Une chronique de Jeanne CHAMPEL GRENIER
Pierre MIRONER, ENCORE UNE COUCHE, Poésie, -Ed. Menu Fretin.
Par ce titre à connotation humoristique, l’auteur coupe court à tout lyrisme d’emblée qui pourrait banaliser le sujet du recueil. En effet, lorsqu’il est question de neige, il y a danger! Il est si facile de glisser vers la description. Il suffit d’aligner les poncifs de blancheur et de pureté traditionnelles, et de glissade en glissade, la chute d’attention par défaut d’intérêt en devient inévitable. Mais ici : aucun danger de »déjà vu » !.
En séjour de santé dans les Vosges, Pierre MIRONER, gagné par la beauté et la force du site enneigé, entame ce que l’on peut appeler un journal, puisqu’il nous annonce, dans son Avant-propos, »avoir noté jour après jour les variations du paysage neigeux ». Tout en regrettant les effets néfastes de »la haute technologie et le déferlement des machines », il se propose de nous extraire »quelques mots susurrés à lui par Dame Nature, comme s’il s’agissait du message sibyllin d’un autre monde »
Un simple tableau, un croquis, pour commencer de la part d’un poète qui a un bon coup de crayon,
Soleil et neige
couple idéal
portail ancien
chien qui aboie(P.6)
et puis des signes positifs pour quelqu’un venu rétablir sa santé:
La force de la neige sur les sapins
la force de l’eau ruisselant sous la glace
la force de l’eau courante en montagne
cette vie qui ranime les linceuls blancs !(P.7)
Il s’agira aussi de regretter, en forêt domaniale de Haute Meurthe, l’intrusion du progrès : ici, les trop nombreuses et bruyantes automobiles heurtent la sensibilité du poète qui est aussi musicien :
Ces machines me tuent l’esprit / me ravissent ma vie et ravivent / toutes les douleurs, tous les chagrins.
Pierre MIRONER qui aime l’art et qui dessine, décrit ce qu’il voit de façon précise :
L’hiver transforme les sapins en arêtes de poissons,/ pourtant, même à basse altitude, la terre entretient ses fourrures…(P.9)
Plus loin en page 11, il s’agira du bruit des eaux de la Petite Meurthe :
»Ce discret mais essentiel grondement
m’a toujours fait penser à des applaudissements nourris
et unanimes, dans une salle à grand spectacle…
Et le poète de soliloquer :
et pourquoi à l’odeur un feu de cheminée
m’apparaît-il soudain si bon pour la santé
tandis que la carbonisation lente de l’espèce humaine
se poursuit au hasard du passage des bolides ?
Et puis de comparer la vie magique de la neige à celle de l’homme :
Mais la neige avant de mourir
se permet des instants de mystère,
des sculptures inouïes qu’elle nous demanderait
presque de lécher…(….)
car elle seule est capable
de transparences qui justifient l’union
du verre avec son eau ( P.19)
Nul homme n’a réussi quelle que soit son intelligence à faire coïncider le contenant et le contenu humain ; l’apparence physique et la vie intérieure, comme le fait la neige devenue glace : »l’union du verre avec son eau »
Mais la sensation de trésor fragile est là :
Mille reflets évanescents de bijouterie
Oh combien de carats illusoires
en chaque pas broyant un paquet de biscottes( P.22)
Et plus loin, se rappelle à l’auteur une originale image de fête :
La tranche fraîche de l’arbre tronçonné
claire comme du beurre,
ou la crème des bûches de fêtes….
Retour empressé
par les sentes
de douce meringue (P.24)
L’ambiance hivernale où la neige transforme tout, réveille les dons de peintre du poète à l’oeil exercé : vous avez dit : blanche, la neige ?
La surabondance de nivosité produit des noirs
des gris et verts que je n’obtiens pas sur ma palette( P.29)
On le voit, ce recueil d’une soixantaine de pages est un voyage attentif de reconnaissance où Pierre MIRONER note ce qu’aucun œil, aucune oreille avant lui n’a noté avec autant de personnalité, de justesse, de poésie et de finesse. De nombreuses pages abritent cette grandeur de vue éloignée de toute description vieillote habituelle consacrée au paysage enneigé :
» Les Danaïdes déversant sur nos têtes / deux mille ans de débris d’hosties… un bon mètre de noblesse sous le pied . »( P.45)
Il sera alors bien temps, d’autre part, de se désoler avec l’auteur, conscient des changements du climat, à l’heure où les neiges éternelles fondent :
On ne te regarde plus, Dame Neige
on ne tient plus compte assez de toi
qui recule, t’atrophie, te tasse, te cimente
et te dérobe jusqu’à disparaître( P.61)
Et puis une réflexion positive sur la vie et sur la nature malgré tous les dangers :
»Mais pour ces jours « comptés », comment
ne pas m’extasier devant la prise de pouvoir
en noir et blanc du climat (P.46)
ENCORE UNE COUCHE ! Voilà que ce beau recueil, riche encore de tant de fines observations à la fois musicales, artistiques et poétiques, sans compter les craintes prémonitoires qui sont plus que des allusions quant au changement climatique, justifie amplement son titre :
Encore une couche… de poésie fine sur les sommets ! On en redemande !
Prix 12 euros. A commander à Pierre MIRONER 286 Rue du Toulbodou Cité Ursulines porte 3 50320 LE FAOUËT- Bretagne

