Maram Al-Masri, Cerise Rouge sur Carrelage Blanc, Éditions Bruno Doucey (15€)

Chronique d’Alain Fleitour

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 Maram Al-Masri, Cerise Rouge sur Carrelage Blanc, Éditions Bruno  Doucey (15€)


Avec les mots de tous nos jours, Maram AL-MASRI ( Syrienne) parle des femmes, dans leur langue, de leurs paysages intimes, sur les pages de Cerise rouge sur Carrelage blanc, parle des mots qu’elles se disent tout bas, « je suis lasse de rester sur tes brouillons, sur tes marches, devant tes portes, où sont, tes vastes paradis » page 117 ?

Elle écoute encore ses rêves d’hier, et se souvient, page 81, « tu n’aurais pas dû me prendre par la main pour la laisser rêver de te toucher, tu n’aurais pas dû effleurer mes lèvres pour les laisser brûler sous tes baisers,tu n’aurais pas dû rester silencieux pour que je ne cesse d’espérer. »
Ces femmes parlent ainsi de leurs déchirures, de leurs rêves brisés, de leurs tâches domestiques qui sont comme des pièces d’une machine qu’elles doivent monter, et démonter heure par heure, et chanter sa rengaine, comme « tu m’y as invité, j’ai lavé la vaisselle, j’ai nettoyé par terre, j’ai fait les carreaux, j’ai repassé les chemises, et lu Dostoïevski, ce maudit temps qui , avec toi vol d’habitude, tic-tac , tic-tac, avance doucement, » page 109 écrit comme un pose.

Ces femmes scotchées au pied de leur immeuble, de leur maison, observent avec humour celui qui se croit permis de tout décider, parce qu’il est un homme, et parce qu’elle est une femme, et ironise en lui proposant, page 111, « donne-moi tes mensonges, pour les laver, les fixer dans l’innocence de mon cœur, fais-en des réalités », et arrête de me dire, ça n’a jamais existé.

On se délectera à lire et relire ces petits moments de clarté, ces passages de l’idée à l’écrit, pour mieux râler, les mots qui font mouche sur un ton badin, parce « qu’il n’y a plus entre nous que les enfants, » pour remettre les pendules à l’heure, « parce qu’il n’y a plus entre nous ces fous rires ni caresses pures ni le goût du laurier et du miel sur nos lèvres parce qu’il n’y a plus d’entre nous »…p 49

De carreaux blancs, en carreaux rouges, posés en quinconce telle une mosaïque , ces femmes continuent de rêver de routes arborées, de vastes plaines où galoper, car dit-elle « mon métier est-il éternellement d’être une femme de te laver les pieds une rose à l’oreille chaque fois que tu rentres ?« 

« Pour toutes ces femmes qui lui ressemblent », elles ne savent pas parler, le mot leur reste dans la gorge comme un lion en cage, les femmes qui ressemblent à Maram AL-MASRI, rêvent, de liberté, « d’un homme aussi chargé de fleurs et de belles paroles un homme qui me regarde me voie qui me parle et m’écoute un homme qui pleure pour moi dont j’ai pitié et que j’aime. »

Car quand le désir l’embrase et que ses yeux s’illuminent, « j’enfonce la morale dans le premier tiroir, réincarné en diable, je bande les yeux de mes anges pour un baiser, apeurée comme une gazelle sous les yeux de ta faim, je veux que tu m’aimes en silence et que tu me laisses m’interroge ».p 15

Ce beau voyage commencé dans la fragilité et la solitude, dans les premiers pas de l’intimité des femmes, de leurs maladresses, de leurs inquiétudes, se poursuit souvent avec désillusion, parfois dans la révolte et la colère.

Mais c’est aussi une magnifique dimension du livre que d’avoir su réserver quelques pages blanches, à dire tout haut le désir des femmes, et clamer, « qu’il me fasse chavirer, sinon qu’il n’approche pas, qu’il commence par un doigt de ma main, pour finir sur un doigt de mon pied. »
Et de tendresses en baisers, elles disent avec quelle ardeur, « Je le veux ardent et profond », pour dire à son amour, « mon imagination revêt ses plus beaux atours et attend sous ta fenêtre », p 107.

« Ma poitrine se gonfle
dans l’impatience du désir
miche de pain chaud
mordue
par les dents
de ton badinage », telle une cerise rouge sur carrelage blanc.

Dans la fièvre de cette prose musicale et sensuelle, Maram AL-MASRI a su imprimer des messages ardents, parfois drôles, toujours justes, et montrer des femmes exigeantes loin des fausses images données par certains médias.

 

Vannes 15 octobre 2018

© Alain Fleitour