Une chronique de Lieven Callant
pierre gondran dit remoux, trois cailloux au fossé, métamorphies, Cardère Éditions, 104 p, janvier 2023,12€
Quel est l’enfant qui en se promenant n’a jamais ramassé de cailloux? Pour être en mesure de retrouver son chemin tel le Petit Poucet et ses cailloux blancs? Pour le plaisir de leur formes et la joie de les voir ricocher sur l’eau? Pour étayer une collection secrète et magique? Pour révéler une appartenance à la terre. Nos lointains ancêtres se laissaient déjà fasciner par les roches pour en faire des outils ou des objets à valeurs symboliques différentes.
Les textes sont présentés sans titre et sans la moindre majuscule. Tous les mots sont égaux face à la règle que crée le poète. Des petits blocs de phrases sont suivis d’une expression ou d’un mot repris du texte et du mot, de l’expression ou de la lettre qui commencera le prochain texte de la prochaine page.
Suivons le cheminement par ricochets proposé par ce livre. Les mots ont valeurs de petits cailloux. Les minéraux servent de socle à une multitude de mousses et de lichens et les mots de socle à l’histoire dont nous ne comprendrons la mesure renversante que par les révélations données à la fin du livre.
Entre-temps, ce qui se développe entre les lignes, c’est une réflexion sur l’enfance, sur l’errance et l’immense liberté dont elle se nourrit. Ramasser des cailloux implique un choix qui ne peut se faire qu’en portant son regard vers le sol. L’attention va aux végétaux, aux spores, aux champignons et à la faune infime. En choisissant ses mots, le poète ne procède pas autrement, il y regarde de près.
L’auteur se fait chasseur-cueilleur de mots. Cueilleur surtout et sa collecte d’odeurs, d’ombres, de sensations est minutieuse.
lové dans les bruyères, les ogres de granit s’étirent et créent chaos, immobiles pour le temps des hommes. sais-tu l’horizon les failles qui vibraient jadis dans la masse alors intacte? —cela importe à l’homme: il passe ses mains le long des rochers courbes, sème délicat une poignée du sable arénique qui entoure les blocs.
lire les failles
quand?
P27
un clin d’homme ne peut trouver la réponse à l’énigme des choses lentes —il s’allonge dans l’arène au pied du chaos, le sable crisse à l’instant où il tressaille et s’endort.
crisse
lymphatiques
p29
Le poète erre et rêve: se glisser sous l’écorce épaisse des chênes! battre de son aile le nuage de pollen des sapins verts —ne pas être vide mais plein, telles les vacuoles turgescentes qui bâtissent le paysage.
il a rêvé un rêve-stolon comme ronce, lancer des arceaux vert tendre et griffus, explorer, marcotter — puis se détacher du pied mère et être ronce, de stolon en stolon ses songes voyagent farouches, enracinent des lieux vierges l’instant d’avant, envahissent les replis de la conscience — là où il n’y avait presque rien (terre fertile des désirs des hommes ou bien humus noir souvenir) le roncier compact en boucles corticales. quelques mûres, parfois.
quelques mûres
marcher
Je peux affirmer que l’union des mots réalisée par pierre gondran dit remoux marche. C’est musical, savoureux, riche. L’écriture semble nourrie et informée comme la forêt l’est par son entrelacement sous-terrain de mycorhizes opalines.
L’écriture du poète sous-tend un réseau fabuleux fait de connaissances précises, d’imagination et de savoir-faire.
À la page 84, on lit l’explication que donne l’auteur à « morphie » et à « métamorphories » mais l’on comprend déjà que ce que certains désignent par poésie n’est pas forcément ce presque rien de mots, ce tissu inouï d’images, de pensées, cela n’est qu’une de ses apparences, elles sont nombreuses et elles dépassent ce qui se désigne ou se décrit, se peint ou s’explique et se pense.
Peut-on réduire notre monde à sa métaphore? Même si c’est pour tenter de le comprendre? Notre action ne devrait-elle pas se limiter à une collecte sage plutôt qu’à un désir fou d’assimilation même amoureuse?
Ce livre de Cadère Éditions est une belle pierre à l’édifice magique de la poésie contemporaine.
© Lieven Callant