Chronique de Jérôme Attal – 8 août 2017
Hommage à Gonzague Saint Bris
Je crois que nous sommes faits, comme le chemin que nous prenons, d’une somme d’apparitions et de disparitions. Nous tenons le cap, plus témoins que responsables -il me semble – de ces apparitions, de ces disparitions. Amis, amours, personnes qui font partie d’un décor qui est le nôtre, d’un entourage, d’une circonstance ou d’un projet, un temps donné. Depuis près de dix ans que j’incarne la dégaine et le cœur de mes livres avec bonheur dans les dédicaces, les rencontres en librairie et les salons du livre qui m’invitent à leur programme, maintes fois il m’est arrivé de croiser Gonzague, de le voir déambuler dans les couloirs des wagons de train, parler d’histoire de France, s’endormir derrière un journal ou danser jusqu’à plus d’heure le soir au milieu des filles qui dansent. Les filles qui dansent, ça me fout le bourdon. Mais un salon du livre sans qu’une fille puisse y danser, ça ne donne pas envie d’y mettre les pieds. Gonzague avait pris la décision que la vie des livres doit être une fête et qu’il faut toujours participer à la danse. S’y jeter comme dans un texte. S’y laisser submerger puis remonter à la surface, au bon moment. À chaque fois qu’on se croisait, il me demandait « alors, c’est quoi ton livre cette année ? » je lui racontais en deux trois phrases l’argument, il plissait des yeux comme un chat espiègle et répondait toujours : « Ah, c’est très intéressant, il faut absolument que tu viennes à la forêt des livres ! » Parfois je recevais l’invitation la semaine suivante, parfois elle n’arrivait jamais. Comme avec ces amis que l’on croise, auxquels on promet de se revoir vite, dans le mois, et ça peut prendre une année ou deux sans que l’on s’en rende compte. J’avais lu de lui son roman d’enfance qui se passe à Brighton. Je trouvais le titre tellement formidable (Brighton dans le titre et j’ai tendance à trouver ça formidable) que je l’avais tourné à ma manière et, une fois, croisant Gonzague à l’occasion d’un salon du livre, je lui avais dit : « Je viens de lire Les fantômes de Brighton, j’ai beaucoup aimé. ». Il m’avait regardé avec une moue dubitative et amusée : « Euh ? Tu veux dire : Les vieillards de Brighton ? ». La honte, je m’étais planté dans le titre. Mais bon, du coup, j’avais un peu oscarwildisé Gonzague et il n’en avait pas pris ombrage. Il conservait d’ailleurs de son enfance une petite touche british dans le regard qu’il posait sur vous, mais principalement, bien sûr, ce qui le caractérisait le mieux c’est ce côté vieille France boosté par une débordante jeunesse. C’est comme avec Malek Chebel, les deux luisaient de générosité sous la panoplie de leur personnage public, et ça va faire tout drôle de ne plus le voir et de profiter d’un petit mot d’esprit comme un salut fraternel entre deux gares, deux destinations, ou de s’échanger un sourire avant que lui ne plonge au milieu des filles qui dansent et que je me tienne en retrait, toujours au bord du plongeoir et espérant que les filles qui s’abandonnent à la danse comme au milieu d’une mer hypnotique et agitée viendront se coller à moi à leur retour comme à un récif, une plage, un Ithaque décisif.
Il y a quelque chose d’irréel aujourd’hui. Je suis au bord d’une piscine avec David Foenkinos et Salim Bachi, nous attendons de partir dédicacer ce soir à Cassis, et David via son smartphone nous apprend la mort de Gonzague dans un accident de voiture, du côté de Pont Lévêque. Et c’est vraiment irréel de se dire que nous ne le verrons plus apparaître au cours d’un prochain voyage pour le livre. Disparaître à la fin du week-end, et le voir réapparaître un prochain week-end.
Que son voyage à lui maintenant soit magnifique, et qu’il choisisse la destination, le siècle, l’instant, ou la piste de danse, qui lui plaira le mieux.