Pour Alain Bertrand, i. m.

Herbeumont Semois2

 

 

Alain tu t’en allais l’autre jour sous la pluie

ton sort était scellé comme un cercueil de chêne

où tu dormais dans ce plumier comme un étui

à violon sur quoi se tendait notre peine

 

tes amis ta famille tes élèves alignés

droits et dignes sous cette voûte à lanternes

écoutaient la parole de l’Église indignés

par ce départ fortuit qui pour le moins consterne

 

tes livres ensuite effeuillés comme un bouquet

de fleurs blanches en couronne mortuaire

sur le vide que tu découvrais au cimetière

 

mais absent parti déjà au fil de la Semois

chercher d’autres images quelques écrits

des mots pour nous qui prolongeraient la vie

 

 

Frédéric Chef

 

La Promesse d’Almache – Alain Dantinne – Plumes de coq ; Weyrich

Une chronique Nadine Doyen

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  • La Promesse d’Almache – Alain Dantinne – Plumes de coq ; Weyrich (200 pages -15€).

Tout d’abord, il me semble utile pour le lecteur de situer Almache. Un hameau dans un coin perdu de l’Ardenne profonde, « un croupion de terre wallonne », proche de Bouillon. Ce qui explique la « pauvreté culturelle » déplorée par les protagonistes.

Quelle est donc cette promesse? A qui est-elle destinée? De qui émane-t-elle?

Le narrateur remonte à l’historique de cette bâtisse, « ancien relais de chasseurs », « gentilhommière campagnarde », à son acquisition par Pierre et Dydie. Couple sans enfant, ce qui peut expliquer que Dydie reporte toute son affection sur son neveu, Arthur. La vie de ces bourlingueurs est évoquée depuis leur rencontre jusqu’au décès du mari. Tout bascule pour la veuve, plongée « dans une solitude forestière ».

Le narrateur explore la relation complexe entre un neveu et sa tante, liens d’autant plus intimes qu’elle manifeste le souhait de l’adopter, d’en faire son héritier putatif.

Qu’éprouvait-il pour elle? De l’amitié»? De la commisération?

Le narrateur décortique le parcours d’Arthur, l’obtention de ses diplômes, son poste d’enseignant. Son éloignement de ses géniteurs (dû à un père qui le considérait comme « un incapable, un déviant ») ne favorisa-t-il pas son rapprochement de sa tante? Une complicité se tisse. Plus en confiance, Arthur n’hésite pas à revendiquer sa différence, à faire son coming out, à s’épancher de façon directe, évoquant son tourisme sexuel, « les backroooms », quitte à choquer cette prude bourgeoise, mettant fin à ces questions indiscrètes de sa tante, qui tournait autour du sujet.

Dydie se montre tolérante, soucieuse de son bonheur, « avec une fille ou un garçon ». Il n’hésite plus à rendre visite à sa tante avec ses conquêtes du moment.

Il lui présentera donc Christophe, éphèbe à la « peau d’ange », aux « lèvres brûlantes qui n’ignoraient rien de la tendresse », Etienne, envers qui elle ressentit de la jalousie ». Il privilégiait les «  rencontres fugaces » mais intenses, refusant de se laisser phagocyter par la passion. Lucide, quand un fossé de vingt ans les séparait. Arthur ayant une oreille réceptive, pour sa tatie, celle-ci, à son tour se livre à des confidences, lui confessant de « délicieux égarements ».

La présence d’Arthur est si fréquente que cela va devenir une habitude, une nécessité.

Progressivement, il se retrouve piégé, aliéné, esclave des caprices de cette tante, qui au décès de son mari sombre dans la dépression, la mélancolie et s’installe dans l’immobilisme et l’oisiveté. Ses journées sont ponctuées par les rencontres de bridge, les visites du voisinage (personnages hauts en couleur, parfois parasites), et à l’occasion, par la préparation de repas festif.

Le tri de la pléthore d’ouvrages de la bibliothèque de l’oncle (où se côtoient Mauriac, Blondin, Matzneff, Marceau, Jules Roy…) génère chez Arthur une réflexion autour de la pérennité d’un livre, constatant l’aspect « «éphémère » de la littérature. Que garder pour sa tante ? Les écrits des féministes: Colette, Sagan, Beauvoir, Duras, s’imposaient, Redu étant la destination idéale pour les autres, mieux que le pilon.

On suit l’évolution de la santé de cette dépressive, et assiste impuissant à la déliquescence de son corps. Situation qui nécessite toute une logistique d’aides à domicile. Le narrateur ne nous épargne rien des rechutes de l’intranquille, des alertes

lors de ses hospitalisations, abordant la perte de l’autonomie et la déchéance liées à la vieillesse. La possibilité d’un « centre de revalidation » s’avère typiquement belge.

Alain Dantinne, à la plume caustique, ne manque pas de distiller une série de scènes cocasses: Arthur, victime des puces; l’incident des « chatteries » sous la table, lors d’une partie de bridge. La confection de la tête de veau, est décrite avec tant de détails, qu’on croirait suivre une séquence culinaire filmée. L’escapade dans les Hautes Alpes, chez Michel, où Arthur « trouvait son Patmos », une vraie odyssée.

Ces parenthèses apportent de la drôlerie, de la légèreté, l’humour enrobant le tragique.

Dans ce roman, Alain Dantinne focalise notre attention d’abord sur le couple, puis sur le duo tante/neveu, brossant deux portraits antinomiques, très vivants.

L’auteur excelle à affubler la tante de multiples noms: la douairière, la bourgeoise, l’hôtesse, la rombière, la bigote, selon les circonstances. Avec l’âge et la maladie, elle devient: La vieille sédentaire, la casanière, la vioque. Avec l’addiction à l’alcool, elle devient une « dipsomane ».

De même pour le neveu qui est tour à tour: chenapan, mécréant, baroudeur, une chiffe, un pantin. Malgré tous ces qualificatifs réducteurs, Arthur a engrangé une vaste connaissance littéraire. Féru de peinture, de Verlaine, Rimbaud, il nourrit un projet culturel exaltant , celui de métamorphoser l’hostellerie en «  Centre Paul Verlaine » et ainsi redynamiser les environs. Parviendra-t-il à le concrétiser ?

Pour pimenter la fin du roman, Alain Dantinne introduit un rebondissement déboussolant. Arthur tombe de Charybde en Scylla, tout comme le lecteur. Il encaisse le pot aux roses, cette trahison, tel « un uppercut ». Quand il réalise combien il a été floué, manipulé, il ne peut réprimer sa révolte, sa rage, son indignation, à l’encontre de cette complice: « Salope », « la sournoise ».

On tremble pour le héros, si dépité, quand il prend le volant avec l’idée de dire « Merde à la vie ».

Le lecteur, tout aussi abasourdi devant un tel dénouement, entre en empathie avec celui qui a fait montre de tant d’abnégation et de dévouement. N’a-t-il pas été perdu, « troué » par son excès de bonté, de gentillesse, de tendresse, de sentimentalisme?

Comment allait-il rebondir, remonter la pente? Grâce à son métier? Grâce à l’alcool, remède pour «  les âmes tristes »? Par ses voyages au bout du monde? Toujours est-il que se sentir libéré, « délivré », n’était-ce pas un immense soulagement, après « vingt ans de non-dits »?

Alain Dantinne signe un roman poignant, traversé par la littérature et la peinture et l’humour, mettant en scène un duo, dopé par «  la méthode champenoise ». Un huis clos familial dont l’épilogue si imprévisible, fait découvrir la perfidie des hommes.

Lecture d’autant plus bouleversante que cet ouvrage est dédié au regretté Alain Bertrand, à qui le no 65 de Traversées avait été consacré.

©Nadine Doyen

Alain Bertrand

Traversées n° 65

Traversées n° 65

 

Nous venons d’apprendre avec tristesse le décès d’Alain Bertrand, un des auteurs de Traversées. Alain était apprécié de tous les membres de l’équipe ; un dossier lui avait d’ailleurs été consacré dans un des précédents numéros de la revue. Il avait aussi répondu présent à une de nos soirées consacrées aux auteurs mis à l’honneur.
Toutes nos plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches.

Alain Bertrand, Jardin botanique, roman ; Escales des lettres, Le castor astral (144 pages – 13€)

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  • Alain Bertrand, Jardin botanique, roman ; Escales des lettres, Le castor astral (144 pages – 13€)

Les lieux ne sont-ils pas notre mémoire ? C’est ce qu’Alain Bertrand va nous relater en convoquant ses souvenirs marquants, pas toujours heureux, dans cet opus articulé autour de trois lieux : Bruxelles-Wallonie-Flandre, « plate comme une feuille de papier ».

En chapitre d’ouverture, Bruxelles évoque un amour défunt. Pourtant tout s’annonçait bien avec Chantal, mêmes études, gendre idéal, mais « l’amour à la Bruxelloise » lui restera une inconnue. C’est son ami Michel qui peut se targuer de connaître les blandices de Chantal ainsi que sa « cambrure de reins si magistralement africaine ».

Le tableau des copains fait penser à une scène du Petit Nicolas de Sempé et Goscinny. Le narrateur brosse les portraits de Julien (souffre douleur) que le narrateur abandonna pour Daniel, son héros, qu’il aimait « comme un frère, une idole » et avec qui il fera quelques mauvais coups.

Quelques enseignants font les frais de la plume caustique de l’auteur dont Schmiede, « une brute stupide », violent, « feignant » ou Mathilde, « d’une mélancolie de braise sur le point de tomber en cendres ». De sa scolarité, le narrateur se remémore les brimades de l’abbé Romuald, et sa difficulté à s’intégrer dans une école flamande.

Le narrateur se remémore ses nuits « entre mecs » à écumer les bars ou à « piocher dans la chaleur salée » d’un cornet de frites, « un rite pour délacer le corset de l’aube ». Il fréquentait bien les musées avec ses condisciples, mais qu’en retenaient-ils ? Si le narrateur voyait une invitation au voyage devant Gus de Smet, Patrick se reconnut dans Spilliaert et décida de son destin devant le Palais royal.

Si dans L’homme qui ne savait pas dire non de Serge Joncour, le protagoniste fouille son passé et remonte à son enfance pour éluder ce mystère, le narrateur d’Alain Bertrand, sur le divan d’un psy, tente de comprendre son refus de dire « oui ».

Autre similitude avec Serge Joncour en ce qui concerne l’existence de Dieu.

Dans une nouvelle de Situations délicates : Tu ne vas pas y croire,le narrateur dit avoir rencontré Dieu. Ici, pour cette mère soulagée de retrouver dans un buisson, désormais ardent, « son petit Jésus » qui s’était évanoui dans la nature, devient l’incarnation de Dieu.

Pour ne pas laisser son lecteur passif, l’auteur nous soumet les charades de l’oncle Curzio, ce qui nous conduit sur les circuits automobiles avec des décibels à vriller « les tympans ».

Ses souvenirs, Alain Bertrand les raconte aussi à travers les odeurs (« remugles de choux » ou « parfums inouïs d’algues »), les sons (« cri des mouettes », «Le tramway sonnaillait ») et les saveurs(« purée relevée de muscade ». Il nous fait saliver à évoquer « les gaufres en forme de cœur » et nous déroute avec les noms de plats typiquement belges (carbonades flamandes), ajoute une touche moutardée, nous rappelant qu’il n’y a pas que Dijon qui peut s’enorgueillir de ce produit du terroir. Celle de Gand se vendait à la louche. Il découvre les vertus aphrodisiaques de certains légumes. S’ajoute à ce récit une touche poétique : « Les étangs, les chenaux scintillaient aux feux du printemps ».

Alain Bertrand excelle dans le registre des comparaisons (« Les pavés de Bruxelles nous secouèrent comme des cerisiers japonais » et les associations insolites (« hostie de lumière » ou « le tourbillon gélatineux » de l’amitié de Julien.

L’auteur distille de nombreuses références aux peintres (Magritte, Gus de Smet, Ensor…) et brosse avec minutie ses descriptions d’intérieurs, tels des peintres flamands. Par exemple l’appartement des parents d’Olga : « parcouru de boiseries et de scènes de chasse » ou la vaisselle de tante Lucienne, «  décorée à la mode de Delft, des verres trapus et biseautés ». Ailleurs « des napperons brodés sur les meubles ».

Tout aussi précis les portraits de ses protagonistes. C’est une rencontre improbable qui permit au narrateur d’admirer « la plénitude sanglée » de la gorge d’Olga, au « visage clair, cerné d’une blondeur de bel été ». De Bintje, il retiendra son « sourire comestible, la chair drue ». Il la comparait à « une patate des polders ». N’est-ce pas « cette fille farineuse » qui le mit au défi de gagner le titre de « peleur de patates » ?

Quant au style, on devine que l’auteur a été nourri par « la perfection du vocabulaire et de la syntaxe » de Madame Van Hamme, à « l’œil maritime, la peau de porcelaine tendue sur une chair replète ».

Alain Bertrand, natif de Gand, « importé à Bruxelles », à qui il est reproché d’être « Traître au sol flamand, traître à la culture wallonne », livre un roman de la belgitude qui réunit Wallonie et Flandre. Il y dévoile une parcelle de l’enfance et de l’adolescence, quelques déboires sentimentaux. Cette plongée dans le passé du narrateur, riche en anecdotes, sous une plume pétrie d’ironie, d’humour est un vrai bonheur de lecture.

©Chronique de Nadine Doyen