Jacques BRÉMOND – Lettres perdues (courriers accidentés) – (Rougier V. ed. 2016 – coll. « Plis Urgents 41 » complément de la collection de la revue « ficelle ».)
L’ Atelier ROUGIER de Soligny-la-Trappe, avec ses « ficelles », nous a habitués à des livres minuscules, et comme « tout ce qui est petit est joli », ces livres sont des merveilles, de goût, de qualités matérielles, de choix dans les talents des auteurs. Il est vrai que je ne commente ni ne signale pas systématiquement les livres que je reçois, n’ayant que dix doigts et une seule paire d’yeux pour les lire. J’ai eu un coup de coeur pour les « Lettres perdues » retrouvées et commentées, fort poétiquement, par Jacques Brémond, éditeur à part (dans le domaine du livre de poésie en particulier). Cette fois, c’est l’auteur qui prend l’écriture. Et cette saisie a un charme équivalent à celui qu’on éprouve lorsque, dans la rue, dans le métro ou le bus, on remarque une personne qui, parmi d’autres inconnus, provoque – qui sait pourquoi ? – une curiosité inhabituelle de notre part. Alors on se met à spéculer sur son activité professionnelle, à rêver sur le cadre de son existence, à lui supposer à cause de tel ou tel indice infime, mouchoir essuyant furtivement une larme, papier brusquement replié et enfourné dans une poche ou dans un sac à main,, parfum étrange et indéfinissable, à lui supposer, disais-je, des péripéties sentimentales, tout un film fondé sur peu de choses, grâce auquel on comble le vide qui nous tient généralement à distance de l’inconnu/e, dont on sait bien qu’on ne va pas s’enhardir jusqu’à l’interroger… Jacques Brémond nous présente simplement, avec disons leur fac-similé (réduit bien sûr), des courriers, cartes postales, missives, échangés par des personnes dont il sait peu de choses, mais dont il reconstitue par l’imagination à quel lien, correspondance de guerre (de 1870!) par exemple, entre elles leur contenu fait écho. En les prenant pour prétextes, il réveille avec un talent simple et parfois vaguement nostalgique, quelques traits des ambiances historiques du siècle passé (1901), la traversée en paquebot à l’occasion de l’évocation des sacs postaux récupérés d’un navire échoué sur la côté camarguaise, etc… bref : une quarantaine de pages auxquelles on revient volontiers, à cause de l’évocation, en bribes illustrées savamment ménagées, de mondes à la fois si proche de nous, et que rend si mystérieusement, mélancoliquement inaccessibles le gouffre du temps. Je range ce volume tout petit par la taille et illimité par les rêves qu’il m’a procurés, dans le coin des ouvrages précieux de ma bibliothèque.
Xavier Bordes – Paris, 10/09/2016