Chronique de Lieven Callant
Louis-René Des Forêts, Ostinato, L’imaginaire Gallimard, 2004, 231pages.
J’ai toujours cherché à comprendre ce que « conscience » signifie réellement en tentant par maintes réflexions à en dresser si cela s’avère possible la carte la plus précise qui soit. Comment grâce à un apprentissage, aux allées et venues de la mémoire au gré des souvenirs et de l’oubli ou par l’entremise des rêves se forge peu à peu l’image de soi.
Je pense que Louis-René Des Forêts dans son livre Ostinato avec une rigueur lucide, intransigeante et obstinée propose de nouvelles perspectives à mes questionnements. Il dresse la carte de ce désert « JE » qui avance en rampant ou repart de son centre dans des mouvements que rien ne peut contraindre. Cet endroit sur la carte aux frontières floues et qui ne garde pas la trace des routes, nourrit nos espoirs, puis tour à tour les refroidit, les brûle, les redécouvre, les fait disparaître.
Ostinato se présente comme une affluence de textes, un fabuleux labyrinthe dont les multiples voies à explorer n’offriront pas toutes l’issue recherchée: la liberté, la délivrance lucide.
Par moments déroutants, par moments contradictoires ou envoûtants, les textes ressemblent aux morceaux épars d’un rêve dont l’interprétation aura elle forcément un impact sur le réel.
On sait combien le sommeil et avec lui les rêves sont indispensables à la construction de notre mémoire. Sans elle et ses facultés de faire ressurgir les souvenirs ou au contraire de les oublier jusqu’à presque entièrement les faire disparaitre, aucun apprentissage ne serait possible. On s’aperçoit aussi que rappeler à soi, à son présent le plus proche, les souvenirs les plus anciens c’est aussi faire en sorte qu’à force ils perdent une partie des matériaux originaux qu’aucun mot, qu’aucune structure langagière ne peut contenir. Se souvenir c’est tarir la source pure des morceaux de temps que notre cerveau avait été capable d’enfuir au fond de nous tels quels, sans avoir besoin de leur accorder des mots pour en raconter les sensations et ainsi en découvrir les sentiments.
Le mouvement qui pousse Louis-René Des Forêts vers la connaissance profonde des choses, il en perçoit tout ce qu’il a d’illusoire. Ce ne sont plus les réponses qui peuvent satisfaire son flot de questions, mais le pouvoir d’être capable d’en poser encore et malgré tout.
De la vie, l’issue est identique pour tout le monde même si les analyses, les choix et les actes posés en connaissance de cause font en sorte que le parcours diffère.
Ostinato est assurément une mosaïque poétique car Louis René des Forêts interroge les outils dont il se sert pour explorer les confins d’un univers intérieur, d’un monde infini et indéfinissable. Il sait que pour évoquer l’inouï, l’intime, les mots, les phrases ne conviennent pas. Pourtant il n’est guère d’autre solution que de s’en servir. Sachant qu’écrire aboutit forcément à un leurre, s’empêcher d’écrire serait vécu comme une lâcheté.
D’illusions en illusions, par quelle magie se montrerait la réalité telle qu’elle doit forcément être? Devenir poète n’est-ce pas accepter de tenter l’exploit alors que l’on sait que la partie est perdue d’avance? Partir sachant que le pays qu’on désire atteindre est inaccessible même en ayant franchi le dernier seuil de la vie?
La position du poète, la position intellectuelle de Louis-René Des Forêts n’est pas tenable pourtant il faut s’y tenir, la tenir comme on tient un avant-poste. Les progressions sont une illusion et se rendre compte qu’on a été leurré, qu’on s’est trompé n’est pas une progression.
Le livre est un long et sinueux voyage pourtant il n’emmène pas ses lecteurs en des lieux exotiques et lointains. Il ne résout rien et son auteur ne livre aucun secret, n’énonce aucune vérité. Par pudeur, par rigueur et par justesse. Pourtant ce livre a eu l’effet sur moi une d’une révélation, d’une confirmation de mes intimes convictions concernant l’écriture. L’écriture de ma propre vie et sa lecture confiée aux doutes, aux remises en jeu. L’écriture de la poésie qui ne peut avoir d’intérêt que si elle comporte en son sein les multiples réseaux des lectures possibles parce que l’auteur les aura imaginées et les aura posées sur les routes de ses lecteurs. Si le hasard est un élément incontournable pour la formation du vivant, le poète se doit de relever le défi de le déjouer. La poésie participe ainsi à la construction d’un monde, mon monde. Je peux affirmer que ce monde grâce à ce genre de lecture n’a rien de narcissique, de vaguement allusif, de faussement mystérieux. Les textes que je place au rang de poétique sont toutes à la fois ludique (car comment parcourir un labyrinthe si l’on ne prend pas part au jeu) minutieux, lucide quand à ses propres résultats de poète. Rien de ce qu’on écrit n’est jamais complètement satisfaisant, c’est un travail qu’il faut toujours reprendre et recommencer. Au début du livre nous sommes prévenus:
« La plupart des fragments recueillis ici ont déjà paru en diverses revues. L’auteur y a joint quelques inédits sans se soucier toutefois d’assurer un équilibre à cet ensemble dont la publication n’a pour objet que de rendre accessibles les éléments épars d’un ouvrage en cours, son état provisoire excluant toute possibilité d’organisation et sa nature mme la perspective d’un aboutissement. »
Tout au long de son livre, Louis-René Des Forêts se contente simplement d’être le plus honnête et lucide possible. Pas un seul des textes n’est écrit à la première personne car ce qu’il évoque finit pas dépasser la simple question de soi-même.
Les deux passages suivants pourraient exprimer les raisons de ce choix.
« Adolescent oublieux de son corps, si fallacieusement épris de son âme qu’il la creuse en ses profondeurs comme on force une porte qui n’ouvrira nulle part. » P61
« La troisième personne pour s’affirmer contre le défaut de la première. Il est ce que je fus, non ce que je suis qui n’a pas de présence réelle. A moins d’y voir l’unique et dernier recours pour se décharger de sa personne.
Non, ce n’est ni lui ni moi, c’est le monde qui parle.
C’est sa terrible beauté. »
Tous ces autres passages, je l’espère feront découvrir toute la justesse des fragments que Louis-Réné Des Forêts nous donne à lire, à relire mais aussi à réécrire sans jamais être en mesure de terminer.
« Le chemin où il s’est engagé de son plein gré, il ne pourrait le quitter qu’en se jetant dans le fossé, à bout de force. Mais que gagne-t-il à s’y attarder, sinon qu’à porter ailleurs ses pas il s’enfoncerait en des ténèbres plus épaisses où il ne se verrait même pas disparaître?
Ici du moins l’obscurité lui est devenue si familière qu’il explore chemin faisant avec l’espoir très faible, il est vrai, de déboucher sur une issue: la meute de ses doutes fait cercle autour de lui, en fidèles compagnons, en gardiens vigilants. Presse-t-il le pas pour creuser les distances et parvient-il à les semer, ils ont tôt fait de le rattraper. Au terme de ce cruel jeu d’usure, le moment venu, ils lui sauteront à la gorge. » p81
« Marcher pour marcher avec une ardeur que rien ne modère, pas même l’essoufflement, pas même l’inutilité de ses pas aussi privés de but que ceux d’un vagabond auquel peu importe où ils doivent le conduire. » P87
« Une main pieusement tire les rideaux sur le ciel où glisse avec lenteur un nuage glacé de rouge.
Depuis la nuit des temps, le soleil, toujours ce même soleil qui étale à l’ouest sa splendide boucherie avant de plonger en terre. » P91
« Premier éclat de lucidité: le cri perçant du tout nouveau-né arraché au rien pour vivre dans le non-savoir et la peur de ce rien où il sera tôt au tard rejeté sans ménagement comme un propre à rien ». P204
« Là où manquent les moyens d’expression ne bat que d’une aile la mémoire atrophiée. »
P212
« Où puiser la force nécessaire à la recherche de ce qui n’a d’existence que par défaut et n’exerce sur lui un tel pouvoir d’emprise qu’en raison de son inaptitude à le définir tout autant qu’à y accéder? Une recherche que n’anime aucun espoir et qui ne saurait apporter de certitude ni se fonder sur aucune, en quoi sans doute ce terme de recherche est impropre ». P217
©Lieven Callant
source image:Esprits Nomades
Très intéressante lecture d’Ostinato. « Sachant qu’écrire découle forcément sur un leurre »… ou : « d’un leurre » ? Ce détail m’interroge… « repose sur un leurre ? »
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Merci pour cette remarque, vous avez l’œil et le soucis de la perfection, cela devient rare. J’ai modifié
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