Une chronique de Jeanne Champel Grenier
Pierre MIRONER, LES LARMES DE PHAETON – Poésie – Éditions du Menu Fretin
Il s’agit d’un recueil de poésie dont la couverture blanche présente dans les tons gris-bleu la photo d’une famille de cygnes blancs sur un lac de grande amplitude d’où se dégage un sentiment mêlé d’élégance, d’immuabilité et de solitude immédiate.
Le titre : « Les larmes de Phaeton » dont le seul indice explicatif de l’auteur soit » Phaeton fils du Soleil, pleure sur Varsovie », Varsovie dont la famille de l’auteur était originaire. Et puis cet avertissement dubitatif qui me fut donné : » ce livre est difficile » ; il s’agit non pas là d’un trait d’orgueil, certes Pierre Mironer a fait ses études en Sorbonne, a été enseignant, et tout en découvrant la complicité du piano ancien et les musiques du XVIIe, a couru le monde comme le firent nombre de poètes tels Blaise Cendrars et plus près de nous Sylvain Tesson, ou un Blaise Hofmann ; ces mots » ce livre est difficile » sont presque une excuse, comme s’il n’avait écrit que pour lui-même ce grand voyage de joies et de larmes qu’est la vie, ou pour son père disparu à qui ce recueil est dédié.
Aussi, ne nous attendons pas à une prosodie régulière et compassée, il y a dans l’écriture de Pierre Mironer un gisement de richesses brutes et des explosions de lumière urgente ici et là indiquant la présence d’un trésor dont on ne veut déployer (comme le font souvent par orgueil les poètes) tous les filons, car il ne s’agit pas de briller, il s’agit de mesurer une vraie profondeur de douleur et de solitude. Toutefois il n’est pas question non plus de se retirer dans la prostration ou l’ascèse.
L’auteur écrit au vrai rythme de sa vie et au rythme du monde qui n’est pas celui où se suivent naturellement les alexandrins. Ainsi se présente sa »description » du célèbre et beau tableau de « La Dame à l’hermine » où Pierre Mironer avertit le lecteur sur le ton naturel de l’échange :
« Aligner des vers…/ ou raconter l’épopée turco-bulgare / ou les confluences balkaniques /comment le pourrais-je ?
La misère des cités d’Europe de l’est est fort grande / Inutile de traduire « La Ballade des Pendus » en polonais ( P.49)
Il en viendra donc à regretter cette fourrure d’hermine qui orne le col des riches bourgeoises :
« Un petit animal qui disparaît sous la neige des congères
elle a su le caresser, et depuis, il ne cesse de se retrouver en hiver
autour du cou des grosses dames de Krakow »(P.46)
Pierre Mironer évoque le voyage de toute une vie passée à rechercher des racines vivantes, sans en trouver. Il ne lui reste que les dieux de l’Olympe et de la culture comme Phaéton, ce fils folâtre du soleil dont il s’imagine être le semblable, ce qui lui fait dire :
« J’accumule les errances et les enfantillages
C’est cela que tu me reproches » ( P.31)
Aussi, n’espérons pas lire ici de la poésie »classique » bien »calculée » mais laissons-nous surprendre par exemple par un moment naturel d’admiration devant une tenture ancienne :
« ce chat qui tâte la température de la rivière / va-t-il marcher, courir sur l’eau »… se contredisent perchés / le cacaotès et un doux rapace…/ Il n’en faut pas plus pour oublier ce monde..
« La verdure la plus fraîche est sans doute celle de la cigogne, / qui prolonge de son corps oblong et de ses pattes de roseaux / le reflet des arbres »…( Musée de Cracovie)
Ainsi, Pierre Mironer a raison, la poésie est partout, et malgré une vie difficile à circonscrire, il suffit de regarder la nature (même si elle se raréfie), parfois même une œuvre d’art :
« Venez écouter le chant inouï des Oiseaux dans les musées
Et caresser la Création, caresser les créatures… »
Seul au monde, le poète ( à la manière de Heinrich Heine) se donne une ligne à suivre :
« Va comme la nuée répandant la brume
sur chaque chaume, et ne te laisse pas enclore
dans l’ajustement des tuiles d’un toit. » ( P.35)
Je retiens entre mille autres beautés ce « Petit bestiaire de circonstance »
où l’auteur à l’oreille musicale nous laisse écouter :
« le cliquetis dérivé du trot de l’haridelle sur les promenades » ( P.25)
Ce livre est une confession, une invite poétique plus en prose qu’en vers, et peut devenir un ami si l’on sait se détacher des habitudes comme le souhaite Pierre Mironer en page 38 :
« Viens au monde un Kerouac entre les dents
peut-être au contraire de moi te sentiras-tu « en famille » ici-bas…
consolide ton ashram littéraire, bien loin du parking terrestre »