Marco Martella, Fleurs, éditions Acte Sud, collection Un endroit où aller, avril 2021 ;

Chronique de Paule Duquesnoy

 Marco Martella, Fleurs, éditions Acte Sud, collection Un endroit où aller, avril 2021 ;


Un florilège d’histoires de jardins, un bouquet de vies enracinées dans l’humus du jardin, pour que s’épanouisse la beauté.

Stephen Tremblay, le responsable de la Dickinson Collection à la Houghton Library, veille avec un amour respectueux sur l’esprit d’Emily Dickinson.

Fleurs parmi les fleurs, amie secrète des humbles pensées, à cause de leurs minuscules corolles et de la beauté soudaine qu’elles offrent au monde quand elles apparaissent dans l’herbe et que personne ne les remarque, Emily, tout de blanc vêtue, jardinière de plantes et de mots, de plus en plus recluse entre sa chambre  –  avec ses livres – sa serre et son jardin, dont elle s’occupait à l’aube, au crépuscule, parfois la nuit, écrivait des poèmes à lire en son for intérieur, organisait artistiquement un herbier, où rêvent les plantes, à contempler en silence, pour voir l’invisible. 

Celle qui dans les bois ne rencontrait que des anges sous des apparences de fleurs sauvages joignait des fleurs à ses lettres, en envoyait à ses amies, 

Stephen Tremblay a consacré sa vie à cette mystérieuse Emily.

La romancière Pia Petersen évoque son aïeul excentrique, l’oncle Jacob – dont le petit carnet à la couverture tachée de terre a donné naissance à sa vocation d’écrivain – que la maladie et la disparition de ses parents dans un naufrage ramène au parc familial de Ringkøbing, abandonné, où il se découvre heureux, parmi les églantiers, les clématites sauvages, les bestioles du jardin, les pervenches. Les livres sont comme un peu comme les jardins, de jolis rêves qui ne servent qu’à nous faire sentir, de temps en temps, moins seuls. Mais eux aussi ils ne font que passer, dit-elle

Berces raconte les rencontres de Gilles Clément, mon presque voisin de la Creuse, dans la Vallée des Papillons et des Impressionnistes, avec Jacob Petersen, et le parc de Ringkøbing, –  ce lieu ouvert aux quatre vents était un carrefour du grand brassage de graines, d’insectes, de pollen qui traverse en permanence la terre – La magie de ces moments hors du temps opéra sur Gilles Clément, la première fois alors qu’il était étudiant à l’école d’Horticulture de Versailles, et il en resta imprégné. Dans son jardin de la Creuse, ses interventions veillent à préserver l’âme du jardin. C’est la poésie de l’endroit que je ne voulais pas altérer, encore moins blesser. Il laisse donc les berces, pourtant invasives, s’installer selon leur vouloir ou leur fantaisie. Il cohabite avec les taupes. Il prend soin du jardin. Il contemple les étoiles.

Le jardin, cabinet de curiosités, d’Annamaria Tosini, passe pour extravagant, comme sa propriétaire, folle de musique, artiste et un peu chamane. Il vous prend pourtant par le cœur, car elle y cherchait quelque chose de toujours plus vrai et plus beau, l’essentiel, remède à l’inacceptable. À la fin de sa vie, recluse dans une « maison de repos », déprimante à souhait, elle habite sa chambre de poèmes, d’émouvantes sculptures de papier d’emballage et papier de soie, ficelles, rubans, tout ce qui lui passe sous la main, dont l’une la représente dans un petit théâtre Il teatro, Il deserto ou Il funambolo. Il y a aussi des Madones et des Christ en croix. Et de la musique. Pour que la mer inonde la prison. Bien entendu le personnel jette ses œuvres au fur et à mesure, le combat était donc permanent. Maintenant le jardin est devenu un jardin normal. Mais, les sculptures sont conservées à l’Ossertorio Outsider Art de Palerme. L’art naquit dans un jardin. L’art et la poésie.

La dernière « nouvelle » de ce livre, Zagare, fleur d’agrume nous conduit en Sicile dans le jardin familial de Marco Martella, dans la Conca d’Oro, – qu’il n’a jamais vu qu’en rêve, mais d’où vient précisément son amour des plantes comme le lui écrivit sa tante Marilena –, où l’on cultive les agrumes « depuis la nuit des temps ».  Un verger, un paradis, disait Maddalena, sa mère, donc le lieu du bonheur. Elle y chantait et dansait sous la pluie. Mais la route qui mène à un beau jardin, un de ces lieux qui comblent et qui consolent de tout, passe par l’incertitude la plus profonde, et la peur aussi

Il apprit lors d’un colloque à Milan que son ancêtre Ignazio d’Arpa y cultivait une variété de citronniers appelée femminello, peut-être à l’emplacement supposé d’un jardin mythique le Genoard. Une coupure d’eau et Ignazio obtint des citrons mûrs en été, plus astringents, qu’il appela verdelli, et qui se vendirent à prix d’or. Étonnante histoire, à laquelle est mêlée la mafia. Nous sommes en Sicile. Je vais reprendre le livre d’Edith de la Héronnière, La sagesse vient de l’ombre, consacré aux jardins de Sicile. Un jardin conduit à un autre.

Ne sentez-vous pas ce parfum ? Les fleurs embaument les pages du livre. Laissez-vous guider. Entrez dans le jardin. Quelqu’un vous y attend. Le portail est ouvert. 

© Paule Duquesnoy