Stéphane Mallarmé ; Le temps d’une poignée de main ; édition établie et présentée par Martin Melkonian ; Éditions À dos d’âne, 144 pages, 12,50 €

Chronique de Nadine Doyen

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Stéphane Mallarmé ; Le temps d’une poignée de main ; édition établie et présentée par Martin Melkonian ; Éditions À dos d’âne, 144 pages, 12,50 €

Sur la couverture du livre, un encrier est au premier plan. À proximité, la main à plume s’apprête à tracer sur le blanc d’un feuillet. Grâce à la prise de vue de Nadar, on perçoit d’emblée la beauté du geste épistolaire de Stéphane Mallarmé.
Martin Melkonian a extrait de la nombreuse correspondance du poète « les formules de salutation qui saillent au début des lettres, à la fin, dans leur cours et quelquefois à plusieurs reprises au sein d’une même lettre ». Ainsi, une grande variété d’adverbes nuancent-ils le serrement de main : « cordialement », « chaleureusement », « affectueusement », « longuement », « loyalement », « pieusement », « douloureusement », etc. La main serrée, somme toute banale, a pour corollaire la main pressée ; mais elle est plus affective ou plus affectueuse. Il en découle une variation qui semble infinie. La main tendue, plus volontaire, fait également son entrée sur la scène de la correspondance. La main fraternelle, quant à elle, est franche. Elle s’avance sans précaution d’aucune sorte, crève pour ainsi dire la page, est sur le point de toucher celle du destinataire de la missive. Elle a l’autorité du désir, la force du partage, la simplicité de la demande : « La main. » C’est bouleversant.
Un chapitre de Le temps d’une poignée de main est consacré aux effusions de nature plus intimes. On passe alors du surprenant « Ronronnez de moi » à des formulations murmurées, délicates, mélodieuses, amoureuses, comme : « Je voudrais que cet appuiement de lèvres même lointain conjurât toute souffrance au futur et te fit souriante. »
En Nota Bene, Martin Melkonian invite tout comédien à s’emparer de ces phrases et fragments de phrases orchestrés afin d’« en proposer une interprétation sensible ». Il se réfère en l’occurrence à la cantatrice Cathy Berberian pour qui « l’émotion du style est dans la voix ».
À l’heure des échanges par textos, mails, tweets, et autres smileys, Martin Melkonian met en lumière des élégances qui ont disparu, ne serait-ce qu’à cause de l’usage sans frein des outils modernes de la communication. Saluons son ambition à vouloir fondre un médaillon à l’effigie de celui qu’il appelle avec révérence et justesse « l’ami poétique numéro un ».
Ouvrez vite cet ouvrage original dont la maquette inédite ne manquera pas de vous séduire, car elle offre une évidence et un confort de lecture inégalés. Typographiquement, donc visuellement, ce sont parfois deux mains, deux mains humaines, qui se tendent vers vous. Tant il est vrai que dans Le temps d’une poignée de main, page après page, c’est l’émotion qui l’emporte.

©Nadine Doyen