Béatrice Libert, La sourde oreille et autres menus trésors, illustrations de Pierre Laroche, collection Bleu Marine, Éditions Henry, 48 p, 2020. 

Une Chronique de Pierre Schroven

Béatrice Libert, La sourde oreille et autres menus trésors, illustrations de Pierre Laroche, collection Bleu Marine, Éditions Henry, 48 p, 2020.


Dans ce recueil pour la jeunesse, qui ne manquera pas de ravir les adultes, Béatrice Libert revisite, avec malice et subtilité, les expressions toutes faites de la langue française. Avec la complicité du peintre et graveur Pierre Laroche dont les collages exquis ne sont pas étrangers à la magie qui se dégage du livre, Libert « créadivague »  à souhait et s’emploie ici, par un habile jeu langagier, à susciter le rire, l’émotion, le rêve, l’étonnement, l’émerveillement et bien sûr le plaisir d’écrire.

L’auteure a eu la bonne idée d’adjoindre à ce recueil un carnet pédagogique (en accès gratuit sur www.beatrice-libert.be et www.editionshenry.com) qu’elle a conçu, entre autre, pour permettre aux enfants d’élargir leur champ d’inspiration. À travers ce livre éminemment lumineux, les deux artistes, aussi complices qu’inspirés, célèbrent la beauté,  rompent avec la réalité donnée et ouvrent à l’imaginaire ; mieux, ils unissent leur talent avec bonheur  pour permettre aux lecteurs, jeunes comme moins jeunes, de retrouver le goût des mots et des…autres.

Tourner sept fois la clef  

La maison a des regrets

De coquillages et de goélands

Un tilleul lui tisane des contes

Lorsque tombe le soir

Toujours à l’improviste

Il suffit alors à la lune

De tourner sept fois la clef

Dans la serrure de l’imaginaire

Pour que prenne langue

Sur les pages des toits

Un alphabet d’étoiles             

© Pierre Schroven

Gilberte Dewanckel, Pierre-Jean Foulon, Le silence du monde, Thuin : Editions du Spantole, 2020

Une chronique de Pierre Schroven

Gilberte Dewanckel, Pierre-Jean Foulon, Le silence du monde, Thuin : Editions du Spantole, 2020


Composé entièrement à la main en Chambord corps 12 par Etienne Olivier, ce recueil, enrichi de deux linogravures de Gilberte Dewanckel, est l’occasion pour Pierre Jean Foulon d’interroger les limites de la visibilité, d’approcher ce qui n’a pas de visage et de mettre au jour une réalité autre.

Dans ce livre, les deux artistes s’unissent avec bonheur pour révéler la fragilité de l’existence, renouer avec la présence et embrasser certains territoires invisibles du réel. Soucieux de nous offrir une plus grande proximité avec un monde qui ne correspond en rien à l’idée qu’on s’en fait, ils tentent ici d’ouvrir un espace à un silence qui n’a d’autre message que la vie dans son mouvement, son mystère et sa lumière.  

Il ne faut jamais choisir d’itinéraire. Il suffit d’attendre que les routes s’offrent à soi en un dédale de vergers ou un labyrinthe de forêts

©Pierre Schroven

Linogravures de Gilberte Dewanckel imprimées en noir
Composé en typographie manuelle en caractères Chambord corps 12 et imprimé à la Maison de l’Imprimerie de Thuin par Étienne Olivier 75 exemplaires sur papier Ingres
17 x 14 cm, 24 p., co.

Éditions du Spantole : le site

Isabelle Bielecki, La maison du belge, préface de Myriam Watthee-Delmotte, Bruxelles : M.E.O., 2021

Une chronique de Pierre Schroven

Isabelle Bielecki, La maison du belge, préface de Myriam Watthee-Delmotte, Bruxelles : M.E.O., 2021


Les russes se jettent dans tout avec toute leur âme alors que les belges commencent à réfléchir.

Ce roman est le dernier volet d’une trilogie (les mots de Russie, les tulipes du Japon) évoquant la quête existentielle d’Elisabeth, la fille d’un couple russo-polonais installé en Belgique, qui aura fort à faire pour se libérer tant de la servitude de ses passions destructrices que du poids du passé (une famille divisée, liée à la guerre et à la déportation) ; en effet,  instrumentalisée par un père au passé militaire trouble, brimée par sa mère  et manipulée par un amant aussi égoïste que cynique, Elisabeth devra composer longtemps avec les manques vécus dans son enfance, les vieux schémas familiaux et les contraintes que lui imposent les « hommes de sa vie » avant de pouvoir revenir à  elle, gagner son autonomie, assumer pleinement sa vocation littéraire et en définitive, se mettre au monde…

D’une manière générale, ce roman met au jour la destinée d’une femme qui, en dépit de ses multiples déceptions sentimentales et familiales, puisera au plus profond d’elle-même, la force nécessaire pour suivre son propre désir, pardonner à ses « bourreaux », exprimer sa nature d’artiste et enfin, restructurer sa personnalité dissociée par le temps, l’espace et les autres ; mieux, ce roman narre magistralement les péripéties amoureuses et existentielles d’une femme qui, refusant  d’être admirée voire aimée pour ce qu’elle n’est pas,  exprimera ses doutes quant à tout ce qui l’empêche d’être elle-même voire la force à vivre dans le devoir être,  la peur et le ressentiment…

Parmi les thèmes majeurs évoqués, citons, entre autres, le pouvoir des mots, le soviétisme, la mondialisation, la révolte, le capital, la liberté (une conquête plutôt qu’un don du ciel ), le couple, la passion amoureuse et le …taoïsme (tu crées ta propre souffrance car tu attends ce que tu imagines au lieu de prendre ce qui vient).

Eclairé par la judicieuse préface de Myriam Watthee-Delmotte, ce livre est une ode à l’amour sous toutes ses formes, une invocation à la sensualité libérée, un plébiscite pour l’écriture littéraire et enfin, une invitation à entrer en nous, à nous rapprocher du mouvement de la vie pour percevoir ce qui est et par là-même, ce que nous sommes vraiment. Avec « La maison du belge », Isabelle Bielecki signe un roman qui parle le langage du cœur, du corps et d’une forme de liberté basée sur l’accomplissement de soi. Une réussite à tout point de vue !

A nouveau tu m’as mise en garde : Fais attention ! La pitié est une chose affreuse. N’y succombe jamais car il va l’exploiter.

Malgré cet avertissement, malgré mes résolutions, je recommençais à attendre un coup de fil. C’était plus fort que moi. Quelque chose en moi refusait de mourir. La nuit, je faisais des cauchemars. En rêve, je faisais un bond dans mon passé, j’étais à nouveau avec lui, incapable de le quitter.

C’était le même scénario qu’avec mon père. Une enfance à l’aimer à la folie, et une vie entière pour m’en arracher. Car l’appel de Ludo que j’appréhendais était le même que celui de mon père, sombré dans la parano la plus noire après le suicide de ma mère. Combien de nuits ne m’avait-il pas harcelée ! Chaque fois, j’avais espérer entendre l’homme que j’avais idolâtré, celui qui allait me protéger contre le pire et chaque fois c’était lui. Et lui seul.

Dans les deux cas, « maia dorogaia », j’ai espéré le retour d’un homme qui n’existait plus. Qui me dirait, enfin, les mots que j’avais attendus pendant des années.

                                                                                                                  ©Pierre Schroven

Béatrice Libert, Arbracadabrants, avant dire-d’Eric Brogniet, Châtelineau : Le Taillis Pré, 2021

Une chronique de Pierre Schroven


Béatrice Libert, Arbracadabrants, avant-dire d’Eric Brogniet, Châtelineau : Le Taillis Pré, 2021


Dans ce livre, Béatrice Libert affirme  avec brio son amour inconsidéré  pour les mots qui, sous sa plume, deviennent ici les fiers et joyeux ambassadeurs d’un merveilleux,  d’une joie et d’une  pensée décrochant avec le bon sens et le sens commun ; mieux,  elle met ici au jour une  seconde réalité, parodie certaines affirmations et valeurs culturelles établies tout en posant avec une apparente désinvolture, la question du statut du réel et de sa perception. En effet, traversé de suggestions érotiques, d’humour léger et de « forces qui résistent », chaque texte du recueil possède cette faculté d’éveil propre à nous faire retrouver la vie « perdue » derrière les gestes et les pensées codées.

A travers cet ouvrage, l’auteure tend d’une certaine manière, à ressusciter l’enfant en nous et, à l’instar de  certains peintres, nous propose une série de « tableaux » permettant à l’œil de basculer du côté d’un ailleurs où il ne « reconnait » plus rien ; ici, le cœur des choses bat autrement, la beauté rayonne, le mot est ouverture, l’écriture dérange le sens et par certains aspects, rend le réel recomposé. En Bref, « Arbracadabrants » est un livre jouissif qui voit l’auteure faire délirer la langue, chercher une autre réalité voire créer des images susceptibles de transfigurer le connu, de susciter l’émotion, de générer le rire et enfin, d’éveiller en nous le culte de l’émerveillement quotidien.  

Madrier : arbre à poutres

Il s’entend comme larron en foire avec le bélier, géant végétal qui fleurit depuis le haut Moyen-Âge.

Lourdaud, costaud, bougon, le madrier, qui ne badine jamais, semble prompt à trouver la paille dans le bourgeon de ses congénères plutôt que la poutre dans le sien.

Si on le lui pardonne, c’est à cause de son grand âge, mais aussi à cause de son sérieux dans l’art de la déconstruction.

                                                    ©  Pierre Schroven 

Salvatore Gucciardo, Ombres et lumières; préface de Giovanni Dotoli ; Paris : L’Harmattan, 2019

Une chronique de Pierre Schroven

Salvatore Gucciardo, Ombres et lumières; préface de Giovanni Dotoli ; Paris : L’Harmattan, 2019 


Ce livre érige le mystère comme étant le fondement de notre être. En effet, le poète n’ignore pas que si dans l’instant, tout est là, rien n’est encore connu. Pour Gucciardo, la poésie est à la fois recherche de l’ici et de l’ailleurs ; elle va bien au-delà du temps, des nations, des espaces voire du bon sens et du sens commun. C’est ainsi que dans cet ouvrage, le poète passe  l’humanité au crible pour en extraire « ce qui est bon » et par la grâce du jeu poétique, tente d’introduire des perspectives susceptibles d’améliorer ce qui peut l’être voire de briser la chaîne des certitudes qui fige nos vies. Par ailleurs, on est frappé ici par la finesse des perceptions et surtout par la force brisante des images un rien surréalistes qui contribuent à ouvrir le champ des possibles tout en permettant une vision physique et métaphysique de l’inapparent radical. Parcouru d’un singulier souffle cosmique, « Ombres et lumières » est un récit qui nous fait prendre en compte la merveille d’être là, révèle notre part divine et en définitive, initie une nouvelle manière de vivre, de penser et… d’aimer.

« Il ne faut pas combattre le temps. Il faut chevaucher la lumière.

Agir comme un oiseau, au milieu d’un soupir. Opérer comme un loup dans la peau d’un phénix. S’enivrer des délices tout en visionnant les écueils.

Sublimation virtuelle

La peau et les os

Le regard suspendu

Vers le cerf-volant

La perle d’eau

Se conjugue au silence

Déposant sur l’âme

L’écume des limbes

La voie lactée exulte en composant la symphonie des courbes. L’espace transcris sur le livre des étoiles le parcours primitif… »

© Pierre Schroeven