
Ivan de Monbrison, la cicatrice nue, Éditions Traversées, collection Poésies, ISBN : 978-2-9601658-8-3
Tout d’abord, un fort beau titre, tout en minuscules, ce qui ajoute un zeste d’élégance. Et deux études pour personnage de l’auteur, annonçant la couleur (ou plutôt la noirceur) du propos.
Car le texte, éminemment poétique, est en effet caractérisé par un dégradé sépia où dominent ombres, squelettes, crânes et autres teintes oniriques :
il y a ici ou là un cadavre affublé d’un masque
allongé au milieu d’un grand cercle doré
comme une sorte d’auréole qu’il tiendrait à bout de bras
ou bien d’arc-en-ciel par où passeraient les nuages
ils glissent tout contre la barrière de l’horizon et s’évanouissent
derrière une cloison d’où proviennent des rires bizarres
dans le brouhaha des os découpés à la main (…) (p.20)
Question atmosphère, pourtant, la maîtrise de la langue nous fait penser à La Peste de Camus… Le monde de Schiele ou de Kokoschka ne nous semble pas très éloigné, malgré un siècle de différence. De son côté, Kafka est aux aguets…
Étrange et passionnante lecture au bord d’un précipice.
Les mots, tels des bois flottés, paraissent être issus d’une écriture automatique, là, juste avant les indicibles remous d’une cataracte.
La solitude peut être cependant nourricière :
je me retourne pour voir une dernière fois le paysage qui a tout
d’un visage féminin
seul
je suis seul
je suis une flamme dans le feu (p.7)
Malgré les empreintes qui se veulent indélébiles, malgré le sol spongieux, les mendiants, les oraisons funéraires et toute une procession de récurrences cauchemardesques, cette suite de poèmes garde une allure artistique de haut vol qui ne cesse d’intriguer le lecteur.
Ce qui me fait penser à nos neurones qui résident non seulement dans le cerveau et la moelle épinière mais aussi dans le système digestif : oui, ce puissant recueil est également écrit avec les tripes !
Désespérance, certes, mais fascination ambiante :
À l’orée de l’ombre
il y a
ce morceau qui se détache du corps
il tombe dans le vide en se blessant de tous côtés
la chair brûle
le temps qu’on détricote comme la corde d’un chemin (…) (p. 38)
Opuscule de 42 pages d’une intensité rare, à mettre sous les yeux de tout insomniaque.
©Claude Luezior