Chronique de Alain Fleitour le 16/12/2018

Jean Giono, Regain tome 3 de la Trilogie de Pan, le Livre de Poche, 08/2016, ISBN : 2253004022
Je suis une nouvelle fois tombé amoureux fou de cette écriture qui vous enlace et vous agace les sens, c’est
« ce vent, page 48, qui entre dans son corsage comme chez lui. Il lui coule entre les seins, il lui descend sur le ventre comme une main ; il lui coule entre les cuisses ; il lui baigne toutes les cuisses, il la rafraîchit comme un bain. Elle a les reins, les hanches mouillées de vent. »
Clôturant la trilogie de Pan, Jean Giono nous livre avec Regain, à travers des fresques magnifiques, et ce délice de langage, une sensualité vibrante, un récit qui vous prend aux tripes, un monde qui nous invite à redécouvrir la terre, comme à flâner dans l’herbe sous le murmure du vent.
« C’est, d’abord, un coup de vent aigu et un pleur de ce vent au fond du bois ; le gémissement du ciel, puis une chouette qui s’abat en criant dans l’herbe. Voilà l’aube. Page 81. »
L’ayant lu à mon adolescence, je l’ai repris à l’occasion d’une virée autour de Manosque, j’ai retrouvé l’ambiance chaude et parfumée des collines de Haute-Provence, de ce pays balayé par les vents, doux ou ardents qui vous distillent une musique à vous donner des frissons.
Regain comme renouveau, comme une renaissance, comme une métamorphose, comme les herbes qui repoussent après la première coupe, plus puissantes alors, celles qui vont s’épanouir tout le printemps.
Le regain n’est pas seulement une image il est l’essence même de la trilogie de Pan.
Dans ce roman, nous percevons dans la première partie tout un passé qui s’éteint, un passé très lourd, où les hommes ont fini par baisser les bras devant une nature rebelle âpre, sauvage, balayée par des sautes de vents, comme des sautes d’humeur, qui dessèchent les âmes et assèchent les ruisseaux.
Mais la magie de ce roman, est de nous prendre à témoin, nous conter comment revivifier cette terre, la rendre de nouveau nourricière, imaginant une autre façon d’être et de vivre en harmonie avec elle, en la respectant, en la nourrissant jusqu’à l’épanouir.
On a parlé ironiquement d’un retour à la terre, ce n’est pas un retour, c’est la suite. Le point d’orgue des deux premiers romans de la trilogie de Pan, est de réinventer la vie. Le destin de Panturle et d’ Arsule sera de créer un art de vivre en communauté, restaurer un ordre immuable, revivifier la façon d’être avec les éléments naturels qui les entourent, le rythme de la terre vivante et perceptible par tous nos sens.

Dans « Colline » les 12 personnages et le simplet sombrent dans la peur et l’affrontement, par leur perception d’une nature hostile qui va tout emporter, comme l’affirme Janet le personnage central des Bastides Blanches. Inlassablement il prédit la fureur de la nature, le déchaînement des éléments. le vieux Janet devenu invalide, les yeux fixés sur le calendrier, annonce les futures catastrophes, leurs échéances.

Dans le deuxième roman, « Un de Baumugnes », c’est l’écoute qui devient le fil conducteur de l’intrigue, l’écoute d’Albin, son chant intérieur qui le ronge, l’écoute du vent comme une plainte que seuls les amours savent dévorer. L’écoute des bruits de la Douloire, comme celui de la flûte de Pan, va alors produire l’effet le plus extraordinaire. Pancrace, le vieux bougre de paysan, étourdi par les rumeurs de la monica et de ce chant va s’effondrer pour laisser place à ce quelque chose que l’on pourrait appeler la compréhension ou l’acceptation.
Après la fronde et la peur, après l’acceptation de l’inconnu après l’acceptation de la nature parfois rebelle, parfois prophète, que faire ? Sinon planter la vie, tailler la terre et semer les graines.
Demain un enfant, le blé, et le bon pain seront portés par la présence du Pan , appelé parfois vent de printemps, pour investir complètement la nature, et la joie entrouverte fera jaillir le regain tel l’émerveillement d’un couple d’amoureux.
Panturle l’exprime par ces mots,
« je l’ai revue je l’ai comprise, cette quête mystérieuse de l’enfant ; ce besoin qui me faisait regarder en face le coin du ciel d’où naissait le vent ».
Ou encore,
« je l’ai comprise cette terreur, et pourquoi dans la colline, j’arrêtais mon pas, je regardais peureusement derrière mon épaule pour saisir l’étrange présence, et seul, le large dos de Lure montait du fond de l’horizon. »
L’éblouissement des gens de la terre semble peut-être puéril pour ceux qui s’imaginent encore, que la nature est belle et docile. C’est un tombereau de clichés pourraient dire certains, qui ne s’en privent pas, certains qui n’ont jamais travaillé la terre, courbés comme des paysans. Est-ce un cliché, d’exprimer
page137, « celui de s’attendrir devant le premier tranchant de l’araire, quand la terre s’est mise à fumer. C’était comme un feu qu’on découvrait là-dessous. »
Giono appellera cela, la civilisation paysanne. Face à la barbarie des temps modernes la civilisation paysanne a encore des valeurs à partager, mais pour cela, il est impératif de ne plus parler de cliché, et de cesser de dénigrer cette âpre beauté de la terre qui parfois sait onduler comme la houle de haute mer.
© Alain Fleitour
