Lectures de Mars 2022 de Patrick Joquel

www.patrick-joquel.com


poésie

Titre : La relève

Auteur : Jean-Christophe Ribeyre

avec des œuvres de Marie Alloy

Éditeur : L’ail des ours

Année de parution : 2022

Je voudrais habiter 

l’imprévu,

ce temps choisi 

de la lenteur,

ce temps de sève

qui ne se gagne pas,

ne se perd pas, celui, simplement,

qui met au monde.

Je voudrais descendre 

du train où vont les choses,

Un arrêt. Une pause. On en rêve tous une fois ou l’autre. Prendre un livre en main et le parcourir offre une de ces pauses. Tranquille avec le regard errant de la page à le fenêtre ; songer, réfléchir, écouter puis laisser le rien nous porter de sa présence. Comme un retour à l’essentiel.

Ce livre invite le lecteur à respirer. Souffler. À en tourner lentement les pages. À entrer dans son rythme lent et suivre ses désirs. Beaucoup de pages commencent ainsi par

Je voudrais

comme si au-delà de ce désir on se donnait une feuille de route, un novueau projet de vie ou simplement une invitation à vivre plus haut son quotidien. À vivre plus profond. Plus en conscience de l’éphémère, de ce monde flottant qu’on aperçoit entre les lignes du poème.

Comment ? Déjà en descendant de ce train où vont les choses. Prendre sa journée en main, la conduire ; mais aussi avec les mots. Avec le langage. Mettre des mots sur les jours. Tenter d’être juste entre les mots, sa vie et soi. Avec la conscience que toujours demeure un écart entre le poème et la réalité quotidienne.

Tout revient et se perd

comme les visages,

les mots,

qu’ils se tournent vers nous,

nous habillent

de croyance,

de doute,

tout se tait

et s’en retourne au fossé

dans l’indifférencié,

le redondant.

Oser, tenter l’accord

Je voudrais répondre en ami

au bruissement des saules ce soir,

aux rayons timides

au vent venu tourner 

les pages d’hortensias,

remercier ce qui

m’illumine

et me fait peur,

ce qui chantent et me lapide,

consentir

aux transparences,

aux foisonnements,

à la mort même

trouvant cette page, 

à ce qui fut

comme pour l’éternité 

ma vie d’une journée.

Une des voies de la poésie touche à ce que j’appelle lorsque je parle poésie aux enseignants au savoir-être : un savoir être au monde. Une voie qui s’approche du Tao, une voie que l’on trouve particulièrement dans les poèmes chinois ou japonais du passé, mais pas seulement du passé : du présent aussi et pas seulement chez les auteurs asiatiques, mais aussi en Europe. Ce livre de Jean-Christophe Ribeyre à mes yeux marche sur cette voie. 

Sans donner aucune leçon, sans apporter aucune réponse, il nous dit simplement

je voudrais être là,

simplement,

sans jeter d’images.

Sans avoir à frapper

aux portes du langage.

Simplement m’éprendre.

Ne foisser,

à aucun prix,

la robe des choses tues.

À lire dès la fin du college et jusqu’à plus soif.


Titre : J’attends la venue du grand froid

Auteur : Fitaki Linpé

Images : Pauline Collange

Éditeur : Via Domitia

Année de parution : 2 021

15 €

Un recueil de haïkus à lire au coin du feu si on a une cheminée ou sinon en imaginant la cheminée. Ces heures que l’on passe à regarder les flammes, les braises tandis que dehors tempête l’hiver ou simplement le froid bleu ou gris… Des heures de contemplation. De silence. Des heures avec ce compagnon discrètement présent pendant que l’on vaque à sa lecture, sa cuisine ou son ménage ou à l’écriture.

Le feu. Ce face à face vieux d’environ au moins 400 000 ans (Terra Amata et son feu maîtrisé), on n’est pas à un jour près, ce face à face donc entre l’homme et le feu… contempler un feu c’est se renouer à toutes ces veilles… répéter des gestes plus que millénaires… C’est être humain aussi, et simplement.

Sous le bois qui brûle

les braises palpitent

j’attends la venue du grand froid

devant le feuilles

mon invité boit du vin chaud

moi ses silences

petit matin froid

le feu et moi

plein d’entrain

soir et matin

à la paresse

le feu m’encourage


Titre : Dans le bonheur d’aller

Auteur : Jean-Hugues Malineau/Françoise Naudin-Malineau

Éditeur : Pippa

Année de parution : 2 020

16€

Haïkus 1989 à 2018, en sous titre. Un recueil de haïkus, mais pas n’importe quels haïkus, non : ceux que le couple envoyait à ses amis en guise de carte de nouvel an. De petits cahiers imprimés et façonnés à la main. J’ai la joie d’en avoir reçu quelques uns, et de les garder précieusement.

Un parcours de vie. De vie partagée. Chaque haïku comme un jalon de cette histoire, comme un cairn sur le chemin.

Poésie la vie entière écrivait Cadou. Les Malineau en sont complices et acteurs. Je vous invite à découvrir ces pages, à vous y arrêter un moment, là où vous vous sentez en écho, à respirer les parfums du haïku. Chacun y trouvera sa joie, la paix et du songe car telles sont les voies du haïku. Quelques syllabes et l’infini à portée de paupières.

En voici trois qui me résonnent bien en profondeur.

Le silence est 

peut-être 

le parfum des pierres

Rives silencieuses 

une libellule bleue 

incline un roseau

Un temps infime

entre la dernière hirondelle

et la première chauve-souris

https://www.pippa.fr/Dans-le-bonheur-d-aller?var_recherche=dans%20le%20bonheur%20d%27aller


Titre : Éphéméride, feuilles détachées

Auteur : Anthologie

Éditeur : Pourquoi viens-tu si tard

Année de parution : 2022

Une anthologie fort sympathique sur le thème du Printemps des Poètes 2022, accompagnée de photo de Marilyne Bertoncini, des feuilles d’automne, encore à l’arbre ou sur le sol. Comme les pages qu’on effeuille sur un éphéméride. Une ambiance douceur, une ambiance couleur. Un brin de nostalgie : le temps qui passe, les souvenirs en suspension et leur chute aérienne, évanescente suivie de ce petit bruit au contact du sol. J’ai été, je suis, je… 

Des poèmes divers, comme dans toute anthologie, chacun y fera son marché. Personnellement j’ai mis dans mon panier les poèmes de Antje-Stehn, Marilyne Bertoncini (comment résister à un poème sur le kaki quand il est présent dans un de mes albums et dans chacun de mes automnes?), Brigitte Broc et son « passagère du poème,

je vais,

jusqu’au bout de la page,

jusqu’au bout de la nuit. »

ou bien Ghislaine Lejard avec ce haïku

« Calames dans le jardin

sur la page du ciel

une calligraphie de silence »,

et tant d’autres à découvrir…

Une autre particularité de cette anthologie, c’est son ouverture au monde : des poètes de plusieurs pays sont présents avec leur poème en langue originelle et traduit (parfois en passant par l’anglais). Une heureuse initiative à saluer.

****

Fièrement se dressent

les pissenlits

sur les ronds-points

dans le vacarme des zones

de transit frénétique

Je les rencontre tapis

au niveau du regard des chiens

Des grappes de rayons filtrent

à travers les douces tiges de papier

vélin

tout flotte comme le feuillage

dans le jeu clair-obscur

d’une forêt magique

subtile et si légère

presque transparente

de sphères de graines rayonnantes

riches d’infinis possibles

il suffit d’un souffle de vent

pour une vie nouvelle

dans les fissures du quotidiennement

C’est mon Komorebi

drogue du bonheur made in Japn

on la trouve à n’importe quel coin de rue

n’importe quand.

Komorebi : ce mot japonais désigne la lumière du soleil qui filtre à travers les feuilles des arbres.

Antje-Stehn

****

Les kakis

L’automne est un brasier tourmenté

il enflamme les feuilles de l’arbre qui se tord

sous le poids de ses fruits

braises promises à tes lèvres

La laque rouge du feuillage ensanglante le ru

et le fruit dans ta main a le poids un peu mou

d’un sein vermeil et doux sous la soie de sa peau

qui se fendille un peu comme pour un baiser

C’est un soleil couchant que tu portes à ta bouche

en dégustant l’instant

maintenant

à jamais.

Marilyne Bertoncini

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http://www.association-lac.com/



roman

Titre : A(ni)mal

Auteur : Cécile Alix

Éditeur : Slalom

Année de parution : 2 022

14,95€

Un récit poignant. Un livre qu’on ne lâche pas. Pas plus que le Je qui raconte son histoire ne lâche son chemin. Droit vers l’Europe. Il faut partir. Sa mère pousse au départ, l’organise. Le père a été tué par les soldats du gouvernement, les deux aînés sont déjà partis mais n’ont pas survécu à la traversée : ils ne savaient pas nager. La mère se sait en danger : elle persiste à vouloir enseigner…

le voyage. La route. Se battre pour garder sa place. Sa vie. La mer. Le canot. Les vagues. Les morts autour. Le combat de chaque instant pour survivre. L’Europe enfin, l’Italie. La fuite toujours. Rester libre. Le voyage en Europe. La survie. Des rencontres humaines, des accueils temporaires. Une nouvelle vie enfin.

En cette fin d’hiver où nos politiques s’interrogent sur la différence entre un migrant ou un réfugié, ce livre prend une dimension plus profonde.

À lire maintenant et dès le collège.

https://www.lisez.com/livre-grand-format/animal-voyage-migrant-aventure-destin-a-partir-de-13-ans/9782375543313

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Patrick Joquel

www.patrick-joquel.com

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