Hommage à Paul Louis Rossi (1933-2025) par Marie-Hélène Prouteau Médiathèque Jacques Demy Nantes, 6 mars 2025.

Paul Louis Rossi @https://bibliotheque.nantes.fr/actualites/hommage-a-paul-louis-rossi/

Hommage à Paul Louis Rossi (1933-2025) par Marie-Hélène Prouteau, Médiathèque Jacques Demy, Nantes, 6 mars 2025.


Je voudrais intervenir ici en tant qu’écrivaine pour dire la part de reconnaissance qui est la mienne envers Paul Louis Rossi. Je l’ai rencontré à Nantes à la bibliothèque de la Maison de quartier du Vieux-Doulon en 1994, puis, en janvier 2008, pour l’hommage à Julien Gracq, salle Paul Fort. À ce propos, avec la disparition de Paul Louis Rossi après celles de Gracq et de Michel Chaillou, c’est un moment de l’histoire littéraire de Nantes qui s’en va. 

Bien avant ces dates, ma première rencontre fut livresque avec Nantes paru chez Champ Vallon en 1987. Dans l’émotion de découvrir ces choses mémorielles si subtiles de son enfance nantaise. La cloche du campanile de Sainte-Croix, rappelant celle de l’église de Venise visitée, jadis, avec son père. Ou encore, certains jours, l’« odeur de café ou de vanille », ces petites résurrections du corps vivant de Nantes et de son histoire portuaire, restituées dans la chair des mots. Paul Louis Rossi est ce rêveur éveillé. Sur ma page facebook où je lui rendais hommage à sa mort, Pierre Michon a ajouté ceci : « Paul Louis Rossi. Le plus délicieux des hommes, le voilà dans les étoiles. Il y était déjà ». 

Je retrouve bien là l’être-poète et l’effet qu’a produit sur moi la lecture de cet ouvrage Nantes en 1987. Combien cette prose tranchait alors, dans le formalisme du paysage littéraire marqué par Tel Quel ! Il fallait oser cette écriture du fragment en absolue liberté. Accueillant une parole de Bernanos des Grands Cimetières sous la lune à propos des trafiquants d’esclaves. Captant cette extase auditive, je le cite : « Ce carillon italien dans une Ville humide de l’Ouest / comme une couleur à nos yeux qui délivre quelque chose de vif, d’allègre, et de presque neuf ». 

Un regard sur le monde, teinté d’onirisme, c’est la manière toute personnelle de Paul Louis Rossi. Liée à une expérience sensuelle et langagière qui joue sur la magie des langues, le breton, comme Le Queffelec, nom de sa grand-mère maternelle, l’Anse de Goulven ou bien évidemment la langue italienne, pour la musique et la peinture avec Fra Angelico, Artemisia Gentileschi. Qui joue sur l’espagnol « casida ». Ou sur les noms savants de la botanique. Comme cette phrase merveilleuse : « Je voulais revoir un fossile du crétacé que l’on nomme Lytoceras ». Et qui nous parle aussi d’« usines de construction de locomotives », de « gare de triage du grand Blottereau » et d’ usines de chocolaterie. Proust a capté la beauté imaginative des « noms de Pays », Paul Louis Rossi a donné leur dignité à ces noms du paysage industriel et ouvrier.

Une telle qualité de correspondances, d’analogies m’enchante, c’est la poésie même. Pour Paul Louis Rossi, tout communique, la géologie, la peinture, la musique, l’Histoire avec ses noirceurs. Comme chez Marguerite Yourcenar qui m’inspirait mes premières études littéraires publiées dans ces années 80 – mais bien différemment. Tous deux ont nourri ma propre écriture. Mon livre, La Ville aux maisons qui penchent en porte quelque trace. On écrit parce que d’abord on a lu et aimé, dans une sorte de trame mosaïque. 

Il y a chez lui une évidence poétique de Nantes, comme Berlin en a une chez Walter Benjamin ou Naples chez Erri De Luca. Cela tient aux multiples présences humaines qui habitent sa ville, aux antipodes de celle de Gracq. Y passent les ombres d’André Breton, de Pierre de Mandiargues et une foule de figures picaresques, telle la mythique Isadora Duncan, en bateau sur le Nil, dialoguant avec l’artiste anarchiste Jules Grandjouan.

Pour finir cet exercice d’admiration, je voudrais évoquer les peintres, ses « alliés substantiels », selon la forme de René Char. Je me souviens avec ferveur de ce que Paul Louis Rossi écrit sur Lamber Doomer, sur William Turner en son voyage sur la Loire. Et des pages des Ardoises du ciel sur François Dilasser, son ami, le peintre finistérien qui peint des sortes de Kachina, ces poupées de la mythologie Hopi amérindienne.

La poésie est le creuset créatif des connexions et des méridiens. Merci à Paul Louis Rossi qui a su trouver pour nous le souffle et les mots pour ouvrir cet ample imaginaire analogique.

©Marie-Hélène Prouteau

Barnabé Laye, la voix d’un poète qui ne s’éteindra pas.

© L’écho d’Orphée

Une belle et haute voix de la poésie universelle, le Poète franco-béninois Barnabé Laye vient de tirer sa révérence, nous laissant une œuvre capitale, une parole de feu brûlant au grand soleil. L’éminent Poète et professeur Hafid Gafaïti, voyait en lui un Poète essentiel, un ascète de la liberté et de l’amour global, un Griot au sens littéral , un esprit épousant l’énergie du monde, dont la voix nous demeure comme un baume salutaire. Comme les « Trois mousquetaires » Barnabé Laye, Hafid Gafaïti et moi étions très liés, dans nos utopies nous repartions à la conquête d’un monde en délitement avec pour mirage celui de remettre l’église au milieu du village. Avec lui, nous cultivions le partage et la fraternité, l’espérance et la vérité. Il « nous invite à aller au-delà de l’indicible. L’Un avec l’Autre en parfaite Union. » Lorsqu’un Poète disparaît, ce sont les pans d’une bibliothèque qui s’effondrent, mais déjà, libre et insoumis, il se remet à l’ouvrage et fait des nuages son plus beau carnet de voyage. « Au rendez-vous des bons copains / Il n’y avait pas souvent de lapins / Quand l’un d’entre eux / Manquait à bord / C’est qu’il était mort / Oui, mais jamais au grand jamais / Son trou dans l’eau n’se refermait / Cent ans après, / Coquin de sort / Il manquait encore. »   Georges Brassens. 


Il y aurait tant de choses à dire

Le bien le mal les embûches les esquives

Tour à tour chance ou malchance destin ou hasard

Et au coin de la rue des circonstances qui nous échappent.

La route est longue et nous sommes loin du port

Nos visages arborent le passage des intempéries 

Et les cicatrices balafrées du temps qui passe.

Dans notre nuit d’errance rôdent les fantômes

Nos démons maléfiques et les rêves impénitents.

Le temps caméléon change aux multiples nuances du noir.

Sur l’eau trouble des mers traversières

Le noir revêt le jour

Le noir revêt la nuit

Le chemin ?

Où est le chemin ? 

© Barnabé Laye.


Homme né des ténèbres et des gouffres

Hommes du commencement et des cavernes 

Tu ignores les sentiers du parcours insondable

Inscrit sur les lignes de ta main et de ton front.

Tu ne sais rien des stigmates et des promesses cachées

Dans les dédales de ta peau et des plis de tes pieds

Tu ne sais rien des oiseaux d’augures et des présages

Alors pris de vertiges et d’angoisse

Tu abandonnes ton destin aux mythes et aux légendes.

© Barnabé Laye.


Parfois il me prend l’envie de chanter

De chanter haut et fort en tapant du pied et tapant des mains

Le blues le bleues dans un champ de coton du côté de Memphis

Chanter le Gospel avec Aretha Franklin dans une église de Harlem

Laisser fleurir le rire au cœur des détresses sombres

Laisser venir l’ivresse d’une mélancolie joyeuse au bord de la soif

Qu’importe mon ami

Si tu marches jusqu’en haut de la montagne

Continue de marcher.

© Barnabé Laye.


Il faudra garder mémoire d’autres temps ici et ailleurs

Pour libérer la colère enfuie dans la plaie rouge

Écrire le coup de poing à bout portant sur la gueule barbare

Finis les atermoiements les cous courbés les résignations.

Écrire l’empilement des ressentiments et des aversions

L’éclatement de la révolte et des foudres des revanches pures.

Écrire les cicatrices indélébiles sur la peau des galères

Tous les asservissements les chaines toutes les servitudes

Et même le coup de pied au ventre des cruautés cachées

Depuis si longtemps dans la honte des alcôves et des placards.

Écrire la liberté.

© Barnabé Laye.

En hommage à Guy Goffette, décédé le 28 mars 2024

La voilà donc ouverte la longue avenue
De bleu, cette route verlainienne vers les
Talus de grand soleil et les herbes menues
De tous les envers où tu marches désormais

Coincé entre ici et ailleurs – mais où ? – Guy Goffette est un poète au long cours qui marche la tempête du réel à grandes enjambées, comme un oiseau de défi dans le ressac des légendes. Amoureux des peintres et des livres, il se promène au gré des pages avec la nostalgie constante d’un retour aux illuminations du jadis. Mais il sait aussi qu’on a beau croire à l’ivresse des aventures promises, la vraie fascination commence toujours à deux doigts à peine du jardin d’enfance, à la lisière du village…

C’est par une soirée d’hiver genre Docteur Jivago que j’étais allé rendre visite à Guy Goffette. Belle entrée en matière pour retrouver un poète ! Il m’attendait occupé à classer les livres, à secouer des rayonnages de bibliothèque. La conversation s’entama par des biais étrangers à la chose littéraire, puisque d’emblée, en effet, Guy Goffette posait sa fonction créatrice sur un plan éloigné de l’image bucolique d’un artiste en retrait de la vie publique. Invité récemment à une rencontre internationale de poésie à Tel-Aviv, il subordonnait son éventuelle acceptation à la participation de poètes palestiniens ! Au-delà de cette manifestation de solidarité, l’auteur aime à mettre en exergue combien la poésie garde de force, elle qui continue à se publier dans des milieux fermés. Contestataire à sa manière, il refuse aussi les classements, les étiquettes : Exception faite de ma collaboration active à la revue « Triangle » (une revue publiée de façon artisanale par Guy Goffette lui-même et à laquelle participaient surtout des poètes lorrains et luxembourgeois), j’ai toujours été extérieur à tout groupe, à toute école.

Poète, Guy Goffette l’est depuis toujours. Essentiellement. Et derrière la facture des vers, c’est la musique, le style qui lui importent avant tout. Il a retenu la leçon du bon Verlaine auquel il a du reste consacré un essai envoûtant, Verlaine d’ardoise et de pluie. Cette volonté de s’assurer un style s’exprime – et c’est peu de le dire – dans son dernier ouvrage, un roman qui – pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître – n’est pas passé loin des grands prix littéraires français de la rentrée. Il est vrai que si, dans ce livre, l’intrigue tient une place importante (un jeune garçon est séduit par la Monette, une femme en marge de la communauté villageoise où s’inscrit l’histoire), il n’en reste pas moins que la forme a, c’est bien le moins, son mot à dire. Cela commence par le titre, Un été autour du cou, allusion claire à ces souvenirs douloureux que l’on traîne sa vie durant comme le boulet du prisonnier. Il faut entendre Guy Goffette commenter ce choix : le titre de mon manuscrit était « L’escalier du geai ». Ça me semblait un peu sibyllin, une mauvaise image poétique. Même un surréaliste n’aurait pas employé une figure aussi peu porteuse ! Plus avant, c’est la forme qui lui importe : J’aime trouver un style dans un livre ; quelque chose qui m’emporte, qui me bouleverse. Sur les dix mille livres que j’ai emportés à Paris, je m’aperçois qu’il n’y en a que quelques-uns que je relirai : Faulkner, Onetti… Pour qu’un livre dure, il faut qu’il soit traversé par une voix. Tout a déjà été dit, c’est donc dans la manière de dire que peut résider la nouveauté. La plupart des écrivains chez qui l’anecdote est forte, on ne les relit pas. Même chez Simenon, l’intrigue est importante, mais il y a d’abord chez lui une atmosphère, une voix. Il faut rappeler ce que disait Céline : Lorsqu’on trempe un bâton dans l’eau, on le voit cassé, pour le voir droit, il faut le casser d’abord. Et Paul Claudel, autre référence goffetienne, ajoutait de son côté : « J’emploie les mots de tout le monde et ce ne sont jamais les mêmes.« 

Étrange tout de même ce passage au roman que le poète méditait depuis longtemps. Cela dit, il n’est pas convaincu par la supériorité intrinsèque du genre auquel il reconnaît avant tout un intérêt « publicitaire » : le succès d’un roman se reporte sur les livres précédents, constate-t-il avec un certain fatalisme. Cela n’ôte rien aux nombreuses qualités d’Un été autour du cou dont une autre caractéristique réside dans l’allure autobiographique… Une illusion sans doute, puisque le héros, Simon, résulte d’une sorte d’amalgame : Ce n’est ni tout à fait moi ni tout à fait une autre. Il s’agit plutôt d’un mélange de plusieurs personnes réelles. La Monette, par contre, n’a jamais existé, mais j’ai le sentiment de l’avoir connue… Outre cet aspect personnel, le roman renvoie bien aux thèmes auxquels le poète lorrain avait habitué ses lecteurs au gré des recueils précédents : la frontière, le voyage, les autres poètes (évoqués au travers de nombreuses dilectures), les peintres… Je suis fasciné, s’exclame-t-il, par les collines, par les frontières – origine oblige. Il est vrai aussi que, comme il le précise, les poètes sont par « nature » des écrivains de la lisière : lisière de la langue, lisière de l’émotion.

On le constate, à lire ce qui précède, la prose ne paraît, pour Guy Goffette, qu’une sorte de paravent derrière lequel la poésie ne cesse jamais de murmurer. Le roman peut mentir, précise-t-il, mais en poésie, le mensonge paraît plus dangereux. Au contraire, on y renoue toujours avec une certaine authenticité. C’est que le tacatam délicieux des vers renvoie à celui du train de l’enfance. Il s’agit de retrouver au travers des mots toute cette atmosphère de ce qui existait quand on était enfant.

Publié chez Gallimard, Guy Goffette s’est rapproché de Paris où il vit la plupart du temps. Actuellement, il s’occupe d’une collection de poésie pour les jeunes. Dans cette fonction, il s’inscrit en faux contre la popoésie. Pour lui, il convient de proposer aux enfants la même chose qu’aux adultes en choisissant, bien sûr, des textes accessibles. C’est ainsi qu’il publie à l’usage des jeunes lecteurs des textes d’Aragon, d’Edmond Jabès ou ceux de poètes contemporains invités à choisir eux-mêmes dans leur œuvre.

En ce qui concerne ses projets, homme du voyage rêvé, Guy Goffette est toujours sur le départ. Il prépare notamment une traduction des œuvres du poète américain W. H. Auden à qui il compte en outre consacrer une monographie dans la collection « L’un et l’autre » chez Gallimard. Par ailleurs, un nouveau roman est déjà sur le métier. Gageons qu’il appartiendra lui aussi à l’armada des navires en quête des étoiles nouvelles.

EN HOMMAGE à GUY GOFFETTE, qui nous a quittés le 28 mars 2024


Je retrouve la carte que tu m’adressais de Belgique
en janvier dernier – une brouette rouge couronnée de neige
en guise de timbre – mais à bout de forces écrivais-tu
 
Tu évoquais un accident de métro qui t’empêchait
d’asseoir ton cul tu lisais debout comme un curé son bréviaire
et tu t’étais foutu par terre à Namur sur sa chaussée déchaussée
 
Plein d’espoir et de vitalité comme les fleurs entre les pierres
tu relisais Le cahier rouge de Constant pour la dixième fois
et tu souhaitais me revoir au printemps autour des Halles
 
La mort hélas ne fait pas grand cas de nos amis et du reste
je crois savoir que tu es parti en paix l’âme légère céleste
comme tu vécus passeur de mots et planteur d’émotions



Ces fleurs impérissables
poussent entre les lignes
jaillies d’on ne sait quelle graine
métaphorique
 
Sois le lecteur patient
qui jardine sur la terre
comme au ciel
 
Le poète ne meurt
si tu sais cueillir
les fleurs
qu’il sème

À Guy Goffette, in memoriam.


© Frédéric Chef, 4 avril 2024  

Adieu Michel Cosem

Né en 1939, Michel Cosem vient de nous quitter. Originaire du sud de la France, il a fait ses études supérieures à Toulouse puis travaille un temps pour l’Education nationale avant de rejoindre le milieu de l’édition à Paris. Il a écrit et publié de très nombreux ouvrages : romans, poèmes, contes et récits pour la jeunesse, anthologies, etc. En plus de l’écriture il consacre une bonne partie de son existence aux voyages, allant à la rencontre de ses lecteurs un peu partout en France et à l’étranger. Ses livres traitent de sa chère Occitanie mais aussi des pays visités, des légendaires et de l’histoire. Son propos fraie souvent avec l’imaginaire voire le fantastique. Il est titulaire d’une considérable bibliographie chez Seghers, Robert Laffont, Gallimard, Le Rocher, etc. Parmi les nombreuses distinctions reçues au cours de sa longue carrière, citons le prix Antonin Artaud en 1986.

Il est également très connu en France pour être le fondateur et l’’animateur de la revue Encres Vives, un périodique consacré à la poésie. Sans doute l’une des plus anciennes et respectables revue de poésie dans ce pays puisqu’elle a été créée en 1960 et que la dernière livraison, le N°520, date de février 2022. Belle longévité !

Jacques Lovichi, compagnon de route indéfectible, a raconté la belle aventure d’Encres Vives. « J’avais repéré, sur le panneau d’affichage du hall de la fac où j’achevais mes études, l’annonce d’un organisme et de sa revue éponyme, pompeusement appelés : Synthèse littéraire, artistique et sociale, dirigés par un certain Michel Cosem, pour le compte des étudiants de la fac des Lettres de Toulouse. »

Plus tard, Jacques Lovichi rencontre Jean-Max Tixier à Aix-en-Provence avec qui il se lie d’amitié. Impliqué dans le monde de la littérature Lovichi se souvient de Cosem, en parle avec Tixier, puis tous deux le contactent pour apprendre que « le mouvement et la revue ne s’appelaient plus, bienheureusement, Synthèse littéraire etc… mais, plus modestement et plus poétiquement Encres Vives ».

Michel Cosem raconte : « Nous tenions nos assises dans un petit village de la Haute Ariège nommé Oust. On me dit que deux Marseillais venaient d’arriver. Je me penchais à la fenêtre et vis Jean-Max Tixier et Jacques Lovichi un peu inquiets, au terme d’un long voyage en voiture. Je fus aussitôt dans la rue pour ces instants souvent si brefs et qui font pendant longtemps chaud au cœur. Jean-Max dit dans son livre : Chants de l’évidence – entretiens avec Alain Freixe son inquiétude devant les discussions théoriques, les a priori politiques, l’usage des nouvelles théories qui donnent encore à cette époque —  post 68 —  sa grande et véritable identité. Loin d’être menacé en quoi que ce soit, Jean-Max a très vite gagné la sympathie de tous grâce à la pertinence de ses prises de parole, des problèmes posés et de ses analyses. Ce fut là le début d’une longue collaboration, dans le cadre de la poésie d’Encres Vives certes, mais aussi de l’écriture et de l’édition. Nos expériences et nos visions du monde se sont complémentarisées et cela a bénéficié à Encres Vives qui, sorti des zones de turbulence, a pu se hisser à la hauteur de ses projets et les réaliser en profondeur. » (Spécial Jean-Max-Tixier, Encres Vives N°378, janvier 2010).

Jacques Lovichi, de son côté, évoque une époque épique : « Me reviennent à l’esprit les inénarrables séances du groupe Encres Vives dont, sous la houlette de cet autre vieux brigand, Michel Cosem, les activités fécondes et les théories —  parfois hasardeuses mais nécessaires —  nous marquèrent définitivement, Jean-Max et moi, dans les années de grâce 1970. Elles nous apprirent la rigueur (une rigueur que certains, aujourd’hui feraient bien d’exercer) sans pour autant négliger l’humain, et, pour cela au moins, ne seront jamais assez louées. […] Nos gloires de l’époque étaient Kristeva, Barthes, Lacan, Saussure, Jakobson, Derrida, Denis Roche et, moins paradoxalement qu’il n’y paraît, notre grand ancien Mallarmé pour son magistral coup de dés impropre à abolir le hasard. »

La revue a accueilli des poètes connus comme Yves Bonnefoy, Andrée Chedid, Édouard Glissant, Philippe Jaccottet, Jean-Pierre Siméon, Claude Vigée, etc. Mais aussi d’autres un peu moins connus —  mais connus tout de même (dont la liste serait trop longue à établir ici) —  ainsi que des pas connus du tout (comme moi). La revue fonctionnait à la manière d’un laboratoire d’écriture et accueillait les auteurs émergents. Pour chaque numéro le comité de lecture d’Encres Vives proposait une sélection éclectique de poèmes, de nouvelles, d’essais et de critiques littéraires dans une grande diversité de voix et de styles. Nous sommes très nombreux à avoir été édités chez Michel Cosem. Et contents de l’être. 

Laissons la conclusion à Claude Faber, un autre compagnon de route : «Être édité par Michel Cosem, c’était un honneur… et une joie comparable à celle d’être accueilli dans une belle maison, avec élégance, savoir-vivre et douceur ». En ce qui me concerne, l’honneur et la joie ont été éprouvés par douze fois entre septembre 2018 et janvier 2022. Avec chaque contrat de publication, Michel Cosem ne manquait pas de me glisser un mot d’encouragement, toujours simple et aimable. J’ai conservé ses « bouts de papier » (voir plus bas) comme on conserve un trésor. Je lui dois beaucoup. Il m’a permis de trouver un peu de confiance en moi-même qui doute toujours.

Pour clore ce billet, j’ajoute ci-après deux extraits d’un livre de Michel Cosem : Aile, la messagère (éditions Unicité © 2018).

Le premier, issu de l’avant-propos, a valeur d’art poétique :

Voici des poèmes écrits sur des bouts de papier ou plus souvent sur des carnets lors de mes déplacements. J’aime particulièrement l’instant où je mets en mots un lieu, un paysage, une sensation née dans l’immédiateté de la rencontre. […]  Mais c’est toujours au-delà de la rencontre, une nécessité de dialogue avec la réalité que j’aime, une volonté de cheviller, par l’écriture, les élans de l’éphémère. D’être à l’écoute d’une sorte d’éternité et de s’assurer qu’elle existe justement grâce aux mots, à l’écriture… Le lieu dans la poésie d’aujourd’hui est une notion fondatrice. Yves Bonnefoy l’avait bien souligné et beaucoup après lui. On peut dire que le lieu est devenu la poésie elle-même où se mêlent la réalité et l’imaginaire, l’humanité et la culture.

Le second évoque la Bretagne. Il s’y rendait (notamment au festival Etonnants voyageurs à Saint-Malo) et je suis — certes—  un peu chauvin mais j’estime que ce texte est beau et représentatif de l’art du poète qui savait mêler impressions de voyages et imaginaire :

On dit que les mouettes dans leur langage de brume énumèrent les merveilles de l’océan, les épaves, les marins morts, les îles fantômes. On dit que les fées comprennent ce langage et amassent ainsi les trésors sous-marins, cachés dans des palais aux murs de nacre. On dit que les mouettes annoncent aussi le vent et la tempête, les combats acharnés entre les vagues et les rochers, transformant en écume blanche le sang des tourmentes. On dit que les mouettes ont des galets à la place du cœur.

Gérard Le Goff © juillet 2023


Références :wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wikiMichel_Cosem

site de la revue : https://encresvives.wixsite.com/michelcosem