Claude Vigée est un poète discret, néanmoins important, connu et apprécié. Né en 1921, il a eu une vie fort active : résistant, exilé aux USA, professeur d’Université en Ohio, puis à Jérusalem. Il a écrit une œuvre critique considérable, rassemblée dans des ouvrages dont ce livre-ci est le second chez Orizons. La réflexion de Claude Vigée sur les poètes et la poésie s’y montre passionnante et de haute volée. Le livre regroupe des essais, antérieurement parus, sous trois sections : 1) Critique de l’idéalisme occidental – notamment à travers Pascal, Flaubert et Malraux. 2) L’événement de la reconnaissance – à travers Claudel, Guillén, Camus et Celan, principalement. 3) Une poétique de la voix – qui d’une certaine manière expose les lignes de forces qui ont sous-tendu l’œuvre du poète Vigée. Partie sans doute la plus intime dans ses thèses.
Rendre-compte d’un livre aussi touffu et considérable serait une gageure que je ne suis pas assez intellectuellement équipé pour soutenir. Je l’ai lu cependant avec une attention tout à fait captivée, aussi bien dans les analyses que Claude Vigée mène à propos de Baudelaire, et qui semblent à la fois originales et pertinentes, que dans celles qu’il propose sur l’origine et le sens du vers claudélien, ou à propos de sa dernière rencontre avec Camus. Il y démontre (sans que ce soit le but de son étude) de quelle inanité sont les mépris dont on a affublé Claudel, quel drame fut l’interruption de l’œuvre de Camus par son fameux accident. Toutes ces analyses sont à la fois claires, puissamment fondées, et éclairantes.
Il y examine également au détour de sa réflexion les questions d’évolution historique de la versification française, les contraintes qui se sont exercées sur elle, la faisant constamment osciller entre la mesure du compte des syllabes, et la mesure des pieds, soit des temps musicaux de la langue. Il montre de quelle façon la poésie est en rapport avec le corps (p. 220 en particulier) et en conséquence « quelle est la mission essentielle de l’homme et du poète : créer un simulacre du principe coordonnateur du Tout, figurer celui-ci au moyen des choses rendues visibles par la création personnelle. […] Faire, agir… » Ce qui implique le rythme, vaste question au cours de laquelle Vigée confronte en détails (pour faire court, ici) l’aspect apollinien – chez Mallarmé, Valéry Baudelaire, Guillén, par exemple – et le dionysiaque – chez la plupart de ses contemporains, Queneau, Frénaud, les Surréalistes, etc…
Je suis convaincu que tout passionné de la question poétique ne peut que se trouver formidablement enrichi par la lecture d’un tel regroupement d’essais, et s’il y avait un livre à lire en cette fin 2011 sur la question poétique, ce serait celui-là, aussi bien pour les purs lecteurs que pour les poètes qui, confrontant leurs conceptions à une pensée aussi solide que celle-là, y trouveraient matière à un approfondissement fort enrichissant d’eux-mêmes. C’est en tout cas l’effet qu’a produit ce livre sur le rédacteur de cette note. Les vrais livres d’essais profonds de vrais poètes ne sont pas si nombreux pour qu’on puisse faire l’économie de ce « rêve d’écrire le temps » et d’y découvrir des thèses si neuves parfois et si lumineuses.
© COPYRIGHT 2012 – Tous droits réservés