Christine Hervé, Dernier émoi, Éditions Traversées, juin 2023, 114 pages, 20€

Une chronique de Patryck Froissart
originellement parue sur le site de La cause Littéraire

Christine Hervé, Dernier émoi, Editions Traversées, juin 2023, 114 pages, 20 €

Réjouissons-nous ! La poésie, la vraie, la belle, la puissante, qui émeut, n’est pas morte. Les Éditions Traversées, comme, c’est fort heureux, quelques autres maisons indépendantes, nous la font vivre, nous la font lire, nous la font aimer. Les Editions Traversées sont wallonnes…

Les ouvrages publiés sont de beaux livres, d’élégante facture, visuellement attirants, tactilement agréables. C’est important. L’esthétique physique du volume incite à découvrir l’esthétique artistique de l’œuvre dont il est l’écrin. Les Editions Traversées ont le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qu’il faut remercier pour leur implication dans cette riche démarche culturelle.

A noter : Les Editions Traversées publient, à raison de trois numéros par an, une revue littéraire fort appréciée.

L’opus de Christine Hervé, le vingt-troisième, déjà, de la collection, est constitué de quatre corpus de longueur inégale :

Promesses de l’absence

Le plus long ensemble de textes du volume se présente sous la forme de segments de prose poétique, très courts, répartis un à un sur cinquante pages, centrés sur le thème obsédant de l’absence, ou plutôt sur celui de la présence obsessionnelle de l’absent.

De page en page, l’esprit, quasi fantomatique, de la délaissée rêvasse, erre tel un songe en action parmi les lieux, le passé, les objets familiers les plus triviaux, les traces, les souvenirs du fantôme de l’absent, qui revit par une succession de visions évocatrices dont la chère et douloureuse acuité est sobrement exprimée en versets, comme autant de flashes, et de flash-backs, brefs, concis, à quoi le caractère volontairement monocorde de l’expression confère paradoxalement une pesante et forte impressivité, dégageant la poignante atmosphère de mélancolie d’un quotidien qui reste continûment, physiquement, « réellement » partagé par le couple imaginaire, indissocié, que constituent toujours, par-delà la séparation, l’absent et sa partenaire.

On fait avec l’absent une drôle de paire on se vautre dans son vide on sent son impossible étreinte on entend ses paroles rassurantes ou tranchantes ange destructeur ou étoile filante dans le néant de nos voix.

Tourbière

Six poèmes de facture plus habituelle, compositions de distiques mettant en scène une femme marchant sous la pluie, dans le vent, vers l’océan, s’éloignant de la maison familiale, portant en elle le fruit d’une union qu’on devine méjugée, ou mal vécue, ou qui s’est mal terminée. Le personnage paraît animé par le désir de rompre avec ce qu’il laisse derrière lui. Le décor, triste, chagrin, froid, est en concordance avec l’action, le titre, « tourbière » donnant le ton. Ce qui est à venir, ce vers quoi elle va, s’exprime toutefois en opposition avec le présumé désastre du passé immédiat. Par-delà la brume ambiante, et en dépit de la tourbière qui pourrait embourber, la course se fait de plus en plus légère, et apparaît vers la mer régénératrice comme le halo d’un possible bonheur à retrouver :

Ce n’est pas la honte

qui la fait fuir

mais la croyance

d’une aube nouvelle

pour celui qu’elle porte

sainte d’innocence

d’amour perdu

en une nuit

forte d’espérance

Une ferme noire

Personnage principal : la fermière, qui apprend l’advenue d’un cancer. Personnages adjuvants :

le fermier, qui souffre et pleure en cachette de la souffrance de sa femme,

les vaches.

Les détails poético-actantiels s’enchaînent ici sous une forme différente, en paragraphes compacts, mais le procédé narratif est le même : des flashes, des moments pris sur le vif, des instantanés, courts, décisifs, qui, dans un autre genre, pourraient être développés en autant de chapitres d’un roman. La brièveté des termes du récit, le choix de la segmentation séquentielle créent ici encore une atmosphère lourde, saisissante, forçant l’empathie, le lecteur prenant toute sa part de l’angoisse qu’éprouve le couple, contrastant avec la placidité des vaches exprimée récurremment par ce propos constatif :

Les vaches au champ la regardent passer. Paisibles.

De nouveau le poème s’achève, résolument optimiste, sur le refus, le déni de ce qui semble pourtant inéluctable :

Pleine d’espoir. Des cloches dans la tête. Quand l’herbe verdira elle conduira de nouveau les vaches au champ, sous les aboiements des chiens.

Dernier émoi

Cette quatrième partie présente sur chacune de ses trente pages un poème minimaliste. L’expression, syncopée, fragmentée, faite de ruptures syntaxiques, d’ellipses, est devenue plus ésotérique, bien que le lecteur soit à même d’appréhender la thématique globale qui semble tourner autour de l’envol libératoire, de la fin légère de l’histoire, du but de la trajectoire poétique, du dénouement des histoires évoquées dans les parties précédentes, comme si l’auteure s’était débarrassée tout au cours de l’écriture du fardeau de ses propres angoisses en jetant précédemment sur le papier les mots  exprimant celles de ses personnages. Le personnage, se fondant en ceux des trois premières parties, en effet, est alors la narratrice elle-même, alias l’auteure. Fin du discours plus ou moins narratif. Les phrases tronquées, les syntagmes isolés, les mots solitaires s’envolent et se dispersent en un souffle final, en un « dernier émoi ».

Personnage

de ta propre histoire

jamais écrite

et qui peine à vivre

[…]

Je lance mes mots

au ciel

ils retombent

en pluie d’or

Christine Hervé nous offre un ouvrage original dans la forme et le fond, dont la force est idéalement propre à provoquer chez le lecteur l’émotion poétique.


Christine Hervé, Dernier émoi, 120 p., Ed. Traversées, 2023, ISBN 9782931077078


Curieuse expérience que de lire une prose sans aucune ponctuation : on s’y perd un peu, mais finalement, en relisant, en scandant sa propre respiration, naît une sorte de complicité avec la poétesse, en une manière de décodage qui n’est pas désagréable.

            On ne connaît plus les nuances du vert de ses yeux la douceur de ses mains mais l’écho de sa voix vibre encore fantôme offert au blanc du ciel     

Le « on », rehaussé par une lettrine, est à la place du « je » et renforce le contexte dramatique. Désespérance ?  

On accroche les guenilles de nos songes on se plaît à de belles retrouvailles au mitan du lit on lui crée des histoires héroïques lui chante des louanges il se complaît à nos fantasmes habillé de lumière ou de brume il resplendit. 

Prose poétique, bien entendu, où naissent et s’étoilent les images. Nous  ne le dirons jamais assez : certaines proses ont davantage de poésie que des textes rimés et à la verticale. 

L’absence a ici un rôle central, térébrant, incantatoire. Dans un silence assourdissant, exprimant une violence contenue mais surtout une révolte et son lot de souffrances.  Paradoxalement, jusqu’à porter les espérances en étendard, jusqu’à danser sur ses silences…  

Cela dit, ce recueil est pluriel, avec des textes comprenant des phrases syncopées, lapidaires, rythmées par une très abondante ponctuation (comme si l’autrice était en manque) et enfin des poèmes libres, jetés sur le blanc de la page. Tour à tour : 

 Scanner. Tumeur. Dans le bas ventre. Son homme ne dort plus. Il arpente la chambre. Broie le noir de la nuit. Et elle qui voudrait se reposer ! Elle entend jusqu’à ses pensées -Viens, le lit est froid.- Non, je vais à l’étable. Une vache doit vêler.

 Puis, plus tard, dans le chapitre Dernier émoi :

                                               Ne dis rien

                                               Seules nos mains

                                               Seules nos lèvres

                                               personne

De façon étonnante, la section poèmes s’intitule tourbière, alors que leur fluidité aurait suggéré « torrent» ou « cascade ». Toujours est-il que l’autrice maîtrise plusieurs styles, lesquels donnent une différente coloration à chaque texte.

Vers la fin, ce recueil renoue avec le registre d’une symphonie amoureuse :

                                                      Son baiser

                                                      oublie les années

                                                      et mon cœur bondit

                                                      au parfum sauvage

                                                      de l’adolescence

Expérience littéraire hors normes. Condensé d’âmes, de fulgurances : Christine Hervé joue avec les mots, la (non)-ponctuation, l’espace de la page mais aussi ses (et nos) sensations, notre empathie, certainement. 

            À relire une fois encore, avec passion.


NOUVEAU AUX ÉDITIONS TRAVERSÉES

Chronique de Lieven Callant

Christine Hervé, De l’autre côté de l’eau, Éditions Traversées, 106 pages, 2020, 15€


Sur la couverture, une vague se révolte. La mer, le déroulement infini de ses vagues occupent une place importante dans ce recueil. On retrouve le rythme. Le dépouillement comme une ouverture à un autre monde plus dilué. 

« Devant le bleu
des mers

tu sais uni
et solitaire

par le roulis des vagues
des galets de la plage

coquillage ensablé
le vivre encore possible

dans le silence des mots »

On s’habitue à ne retenir que l’écume, le sel, la collerette de coquillages sur le sable. Des larmes que recueillent le vent, le souffle comme le témoignage d’une émotion qui n’est jamais une lamentation. Dans ce livre en quatre parties, il est avant tout question d’émotion. Simple. Épurée grâce à un choix mesuré des mots.

« mer sans rivage
ni écho

et la chaleur infinie

des jours à chevaucher 

les vagues de l’indifférence »

La prose raconte, énumère, repère et laisse disparaître. Il est d’abord question de naissance, de comprendre d’où l’on vient, pourquoi cette différence, pourquoi cette solitude intrinsèque à l’écriture?

On s’exile, on cherche un chemin et on trouve la vie. Le quotidien avec ses quelques points de repères dans le passé et dans le présent. Écrire ressemble à dérouler une longue langue de mots, une étoffe qui gagne en souplesse au fur et à mesure qu’on la déploie. On gagne en conscience de soi mais aussi et c’est cela qui importe le plus peut-être, en conscience de l’autre, de sa déshérence, de sa solitude. Un cheminement qui nous force à progresser.

« Judith ou Yasmina

amandiers en pleurs

sur les rives
de l’oued desséché

soif d’une terre de repos

sous la lumière
des pays froids

intérieur de feu

le soleil les pousse

au vieil arbre
une dernière prière

des cimetières rasés
elles emportent leurs morts
à l’autel du coeur

et les désirs froissés
d’une jeunesse de sang

pour enfanter des gosses
à jamais étrangers » 

Lire c’est s’écrire en silence. C’est ce que s’efforce de dévoiler de livres en livres de numéros en numéros de revue toute la chaleureuse équipe de Traversées. 

Commandez dès aujourd’hui ce livre!

Vous verserez le montant adéquat en précisant le titre du livre voulu et le nombre d’exemplaires

sur le n° de compte bancaire de Traversées
(CODE IBAN : BE71 0882 1367 9069 – CODE BIC : GKCCBEBB)

Traversées,  Faubourg d’Arival, 43  6760 VIRTON  (Belgique)

Pour la France,

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Christine Hervé, De l’autre côté de l’eau, Editions Traversées, 2020, ISBN : 9782931077016

Une chronique de Claude Luezior

Christine Hervé, De l’autre côté de l’eau, Editions Traversées, 2020, ISBN : 9782931077016


 Quatre traversées du désert, quatre cheminements intérieurs, quatre chapitres aux portes de l’introspection : deux en poésie verticale, encadrés par deux denses proses poétiques.

À noter un envoi qui annonce la couleur :

À tous ceux

qui abritent mon cœur

et ceux qui l’ont déchiré

un matin d’espérance 

En tout premier, la recherche du père : d’une certaine manière, de l’autre côté des eaux lustrales, en une terre encore inconnue, sur une plage immense (…) au souffle de mes désirs. D’emblée, l’on ressent un vide, un océan non rassasié, des espaces hors du temps où la poétesse aimerait se construire. (…) Mais comment avancer dans mon existence quand il manque le début ? Mille pages de psychanalystes condensées en quelques traits de plume. Le lecteur est pris à la gorge.

Christine Hervé est née en Bretagne. Au-delà des ressacs, c’est aussi le pays des goélands. Poésie à la verticale :

Battements d’ailes

promesses d’un envol

(…)

elle ne connaît d’amour

que celui des sirènes

insolite rencontre

d’innocente insolence

Pudeur extrême aux confins de la pensée. Mains tendues à la margelle d’une relation neuve. L’écriture semble suspendue aux embruns ou ondoyante au creux des vagues… Ici opèrent la magie du verbe et le frottement des mots. Juste pour esquisser une aube qui pourrait renaître. Aube griffée par des éclairs : effroi du désir.

Troisième  Livre d’heures

sur les routes

avancent 

les déplacés

sans toit

sans voix

(…)

ils avancent

griffes des barbelés

ni d’ici

ni d’ailleurs

Migrants traqués sur un rivage de caillasse, sur la brèche d’un horizon sans fin. Parias, nuages de poussière. Pourquoi cette ode ? La réponse est sans doute dans l’immense solitude de ces frères et sœurs mais aussi dans l’abîme tout au fond de soi. Quelque part, vivre sans père n’est-il semblable à vivre sans pays ? L’être ne cherche-t-il désespérément une terre d’asile dans le regard de l’autre ?

  Le final déroule sa prose au nom du silence. Qui s’épanouit au creux d’un pigeonnier. En quelque sorte purifiée, elle y tisse son nid, comme si son âme avait pris de la hauteur. En fait, il n’y a plus de pigeons. Ils sont partis en voyage, et sans fil au cœur, ils ne sont plus revenus. Ils ont laissé leur silence. Rêve, écoute, réconciliation avec soi-même.

Ouvrage d’une grande finesse où dominent solitude et silence. Et pourtant, l’eau des mots commence par un matin d’espérance et finit par Il est là qui attend.

© Claude Luezior      

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