Jacques Izoard

Brûle-pourpoint

Et voici qu’un léger lilas
sort de l’ombre et me plonge
dans un air plus fluide et léger.
Mais je demeure moi-même
malgré noire nuit nocturne
et l’indéfinissable désir
et l’attente infinie.

Avec nos doigts trempés d’air
nous nageons sous l’eau,
nous déplaçons la neige
et creusons terre et vertige,
tout le corps devient léger,
puisque nous parlons à voix basse.

Juin halète, allaite et attelle
nos mots aux vaines rumeurs.
Et je te dis que tu rêves
à d’anciens tambours bleus
qui te trouaient tympans
faisant frémir ta nudité.

Paru dans le N° 53 Hiver 2008 – 2009

Extrait 4 n° 58 Printemps 2010

Nadine Doyen

A la rencontre d’Albert Strickler

Nadine DOYEN : Les mots poésie, poète ont déjà fait l’objet de multiples définitions. Pourriez-vous nous livrer les vôtres ?

Albert STRICKLER : A vrai dire, je n’ai pas de définition précise ! Si j’accepte de temps à autre d’en livrer une, il m’arrive de la nuancer très vite, voire de la contredire. De toute façon, je préfère parler de l’Etat de Poésie tel que l’évoque Georges Haldas et m’abstiens toujours de réduire la poésie à la seule écriture du poème et à l’écriture tout court ! Autrement dit, je privilégie une certaine manière d’être au monde que je traduis en écrivant, étant entendu que je me sens autant poète dans le Journal que dans le poème. La distinction poésie / prose me paraît peu importante. Seule compte à mes yeux celle qui sépare le poétique, quelle que soit donc la forme d’expression, du prosaïque ! […]

Extrait 3 n° 58 Printemps 2010

Jalel El GHARBI

Pour une syntaxe du désir

chez Bernard Noël

«Tout commence / par une fin / mince / limite / ô si fine si ténue si légère si étroite si / menue si cachée si interne si dérobée si / scellée »[1] écrit Bernard Noël. Par où entrer dans cette poésie qui situe la fin au seuil sinon par son goût immodéré pour l’inversion ? Poésie de l’envers, du revers : « j’écris mon nom sur mon corps / ma peau voudrait se retourner »[2] — souvent comme un gant —. Mais c’est d’abord une poésie qui profère la blessure et la décline en maintes expressions : crevasse, trou, déchirure, fente…  ; une poésie qui/que dit le corps éprouvé, comme chez Artaud, mais surtout une poésie qui établit un parallélisme entre le paradigme de la blessure et celui, autrement plus jouissif, du plaisir. Plaisir et déplaisir répondent aux mêmes noms. Que la poésie de Bernard Noël apparie la chose et son contraire, cela fait de l’oxymore une de ses figures macrostructurelles, une de ses sources.² La poésie naît de l’empalement, de cette figure de la démesure, de la perversion, de la cruauté du plaisir et du plaisir de la cruauté. La torture : préfixe à toute écriture. Torture ? –cheminement, incursion dans les limites de l’indicible et à la suite de Bataille, néologie pour dire aventure intérieure : « Je ne veux plus parler d’expérience intérieure (ou mystique) mais de pal » (Treize cases du Je). Torture. Il n’est pas jusqu’au désir qui ne soit supplice. Désirer signifie accepter des stigmates car le propre de cette pulsion est d’être quête de sa ruine. Le désir est une vocation au suicide : l’abîme est cela même qu’il cherche — nonobstant le renouvellement tout danaïdien à quoi il est voué.[…]


[1] « Hymen hymen hymen » La Rumeur de l’air in La Chute des temps NRF Poésie/Gallimard, p. 204. 1983.

[2] « Le Bat de la bouche »,  La Rumeur de l’air in La Chute des temps, op. cit. p. 194.

Extrait 2 n° 58 Printemps 2010

Paul MATHIEU

En lisant Françoise Lison-Leroy

Difficile en quelques lignes de défricher une œuvre aussi dense et variée que celle de Françoise Lison-Leroy : recueils de poèmes, bien sûr, mais aussi nouvelles, théâtre, ouvrages à quatre mains… Par où l’attraper ? Au risque de paraître désespérément banal, on pourrait peut-être commencer par une présentation biographique. Pour ce faire, on lira la notice des Dossiers L : Née le 6 octobre 1951. Enfance et adolescence à Wodecq (Hainaut occidental). Habite à Blandain (Tournai). Mariée, deux enfants. Professeur de français (aujourd’hui retraitée). Animatrice en ateliers d’écriture (L’écrivanderie) Critique artistique au journal Le Courrier de l’Escaut. Suivent l’adresse et le numéro de téléphone. C’est mince. Plus loin dans le même ouvrage, Colette Nys-Mazure ajoute aussi à son propos : Sauvageonne, farouche et fraternelle, ce à quoi elle s’empresse d’ajouter : La vie lui va si bien.[…]

Extrait 1 n° 58 Printemps 2010

Serge MAISONNIER

Philippe Jaccottet dans la lumière glacée d’hiver

Tout grand poète est un peu métaphysicien. Sous ce prisme Philippe Jaccottet appartiendrait sans doute aux premiers d’entre eux, ceux des origines, c’est-à-dire les Ioniens des antiques siècles des débuts de la philosophie grecque. Une espèce d’Anaximandre de la poésie contemporaine qui pioche dans la nature les éléments de sa réflexion et de son art. Je marche dans un jardin de braises fraîches dit le poète et ce monde n’est que la crête d’un invisible incendie car chez Jaccottet l’air qu’on respire est tellement fort qu’il déchire les poumons et seuls les oiseaux savent et peuvent veiller le ciel. De même les rivières, les ruisseaux sont brûlants et les sources prennent feu, ces eaux, ces feux ensembles dans la combe. […]