Fadila Semaï, L’ami parti devant, Éditions Albin Michel -16€ (167pages)

Chronique de Sophie Mamouni

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Fadila Semaï, L’ami parti devant, Éditions Albin Michel -16€ (167pages) 

 


 

En cette période troublée par la violence et la peur, le livre de Fadila Semaï est un hymne à la rencontre de l’autre pour s’ouvrir à la réconciliation.

Le 29 avril 2013, la journaliste retrouve la terre de ses ancêtres. Quarante ans que ses pas n’avaient plus foulé le sol algérien. Dès les premières pages Fadila Semaï donne le ton de son récit : « Ce voyage, cette enquête, cette quête, a mûri dans la solitude, dans le silence qui protège de ce qui peut vous dérouter. » Le lecteur s’interrogera sur ce qu’est réellement pour chacun la rencontre avec l’Autre de culture différente de la sienne.

 

« L’ami parti devant », pose nos doutes et nos interrogations concernant le dialogue inter-religieux dans les pas de deux hommes que tout aurait pu opposer. Mais la foi et la prière vont en faire des amis pour l’éternité. L’histoire prend racine dans un lieu empreint de sérénité et de paix : Le monastère Notre-Dame de l’Atlas, à Tibhirine non loin de Médéa dans le Nord de l’Algérie. Lieu devenu tristement célèbre lorsque les moines ont été assassinés dans d’horribles circonstances en mai 1996. Toutefois,  ce livre n’est nullement un récit sur la tragique mort des moines.  Certes, Fadila Semaï l’évoque avec les témoins de l’époque comme elle présente aussi, les origines de l’installation de la communauté en 1938. Mais il s’agit avant tout de découvrir le lien de vie qui unissait ces deux amis que furent le moine : Christian de Chergé et le garde champêtre, Mohamed.

 

Délicatement porté par un style très vivant ce livre nous fait ressentir tout l’amour et les sources d’émerveillement de Christian de Chergé dans la rencontre avec les musulmans du village. « Christian a confié à plusieurs reprises combien il était retourné, au plus profond de lui, par le chant du muezzin. Lorsque l’appel à la prière des musulmans s’unissait au son de la cloche qui conviait les moines aux offices ; pour lui c’était le signe tangible d’une sorte d’eucharistie commune. Dans un même lieu, au même moment, des hommes allaient vers l’Unique. » De même que des extraits du testament spirituel de frère Christian nous relie à l’essentiel.

 

L’enquête que mène Fadila Semaï n’est pas simple. Elle prendra des risques pour retrouver la famille de Mohamed. Un prénom l’amènera à un nom de famille grâce à de multiples rencontres toutes aussi émouvantes les unes que les autres. Tel un fil d’Ariane, l’auteur est guidé par sa soif de saisir l’insaisissable d’une amitié qui ne dura que 4 mois. Où chacun écoutait l’autre pour découvrir la vie du Christ et des extraits du Coran. Frère Christian n’avait que 22 ans. Séminariste, il effectuait en 1959 son service militaire en Algérie. Mohamed, le garde champêtre avait 47 ans. Ils arpentaient ensemble le Djebel. Lors des événements de la décolonisation, Mohamed décède en protégeant la vie de Christian. C’est aussi ce sacrifice que nous livre dans le détail ce récit passionnant de bout en bout.

 

Livre sur la tolérance, l’amour et la confiance dans l’Autre. Pour cela il faut oser pousser la porte vers l’inconnu. Et « Aller au bout de soi-même » comme l’avoue Fadila Semaï.

Ce qui permet de ne pas se laisser emporter par un instinct de repli sur soi. Le lien à tisser entre musulmans et chrétiens se consolide par le vivre ensemble. Il est alors salutaire de s’ouvrir à la différence. « L’ami parti devant » nous y invite avec dignité.

 

 

©Sophie Mamouni 

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