Sacrifice, Joyce Carol Oates, éditions Philippe Rey, 2016, 357 pages.

Chronique de Patrice Breno

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Sacrifice, Joyce Carol Oates, éditions Philippe Rey, 2016, 357 pages.



Sybilla Frye est retrouvée de justesse, dans une cave sombre, torturée et violée, couverte d’excréments et d’inscriptions racistes. Elle dit avoir été enlevée par des « flics blancs ».

Nous sommes en 1987, dans la ville de Pascayne, au centre d’un quartier noir du New Jersey, USA, où chacun, dans la misère et l’indifférence, fait ce qu’il peut pour survivre. Vingt ans se sont écoulés depuis les émeutes raciales qui ont fait des dizaines de morts, où la police avait pour mission d « tirer pour tuer » … « tous les âges du bébé au vieux si leurs visages étaient noirs ».

Une famille, plutôt un ersatz de famille : une mère, Ednetta, qui s’est amourachée d’une brute épaisse, Anis ; ce dernier, rarement présent, travaille pour le service voirie de la ville, mais fait subir un véritable enfer à son entourage proche.

Ednetta, complètement perturbée, met à l’écart sa fille Sybilla pendant quelque temps, de la presse, des curieux, des bons et des méchants qu’elle a bien du mal à discerner, mais aussi de son compagnon.

Toutes deux seront contactées puis encadrées et enfin manipulées par un pasteur et son frère avocat. Et puis le Prince Noir, au nom de l’Islam, prendra le relais pour « éduquer » Sybilla.

Ce livre reflète le contexte de l’Amérique livrée à elle-même, où Noirs et Blancs se livrent une lutte à mort ; ils se sont toujours affrontés, avec les dérives qui nous parviennent par médias interposés.

L’auteure s’est attaquée ici à un sujet éminemment sensible. Elle ne prend pas parti, à aucun moment. La corruption et la violence, la justice et le châtiment, le racisme et le profit… ce sont quelques-unes des fragilités que connaît l’Amérique depuis tant de décennies. Ce roman intemporel – écrit par un auteur blanc qui a le courage de parler avec force des dérives de l’establishment judiciaire et policier – signifie aussi à quel point l’innocence et la jeunesse détruites peuvent être des armes terribles dans des mains perverses et cupides. Il permet de comprendre comment et pourquoi des gourous illuminés parviennent à détourner et à diriger des foules éperdues et crédules pour servir leurs intérêts propres, que sont le pouvoir absolu et l’argent à flots.

Ce livre n’apporte pas de réponses, car il n’y en a pas. Il reflète par constat toutefois que rien ne résiste à l’intolérance, au racisme, à la méchanceté de l’homme et aux dictatures sous-jacentes. L’espoir, c’est que chacun y mette du sien !

A lire en retenant son souffle, tant l’horreur est permanente et … latente.

L’Amérique, une poudrière ! Le monde aussi …

©Patrice Breno