Chronique de Jean-Luc Breton

Sobre el cielo imposible, de Santiago Montobbio
Editions El Bardo, Barcelone, 2016
Sobre el cielo imposible est le quatrième et dernier volume des poèmes écrits par Santiago Montobbio en 2009, et, à ce titre, ce livre est un volet fondamental du parcours créatif intense qu’a connu le poète espagnol pendant presqu’une année. Ce dernier volume a une indéniable couleur d’automne, et, comme le rappelle le poète, l’automne est à la fois la saison la plus belle et l’annonce de l’hiver, du froid, de la neige. Plus encore, Sobre el cielo imposible est traversé par le vent et la tempête, un vent qui met en évidence tous les interstices et tous les trous en nous, une tempête d’autant plus pernicieuse qu’elle se déchaîne aussi à l’intérieur des corps, des cœurs et des esprits sans qu’aucun signe extérieur ne s’en manifeste.
Santiago Montobbio est un poète de l’introspection, de la solitude, de la perte, et les couleurs de l’automne lui conviennent très bien. Sobre el cielo imposible est bien moins torturé par des angoisses métaphysiques que certains des recueils précédents de Montobbio, qui se débarrasse même parfois assez cavalièrement de Dieu et des anges; ses poèmes sont plutôt des observations du quotidien et de la difficulté existentielle à comprendre pourquoi le moi et le monde ne coïncident pas. Un cycle de 21 poèmes, sous le titre Le dernier amour, aujourd’hui plus que jamais dernier, évoque parfaitement, par petites touches aussi acérées que des lames, la résignation nécessaire de l’amant éconduit, dont le désir d’aimer persiste, même s’il sait qu’il est dans une impasse absolue avec son amante éloignée, dans tous les sens du mot. Vivre est chez Montobbio synonyme de survivre, et il est évident que l’effort de survivre, comme le poète l’a toujours écrit (« mes poèmes ne sont jamais /que les portraits de mes avant-derniers suicides », disait-il dans le recueil Tierras de 1996) est une tâche ingrate, que la tentation du suicide est toujours présente (« Tout est non », répète-t-il), que l’évidence de la vacuité de la vie est quotidienne (mon âme est comme de la poussière et du néant, un vent calme), mais le recueil se termine sur le plaidoyer pour la vie le plus simple et le plus évident (je veux vivre).
Cela n’étonnera pas que Montobbio cite Pascal : l’homme est condamné à vivre et à le faire en s’accommodant du monde, qui est plein de beautés et de bonheurs, comme l’évoquent certains poèmes apaisés sur des paysages ou des rencontres avec des amis, mais qui est aussi angoisse profonde devant le néant.
Même sans Dieu, c’est vers le ciel que le poète regarde. Comme toujours chez Montobbio, le titre du recueil est heureusement choisi et profondément évocateur. C’est sur le ciel et non sous lui que le poète nous invite à regarder, c’est-à-dire que c’est la recherche d’une réponse dans l’azur qui est l’objet de notre quête. Et si cette recherche est impossible, c’est parce que le ciel n’est, comme la vie, que passage. On songe au dialogue d’Hamlet et de Polonius, qui tentent de décrire la forme des nuages et constatent que chaque image qu’ils proposent est modifiée à peine énoncée. Comme le rappelle Santiago Montobbio, la pluie aussi s’interrompt forcément (La pluie, comme / la vie, passe toujours), et le gris, qui succède au bleu, nous tend un autre miroir, tout aussi réel.
Le ciel, le vent, la pluie, l’ocre de l’automne qui va céder sa place au blanc de la neige qu’on pressent, c’est bien sous le signe du changement que se place Sobre el cielo imposible. Comme l’évoque Montobbio dans la préface du recueil, la question sur le sens est inévitable et la réponse impossible, elle aussi. On ne sait pas très bien ce qu’est la poésie, ni pourquoi elle est nécessaire ; cela n’empêche pas des gens de s’y consacrer, de s’y jeter corps et âme, et même si le ciel est impossible parce qu’absent, même si le vent parfois ne souffle pas où il devrait, elle les aide à trouver le moyen de poursuivre le chemin et donne un sens à leur voyage : l’art […] est la vérité de la vie qui n’a pas de fin.
©Jean-Luc Breton