Les éclopés du rêve, histoires courtes de Nicole Hardouin, Préface de Jean-Paul Gavard-Perret, Les impliqués Éditeur, Paris, 2016

Chronique de Claude Luezior

9782343080802r
Les éclopés du rêve, histoires courtes de Nicole Hardouin, Préface de Jean-Paul Gavard-Perret, Les impliqués Éditeur, Paris, 2016

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Ascèse ébréchée, silence qui s’effrite… Par sa prose poétique, Nicole Hardouin nous propose une brassée de contes fantastiques issus d’un monde onirique. Le magnifique tableau de l’artiste-peintre Gil Pottier reflète bien, sur la première de couverture, une manière d’inquiétude, voire de désespérance que l’on perçoit à la fin de chacun de ces textes courts. Toutefois, le corps du texte  n’est pas triste. On y perçoit un humour acidulé, un tableau balsacien de la société, des caractères attachants jetés sur papier comme autant d’esquisses. Bien entendu, l’ironie ne va pas sans tendresse, voire un zeste d’érotisme. Univers contrasté, tantôt à la Chagall, tantôt à la Munch : l’être vole ou se déchire, se joue d’une apesanteur colorée ou hurle en sa solitude démesurée.
Dans sa préface , l’écrivain et critique Jean-Paul Gavard-Perret souligne à juste titre cette traversée des temps. Au pluriel, car chaque personnage a sa propre équation temporelle, son rythme singulier. Ces légendes empruntent d’ailleurs leurs références tout autant à la civilisation grecque (Midias, par exemple) qu’au Moyen Âge (allusions à Villon), à la vie romaine qu’à un tableau de Soulages, à telle réception mondaine qu’à la taïga russe et ses immensités peuplées de loups (bien particuliers, d’ailleurs). Tour à tour, le lecteur est entraîné  sous des arcatures mauresques ou dans l’ombre démesurée de l’église de Larchant. Frottements intimes entre diamants orientaux et salles capitulaires.
Chaque fois, Hardouin recrée en quelques lignes une atmosphère qu’elle ne clôt surtout pas de manière définitive car toute chute du conte, bien que grave, laisse place au rêve : songe ébréché aux connotations tragiques mais dont l’intemporalité laisse une manière d’espoir.
Revenons au style particulier de cet auteur qui s’est déjà affirmé dans nombre de  recueils poétiques reconnus par ses pairs. Avant tout, Nicole Hardouin a le sens inné de la rencontre des mots. Création instinctive, j’allais dire volcanique d’images : Dans le square encore fermé, le brouillard du matin, architecte fantasque, s’amuse à mille facéties. Il accroche ici et là des touffes de brume, habille les chênes d’un fourreau mœlleux, estompe les impatiences pour les transformer en émergences ouateuses.
Par leurs dialogues syncopés et leurs tourments, ces éclopés de la vie ont peuplé nos rêves, le temps d’une lecture émerveillée.

©Claude Luezior