Benoît Reiss, Compagnie de Joseph Tassël, Collection Grands Fonds, Cheyne Éditeur, 2009, 120 pages, 19€

Chronique de Lieven Callant

tres-agreable-compagnie-benoit-reiss-compagni-l-1

Benoît Reiss, Compagnie de Joseph Tassël, Collection Grands Fonds, Cheyne Éditeur, 2009, 120 pages, 19€


« Grands Fonds accueille, en marge de tout genre littéraire codifié, des pages plus secrètes, témoins d’une vie qui s’inquiète et s’interroge. Avec cette collection, Cheyne Éditeur reste fidèle à sa raison d’être: donner leur chance à des textes choisis pour leur vérité humaine tout autant que pour leur exigence formelle »

Voilà ce qu’on peut lire sur la couverture de ce très beau livre signé Benoît Reiss. Il est en effet très difficile de classer dans une catégorie la fiction si habilement construite par Benoît Reiss. C’est au travers de la correspondance et d’une série de passages de son journal et de ses carnets que peu à peu, nous apprenons à connaître Joseph Tassël.

D’emblée se pose la question de l’écriture. De sa nature véritable. De son rôle dans la construction d’une personnalité, d’un soi-même. Car, j’ai le sentiment que Joseph Tassël adresse ses lettres d’abord à lui-même dans un besoin de clarifier ses idées, ses propos. D’ailleurs, les pages écrites dans les carnets ou dans le journal, même si elles n’ont pas de destinataires nommés, ressemblent beaucoup aux lettres qu’il envoie à ses amis, à sa sœur, à ses éditeurs. Joseph Tassël précise dans l’une d’entre elles qu’il ne parvient pas toujours à s’exprimer correctement oralement, qu’écrire lui permet de préciser ses dires. L’écriture ouvre donc les portes vers soi, vers une meilleure connaissance de soi et puisque c’est finalement Benoît Reiss l’auteur véritable de ces lettres, l’écriture permet la connaissance de l’autre. Cet autre est un écrivain, un écrivain qui écrit des lettres, pour le connaître nous passons, nous lecteurs, par le biais d’un livre.

Quel est ce livre? Quelle est la part réelle ou réellement imaginée par Benoît Reiss? Benoît Reiss s’est inspiré de la vie d’écrivains du début du 20ème siècle, (fin 19ème) tel que Robert Walser et n’est-il pas aussi probable que Benoît Reiss se soit servi de sa propre expérience personnelle pour construire son personnage? Surgit alors la question de l’auteur. Quel est cet homme qui écrit? Quels sont ses ambitions, ses espoirs? Qu’est-ce qui motive ses choix de vie, celui de devenir un écrivain? L’écrivain n’est-il seulement qu’un écrivant?

Joseph Tassël n’a pu trouver sa place parmi ceux qui se contentent de simple-ment faire le commerce des mots, qui sont en mesure d’être entièrement satisfaits de leur travail sans jamais éprouver le doute ou effectuer la moindre remise en question personnelle. On comprend aussi le danger que comporte une telle vision de l’écriture, éternellement incomplète, chantier permanent qui ne livre que des bribes qu’il est difficile d’assembler pour qu’elles fassent sens. Joseph Tassël sombre peu à peu dans la maladie. Car l’écriture le rend surtout lucide et conscient de la mécanique qui se cache et s’impose parfois cruellement aux écrivains qui visent une carrière et ne finissent plus que par ambitionner un statut social, une reconnaissance du public.

Dans le malaise de Joseph Tassël, on lit qu’il a aussi pour cause cet impitoyable jugement de la société qui détermine arbitrairement ce qui lui est utile et ce qui ne l’est pas. De la lucidité d’un Joseph Tassël, elle ne semble à priori n’avoir nul besoin et on le regrette. Car en perdant Joseph Tassël, personnage sorti de l’imagination de Benoît Reiss, on sait que ce jugement nous ferait perdre en brisant bien d’autres écrivains et en passant sous silence leurs œuvres admirables.

Ce procédé de mise en abîme permet également à Benoît Reiss de dénoncer de l’intérieur la sphère littéraire, de pointer du doigt certains de ses mécanismes, de nous montrer aussi l’aspect le plus redoutable mais pas forcément le plus redouté du caractère de l’écrivain: L’introspection qui vire à l’égocentrisme au point de ne plus s’intéresser à autre chose qu’à soi-même au détriment du monde, des autres. Le désir d’écrire se transforme alors surtout en désir narcissique d’être lu et reconnu.

Le livre de Benoît Reiss n’a jamais la virulence acide d’une critique du rôle de l’écrivain, bien au contraire et c’est sans doute en cela que réside pour moi la réussite de Benoît Reiss. Il parvient avec doigté, finesse et sensibilité à partager avec ses lecteurs par l’entremise de Joseph Tassël, ses intimes convictions d’un amoureux des mots, d’un amoureux des belles lettres.

©Lieven Callant