Traversées N°103, 2023 – I, 208 pages, 15€.

Une Chronique de Lieven Callant

Traversées N°103, 2023 – I, 208 pages, 15€.


Ce n’est pas la première fois que la revue Traversées consacre un numéro à la traduction. Honorer ce travail de transposition est chose nécessaire et il est bien des manières de saluer cette écriture qui quand elle est réussie parvient à se faire oublier par les lecteurs, comme si il existait une langue commune. 

Dans ce numéro, pas de réflexions théoriques, ni de discours sur le métier de traducteur, sur les difficultés rencontrées en passant d’une langue à une autre, sur la justification des choix qu’implique la transposition. Comme nous le rappelle Patrice Breno dans son édito :

« Une langue représente un peuple, un pays, une région. »

Patrice pose aussi la question fondamentale d’un travail qui ne finit pas et pour lequel il est difficile d’être entièrement satisfait. LA traduction parfaite existe-t-elle?

Le souhait de ce numéro n’est pas de répondre aux questions légitimes que les traductions soulèvent mais de laisser libre l’esprit du lecteur en le confrontant aux textes orignaux et à leur traduction.

« Des langues différentes s’entremêlent dans ce numéro et c’est cela qui nous/vous offre une diversité appréciable de pensées, de réflexions ainsi qu’un élargissement de toutes les voies possibles. »

Poètes ukrainiens, russes, roumains, néerlandais, luxembourgeois, italiens, grecs, canadien, anglais, américains se côtoient. Une courte présentation de chaque auteur est prévue en fin de volume, détail appréciable. Autant de langues, autant de traducteurs, de passeurs de mots, d’idées, de notions singulières. Au-delà des différences, on devine une langue commune à chaque humain, la poésie. La poésie multiple, kaléidoscopique, magique, vraie. La poésie focalise en elle les divers faisceaux lumineux de la langue en un point sensible indéterminable à la fois proche et lointain à la manière d’une étoile que notre regard place dans une constellation. 

Comme à son habitude, la revue Traversées ne tire pas de frontière entre les auteurs très connus et ceux qui le sont moins ou pas du tout. 

Voici les auteurs proposés:

Les traducteurs sont:

Vladimir Claude Fisera, Luc Debacker, Anna Martino, Dana Shishmanian, Eva-Maria Berg, Jean-Pierre Otte et Christian Marcipont, Tom Weber, Florent Toniello, Irène Duboeuf, Michela Zanarella, Alain Bourdy, Bernard Grasset, Gérard Le Goff, Tom Wintringham, Laurence Fritsch, Pierre Mironer.

On appréciera les photos de Patrice, de Christian Dargent, de Chem Assayag comme autant de jardins où se reposer de sa marche. Patrice Reytier nous propose en trois images dessinées des pensées poétiques: haiku-BD ou BD haïku

Pour terminer cette présentation, j’aimerais revenir sur ce qu’évoque Patrice Breno dans son édito: le mélange des langues. Lorsqu’on a le bonheur de connaître une ou plusieurs langues, lire la version originale et à sa suite la version recomposée de la traduction, produit un balancement étrange et envoutant entre deux mondes, deux univers porteurs de nuances différentes mais qui s’accordent malgré tout à trouver un compromis, juste et dont l’équilibre apparait comme précieux. Cet équilibre provoque une sorte de vertige enivrant. Pour comprendre, l’esprit n’a plus besoin de mots, de définitions précises, il apprécie plus facilement les saveurs, il touche à ce qui circule entre les lignes avec plus de facilité. Il prend conscience de ce qui se perd d’une langue à l’autre mais aussi de ce que l’on gagne. Sens et nuances se cherchent invariablement dans une sorte de rituel amoureux.

©Lieven Callant


Un entretien de Patrice Breno par Daniel Brochard- Dans les Brumes-Résurgence.

Cet entretien provient du site: DANS LES BRUMES – RÉSURGENCE

https://www.danslesbrumes.fr/patrice-breno/

Naturellement vous pouvez aussi lire l’entretien ici et profitez de découvrir ce que propose le site


Entretien avec Patrice Breno, directeur de publication de la revue Traversées :

Daniel Brochard : La Belgique est un pays de poésie. La langue française y occupe une place importante. La revue « Traversées » est devenue incontournable de générosité. Vous avez su vous diversifier en devenant éditeur et créateur d’un marché de la poésie à Virton. Votre travail est exemplaire. « Traversées » pourrait influencer de multiples actions. Comment voyez-vous l’avenir de la poésie dans notre quotidien pour les années à venir ? Peut-on passer du rêve à la réalité ?

Patrice Breno : La poésie ne bousculera sûrement  pas l’ordre établi ! L’important, c’est qu’elle se manifeste dans les esprits, dans les lectures, les rapports aux femmes, aux hommes et aux enfants, qu’elle aide à ce que le monde ne tourne pas plus mal… La poésie permettra toujours de rêver et de s’évader mais aussi de s’extraire des folies, du mercantilisme et du libéralisme, du monde politique qui nous mène souvent en bateau … et de défendre ses propres idées…

C’est certain qu’avoir les pieds sur terre est une nécessité et la poésie n’est pas qu’un rêve, elle est aussi un combat : les mots sont tellement importants et le poète les projette afin que ceux qui les reçoivent les perçoivent comme une manne, une ouverture, un défi permanent contre les injustices inutiles et dévastatrices…

A mon sens, il n’y a pas de fatalisme. Tout peut-être réalisé avec la volonté. J’ai créé Mot à Maux dans la solitude parmi d’autres revues qui n’ont pas toutes survécu. Et pourtant de petites structures s’organisent qui survivent grâce à la générosité des lecteurs. La vie poétique fonctionne ainsi en France, à coups de débrouillardises. La Bibliothèque Nationale de France en charge du Dépôt légal est la plus grande collection de poésie de ce pays. Ses murs sont inaccessibles, forteresse de béton ! Pourquoi ne pas rêver de bibliothèques à l’échelle nationale dédiées à la poésie ?

Rêver c’est bien ! Construire c’est mieux ! Comme vous/comme toi, je me sens comme le colibri qui apporte sa goutte d’eau pour éteindre le feu… Chaque action, aussi minime soit-elle, a du sens, a sa raison d’exister…

La poésie a un coût. Publier un recueil, une revue est un engagement financier. Les frais de fonctionnement sont énormes. La poésie a besoin de se vendre pour survivre. Aussi, ne faudrait-il pas créer partout des librairies dédiées à la  poésie afin que les auteurs et ceux qui les éditent puissent vendre leur travail de façon libre et pérenne ? Comment selon vous instaurer un tel système ?

La poésie ne se vendra jamais comme un roman ! Quand j’ai accompagné Abdellatif Laâbi à Albi voici quelques années, un auditeur lui a demandé pourquoi il s’obstinait à écrire de la poésie, alors qu’il écrivait aussi des romans. Il a répondu : « La poésie, c’est tout ! ». Pour moi, c’est l’alpha et l’oméga. Sans poésie, le monde n’est rien. Alors, que chacun et chacune frappe aux portes s’ils le veulent. Moi, je n’en ai pas/plus l’énergie, d’autant plus que la Culture n’est pas la principale préoccupation de nos politiques, qui tiennent les cordons de la bourse. Je me dévoue corps et âme (comme le titre d’un des recueils publiés aux éditions Traversées) depuis plus de 28 ans. Après moi, qui reprendra le flambeau ? Certainement personne, car il s’agit d’une vocation et pas d’un métier… donc, si ce n’est pas rémunérateur, qui voudrait user une grosse partie de son existence… Pour ma part, je n’ai éprouvé que du plaisir, même si certains moments étaient très durs, rien que les nombreux contacts oraux et écrits que j’ai eus. Plus de 1200 auteur(e)s publiés, je pense que ce n’est pas trop mal. Plus l’universalité !

J’ai un rêve : celui d’une révolution poétique. Nous poètes, éditeurs… sommes tous pleins d’énergie. Et pourtant la poésie survit sporadiquement au rouleau compresseur d’une culture imposée par des médias en quête de pouvoir. Ce culte de la culture « unique » se vérifie partout dans notre quotidien, dictant nos choix de consommateurs serviles. Le rêve pour la poésie, serait qu’elle devienne une force novatrice et influente. Comment et faut-il réunir les acteurs du livre pour espérer un jour changer les choses ?

Il est vrai que nous agissons chacun dans notre coin. Cependant, je me suis rendu compte qu’il y a tellement de personnes qui écrivent de la poésie surtout. Je me dis souvent : il y a autant de poètes que de lecteurs ! Et c’est là que se trouve le dynamisme de la création. Quand j’ai créé la revue Traversées en 1993, j’ai voulu publier surtout des auteur(e)s qui avaient des textes de qualité (selon nos critères et nos choix) même s’ils étaient totalement inconnus. Des poètes de renom ont fait confiance à la revue, mais quel plaisir quand un auteur sélectionné revient vers moi en disant que je lui ai ouvert des voies. Nous sommes, en tant que revuistes, des passeurs, des diffuseurs, des transmetteurs et c’est là que réside notre force. Pour le reste, tenons le coup et serrons-nous les coudes, oui, certainement… Je n’ai pas vraiment l’énergie et le temps d’aller dans tous les salons. Qu’ils existent, c’est bien. Aussi, que chacun fasse de son mieux !

Pouvez-vous nous parler du marché de la poésie que vous avez créé à Virton ? Quel bilan faites-vous de cet événement ?

J’ai déjà organisé des rencontres avec des auteurs, des marchés de la poésie, le dernier en 2019. Ce qui demande une sacrée préparation ! D’autant plus que pour le plus gros de l’organisation je suis désespérément seul. Le bilan de l’édition 2022, je le ferai après, bien évidemment. Pour les rencontres antérieures, le plus important, c’est le retour, ce que les personnes qui sont venues en pensent et jusqu’à présent, tout le monde semble content. Et moi aussi ! Ne fut-ce que pour les rencontres fabuleuses, les interventions tellement suivies que – même si Virton est loin d’être Paris – je réédite l’exploit cette année.

Ce 19 mars, 20 auteurs, 10 femmes, 10 hommes, 2 parcours littéraires dans 5 lieux emblématiques de la ville, des respirations poético-musicales aussi, un marché auteurs-éditeurs, une table ronde auteurs-éditeurs, des écoles secondaires  et les commerces de la ville qui participent… Ce doit être une journée d’enfer et – même si c’est un sacré boulot pour moi – que du bonheur ! J’espère qu’on se précipitera de BELGIQUE, FRANCE, NAVARRE et qui sait, du monde entier…

Virton en poésie!

Toutes et tous vous êtes les bienvenus!


Le samedi 19 mars 2022, à Virton, se tiendra à nouveau le Marché de la Poésie.


20 auteurs en lectures, 10 femmes et 10 hommes dans 5 lieux emblématiques:

  • Alexandra Anosova
  • Joëlle Aubevert
  • Malika El Maïzi
  • Laurence Fritsch
  • Cathy Jurado
  • Tara Leon
  • Florence Noël
  • Marcelle Pâques
  • Marie-Clothilde Rosse
  • Martine Rouhart
  • Jean-Michel Aubevert
  • Eric Brogniet
  • Guy Denis
  • Patrick Devaux
  • André Doms
  • Claude Donnay
  • Maarten Embrechts
  • Felix Katikakis
  • Paul Mathieu
  • Lysztéria Valner

Une table ronde auteurs-éditeurs animée par Guy Denis…

Des respirations musicales du collectif Balaclava, de Françoise Daoust.

La participation de classes de l’Athénée royal et du Collège Notre Dame du Bon Lieu de Virton

Une expo haïkus-peintures de Magali Durand

Une bourse aux recueils de poésie et revues littéraires.


Renseignements & Infos:

Patrice Breno

+ 32 497 44 25 60

traversees@hotmail.com


« Merci à toutes celles et ceux qui nous permettent de rêver encore et qui continuent d’être fidèles à Traversées. »

Patrice Breno