recherche d’une vie intense, dont le cours est choisi : « Rien ne sert de durer / Il faut crever à point. » La chute rappelle le titre ironique du (seul ?) recueil de l’auteur… Le temps fonctionne ainsi sans l’homme qui passe à côté de sa vie, de l’amour. « Je ne savais alors pas / Que mon rêve était / derrière moi ». « La nostalgie », « les regrets » éprouvés sont des voies explorées mais décevantes. Les illustrations aux motifs parfois abstraits, en trichromie (rouge, noir, blanc) accentuent d’une part, la note romantique sombre du style d’un poète « incarcéré sur la terre » et confirment d’autre part, sa veine anarchiste et son goût marqué pour les extrêmes – Belloeil : entre poudre et hémoglobine.
©Basile Rouchin