Revue PO&SIE N° 137-138. Ed. Belin

Je signale la sortie du Numéro double 137-138 de cette revue. Trois cent trois pages serrées de poèmes et de réflexions sur le poétique, avec hommage à Zanzotto, gros dossier sur Giorgio Caproni, Florence Delay qui parle de Garcilaso de la Vega le « cygne du Tage », des réflexions de trois auteurs sur Walt Whitman. Et beaucoup d’autres choses ; des traductions de poèmes de Brodsky (Thomas Tranströmer au piano), de sonnets de Garcilaso, de Pavese par Martin Rueff.

A cela s’ajoutent une dizaine d’essais et de groupes de poèmes (Régine Foloppe Ganne, Jean-Paul Gillet, Julien Stark), et plusieurs textes philosophiques et philologiques, notamment de Sandford Budick – traduit par Claude Mouchard – sur le rapport entre Kant et Milton, et de Bernard Vouilloux sur « la littérature dans la logique des frontières ». Pour les amateurs de lecture « substantielle et nutritive » !

Xavier BORDES

Partage des eaux de Laurent Contamin

Partage des eaux Laurent Contamin – Eclats d’Encre, 72 p. 12 euros –  Laurent Contamin signe-là son troisième recueil chez Eclats d’Encre comme quoi il doit se sentir bien dans cette sympathique maison d’édition dirigée par Sandrine Fay. L’auteur a le bon goût d’augmenter ses ouvrages d’une petite postface qui permet de dégrossir le travail du pauvre chroniqueur. Ainsi l’on apprend que, si le livre est né à l’occasion d’une résidence d’auteurs et est le fruit de recherches fluviales minutieuses, ce Partage des eaux prend toutefois, et en quelque sorte, sa source dans l’Eau et les rêves de Bachelard.
Avec un tel thème on se dit que les images et métaphores seront légion pour apporter de l’eau au moulin poétique de l’auteur. Toujours est-il que, et c’est assurément voulu, on entre tout doucement dans ce livre comme sur une rive en pente douce et bien sablonneuse avec seulement deux ou trois vers dans les premières pages et qu’on s’en échappe (difficilement) de la même façon dans les dernières. A l’inverse le corps central du recueil est constitué de textes plus puissants et plus longs qui, tel un mascaret, nous entrainent dans un flux et reflux incessant.
Voila, en quelques mots,  pour la forme (originale et circonstanciée)! Quant au fond, si Laurent Contamin débute son ouvrage par un léger torrent de mots il sait par la suite aborder des thèmes plus graves qui lui font dire que parler n’est pas suffire mais lutter encore pour trouver la parole et le feu dans la chair. L’auteur n’est pas dupe qui sait que le réel ne se laisse pas aisément topographier et que l’imagination au service du bonheur n’est peut-être qu’un secret de poète pour dévoiler l’âme. Et de toutes façons l’encre du ciel un jour aura raison de nous déclame-t-il, lucide. Laurent Contamin nous assure (postface) que c’est dans une petite ville fluviale à quelques encablures au nord de Paris que ce livre a pris corps mais on constate que cette proximité ne l’a pas empêché (et nous avec) de rêver aux palmeraies, de hammam où fument les hommes trafiquants de porcelaine ou encore à attendre l’apparition des djinns et comme il questionne, c’est sans doute d’habiter le provisoire qui le fait traquer des ombres fugitives. Ophélie, ciel de traine / littoral recouvré sont les deux vers qui ferment l’ouvrage et cette évocation de la noyée de Hamlet ne pouvait tomber plus à pic.
Faire parler le très vieil Héraclite avec sa fameuse sentence : « on ne peut pas entrer une seconde fois dans le même fleuve, car c’est une autre eau qui vient à vous ; elle se dissipe et s’amasse de nouveau ; elle recherche et abandonne, elle s’approche et s’éloigne. Nous descendons et nous ne descendons pas dans ce fleuve, nous y sommes et nous n’y sommes pas » n’est peut-être pas si incongru pour illustrer la poésie qui, comme à l’écoute renouvelée d’une belle musique (sœur de la poésie), supporte de nombreuses relectures toujours différentes à chaque fois et en tout cas l’antique référence semble tout à fait dans le contexte du petit livre qui nous occupe.
On conclura en disant que ce Partage des eaux est, évidemment, un recueil à boire immodérément.

Serge Maisonnier

Recensions de Patrick JOQUEL

Poésie aux éditions du jasmin :

·        L’arbre essoufflé de vent, Paul Bergèse ; illustrations de Clotilde BERNOS.

Voici un livre consacré aux arbres. A l’arbre. En effet seuls neuf arbres sont nommés : pin, cyprès, olivier, cerisier, érable, chêne, saule, marronnier et pommier ; dans la plupart des poèmes l’auteur reste dans le générique « arbre » comme pour lui donner plus d’ampleur. De force. Ce n’est pas la première fois que Paul Bergèse écrit ainsi avec et sur les arbres. C’est un de ses thèmes favoris. Le poète est présent au monde. Il observe. Scrute. Ecoute. Il contemple ce monde et tente en quelques mots de le dire. De le partager. Ce livre apparaît alors comme une sorte de guide pour rendre le lecteur à son tour plus terrien, plus présent à son monde. Paul Bergèse invite le lecteur à se mettre en contemplation à son tour. A observer les arbres de son quotidien. Ceux du jardin, de la rue comme ceux de ses promenades… A les observer. A les écouter. Lire de la poésie c’est aussi apprendre à être davantage. Comme un apprentissage d’un savoir être.

·        Chuchotements de fruits et de fleurs, Monique RIBIS ; illustrations de Clotilde Bernos.

Le poète est un être du quotidien. Quelqu’un qui se laisse interpeller par l’instant. L’objet. La vie. Tout ce qui l’entoure. Il est particulièrement attentif. C’est comme ça. Chacun ses qualités. Chacun ses nuages. Ici, nous avons une poète qui donne la parole aux fruits de sa table, aux fleurs de son jardin. Elle les contemple. Elle les écoute. Fleurs et fruits lui chuchotent leur vie, leurs pensées intimes. Elle nous les transmet. Avec des poèmes plutôt longs. Elle s’est plongée dans d’autres vies et nous les partage. Le poète est un explorateur. Ses voyages peuvent être lointains comme ils savent se contenter du tout près. Du minuscule. De l’habituel auquel on ne fait plus attention. Question de présence au monde. Après avoir lu ce livre on ne peut plus voir la banane ou le melon comme une simple gourmandise… Magie du poème. Cadeau du poète.

Dis, c’est grand comment la vie ?, Joël SADELER ; illustrations d’Anne BUGUET.

Un livre de poèmes d’amour. A hauteur d’enfance. Et quelle hauteur ! Joël Sadeler écrit à la pointe sentimentale sans rose et sans mièvrerie aucune. Des textes courts, simples mais tellement justes ! Pourtant ce n’est pas facile de traquer les sentiments sans tomber dans le joli ni dans le convenu habituel. Il y réussit parfaitement. Avec un grand sourire dans ses yeux de grande personne attentive aux petites. De la délicatesse. De l’humour. Du bonheur. Après avoir abordé dans L’enfant partagé aux éditions de l’Idée Bleue le thème du divorce, ce poète, décédé en 2 000,  se penche sur les amours enfantines et leur vert paradis… Un livre pour tous les âges. Tous les cœurs. A lire. A laisser résonner. Vibrer.  En total respect. Dans le cadre d’une lecture suivie de cet ouvrage, on laissera une grande part au silence. Difficile de parler d’amour…

Le danseur de lumière, Jean SICCARDI ; illustrations de Joly GUTH.

Le poète est amateur de temps. Le temps qui passe, le temps passé, les temps futurs aussi parfois, l’interpellent. Il aime évoquer, se souvenir… revient sur son enfance… sur les traces… La vie, la mort… Le poète est bien souvent écorché vif par le sentiment de la perte. C’est de tout cela ici dont il est question et ceux qui sont familiers de l’œuvre de Jean Siccardi, en poésie comme en romans, retrouveront dans ce recueil ses thèmes de prédilection et sa petite musique personnelle. Donner à ressentir à de jeunes lecteurs ce sentiment de la perte peut paraître ambitieux, mais si on y réfléchit bien, il apparaît que leur donner à comprendre l’humour des poèmes dits ludiques n’est pas plus simple. Lire des poèmes, quels qu’ils soient, quels que soient leurs registres d’écriture, c’est apprendre à lire entre les mots, entre les lignes, c’est apprendre à déchiffrer les blancs du texte. C’est apprendre à lire en engageant tout son être ! Lire des poèmes, c’est autre chose qu’un simple savoir faire.

Monde flottant, Sophie Lei THUMAN ; illustrations d’Eric Battut.

Un recueil autour d’un thème : l’eau. Une thématique souvent abordée en classe et donc un livre qui va rejoindre avec légèreté la valise de livres « aquatiques ». Des poèmes d’une promeneuse au fil de l’eau, qui à la suite de Bashô guette le plongeon d’une grenouille et autres petits miracles liés à la présence, à la lumière de l’élément liquide. D’une promeneuse des rivages, plages maritimes ou lacustres… Dans ce livre ça flotte. Oui. De la pluie à la contemplation des reflets changeants, façon Mondrian. Un recueil paisible et lumineux.

Petits pains poèmes, Daniel Schmitt ; illustrations de Gilles Bourgeade.

Le poète travaille. Tous les jours il écrit. Parfois comme Daniel Schmitt il date ses poèmes. On peut ainsi le suivre à la trace. Dans son évolution. Et l’on s’aperçoit souvent que si l’écriture évolue, le poète poursuit sa ou ses lignes de réflexion, d’expérimentation. Non qu’il écrive toujours la même chose, loin de là, mais il écrit bien souvent autour des mêmes thèmes. L’écriture lui permettant de creuser, d’éclairer, d’avancer. Après tout l’Art est pour l’Artiste son aventure singulière et personnelle avant tout.

http://joquel.monsite.orange.fr

Jean-Paul Gavard-Perret

Mines de rien, Michel CAZENAVE, Éditions de l’Atlantique, Saintes, 40 p., 16 €.

Chez Cazenave l’aphorisme (car aphorisme il y a du moins en partie) devient grain et
écume contre le silence. Il est passage et permanence, le silence et le chant, le chat et la
souris. Il permet de pénétrer l’impossible estuaire du poème dont parlait Valéry. Il est
aussi la margelle de mon temps, le filet de voix de l’injonction presque silencieuse afin
que l’on descende en soi pour apprendre un peu mieux qui on est et qui est l’autre. Un
seul exemple suffit à le démontrer : « La femme fatale est un mythe, la fatalité est en
nous ». C’est nous – et non elle – qui nous laissons conduire là où la noce fond et se
réduit à une communion à l’obscur. Cazenave nous rappelle avec ironie comment nous
subissons le sortilège d’une envoûtante confusion entre notre espace habitable et notre
espace habité. Et si, à la charnière des mondes, la femme reste le flacon à peine
débouché à la portée des sens c’est que nous le voulons bien. Dans un tel livre, la
traversée des possibles effleure notre conscience. D’où l’ébullition qu’il provoque en ses
noeuds étranges. S’éprouve soudain la précarité de l’existence, et si l’on plonge dans
l’émotion par la mosaïque des fragments successifs, c’est à travers l’ironie sans cesse
réitérée. D’où cette transmutation au sens alchimique du terme. A notre ignorance,
Cazenave offre l’ivresse de sa connaissance lestée de ferments corrosifs et de strates de
nos archives intimes demeurées trop longtemps à l’abri de notre conscience. Le réel bat
soudain en fragments au rythme l’aphorisme qui traque l’essence même de la vie. Nous
y dérivons en héros burlesques voués au flottement avant la noyade terminale. Mais ce
texte diffère le verdict et nous adjoint de reprendre le fil conducteur d’une jubilation
peut-être dérisoire à l’épreuve du temps. Mais nous sommes depuis si longtemps
fissurés que nous nous demandons comment peut jaillir un tel espoir…

Chronique parue dans le n° 55  Eté – 2009

Béatrice Gaudy a lu et commenté

Les tambours du vent, Christian AMSTATT, Poèmes, Œuvres graphiques de Violette BARBOSA. Préface de Maurice COTON. Les Presses Littéraires, 48p., 10 €. Disponible chez Christian Amstatt, 51, rue Léonard de Vinci à F-21000 Dijon.

« Bien qu’invisible et sans couleur / je porte en moi la force inaltérable de la destruction / commandant à l’eau comme au feu / et pourtant / j’ensemence à tout va l’espoir du renouveau / que chaque aube réveille / et le poème initiateur des incendies de demain / qui renverront l’humanité à sa source première // Pudiquement on me nomme…. LE VENT » (p.5). Les forces primordiales inspirent aux meilleurs auteurs une poésie à leur image, à la fois forte et singulière. Qui n’a été emporté, subjugué, par les Vents de Saint-John Perse, ou n’a cru assister aux flux et reflux des océans et des mouvements tectoniques dont naquirent les continents avec Ter de Paul Mathieu, l’un des poètes contemporains les plus notables de ma connaissance ? Par la qualité, l’amplitude du souffle de sa poésie, Christian Amstatt dans Les tambours du vent s’inscrit dans cette lignée auguste. Les vents auxquels il donne littéralement voix sont, par certains égards, très différents de ceux de Saint-John Perse mais ils sont eux aussi « de très grands vents sur toutes faces de ce monde ». Christian Amstatt, dans son recueil, ne s’intéresse en effet aucunement à la brise et autres souffles qui murmurent tout bas à l’oreille, mais à cette puissance dont les rafales résonnent comme autant de coups de tambours mimés par le rythme que créent les répétitions des mots « Les tambours du vent », et celles d’images puissantes et justes tel ce « couteau des songes » qui a la violence de l’éclair. Comme nuls autres, pleines incarnations de la liberté puisqu’ils sont non seulement impossibles à maîtriser, à dominer, mais même à saisir, ces vents puissants portent jusqu’à nos tympans l’écho des lointains dont ils viennent, des lointains dans l’espace comme dans le temps : « Les tambours du vent / résonnaient sur le ciel / et lançaient à l’infini / l’écho lointain des galaxies en colère / reflétant déjà / toute l’eau à venir / d’un temps de lumière // Issue des milieux de poussière/ une étoile naissante / agglutinait autour d’elle / quelque promesse de planète » (p.8).« Les tambours du vent rediront // L’essoufflement des brumes / la légende perdue / des traces les plus intimes / des migrations anciennes / et même les poussières / au galop, des chevaux échevelés / que la levée d’un unique regard / mettait en marche sur les steppes » (p.10). Intemporel, ou plutôt omnitemporel, ce vent nous reporte en ces temps du début de l’humanité comme aussi bien en ces espaces ou aujourd’hui encore il étend son règne de destruction et de vie puisque, ainsi que toutes les forces naturelles, il est ambivalent : « Les tambours du vent / debout sur leurs échasses / criaient d’une voix caverneuse / tout l’espoir d’une grève / que la plage magnifiait / plus riche que source vive / plus belle encore que vengeance assouvie / face à l’irréelle sublimation / d’une mort annoncée / face à face / dans un regard… de CRS » ( p.31 ). L’inspiration de Christian Amstatt ne ressemble qu’à elle-même. Mais par sa qualité elle s’élève aux sommets de l’art poétique. Il est vrai que l’auteur n’en est pas à son coup d’essai puisque dans la partie inaugurale « ELEMENTS – Galaxie – Terre – Eau – Désert » de son recueil De glace et de feu il avait déjà évoqué avec une intensité particulière le cosmos. Dire plus de ses tambours du vent serait sans doute ne faire qu’un peu de verbe, un peu de bruit sur ce qui mérite de se laisser pleinement ressentir. Simplement : il s’agit d’un très grand recueil. Il est à remarquer que la couverture de l’ouvrage s’orne d’une fort belle peinture de Violette Barbosa qui a également réalisé les dessins qui s’intercalent entre les poèmes.

Chronique parue dans le N° 56 – Automne – 2009