Une chronique de Jeanne Champel Grenier

Pierre Guérande, Rendez-nous les étés de notre âme suivi de Escales bretonnes -Ed.Panthéon 2024-Préface de Michel Ducobu – Illustration de couverture de Christiane Troch.
« Porteurs d’inachevé, en rupture avec leurs semblables, les poètes sont-ils ces êtres désignés qui tentent désespérément de traduire une langue rescapée du bannissement et que nous aurions héritée d’un inconscient originel? » (Claude Luezior- Au démêloir des heures)
Dans Rendez-nous les étés de notre âme, il s’agit bien sûr de cela puisque l’éternelle jeunesse nous échappe, mais nous la gardons en mémoire et c’est ce que Pierre Guérande va mettre en exergue dans ce recueil en décrivant de façon précise et sans longs discours ces élans d’enthousiasme vécus par tous en cette prime jeunesse qui nous semblait éternelle, ces élans vivants que nous pouvons convoquer et voir surgir à la moindre occasion :
»Quand l’âme aiguisait son lexique / aux lèvres nues des lycéennes ( Ces étés-là.)
Pourtant les années s’écoulant appellent à la réflexion :
»le zénith n’est jamais bien loin / en ces instants de pure extase » ;( L’oracle)
Mais pour un cœur de poète musicien comme celui de l’auteur, il est toujours temps d’admirer ce qui peut nous »enchanter », comme la grâce d’un ballet où :
»S’impose en vibrations ferventes / le choeur des tendres ballerines » (Vibrations)
Puis c’est le grand Stravinsky qui animera des scènes roses et bleues de Manet :
»Tout un théâtre d’Arlequin / sonde les fonds marins des transes / parcourt les reins des comédiens /dans un concert de dissonances ( Pulcinella)
Allons ensuite faire un tour auprès des beautés du Louvre qui n’ont pas pris une ride, elles ?
»Samothrace a perdu la tête, / les bras m’en tombent, dit Vénus / C’est assez dire que pour plaire / un certain manque ne nuit guère » ( Au Louvre )
Ainsi, nous voyons comment, avec un peu d’humour, il est élégant de parler du temps qui passe. N’est-ce pas plus salutaire que certaines tirades sur la vieillesse qui vous précipitent corps et âme dans la première flaque de désespoir ?
Suivront trois hommages à la Bretagne chère au cœur du poète Pierre Guérande :
–La cathédrale Saint Corentin-Quimper où »les regards éperdus dès le portail franchi font une haie d’honneur aux gisants gaéliques »
-Rivages gris des Cornouailles : »le rivage ne tient que par la grâce ultime des mouettes filant sous l’averse d’argent »
-Baie des Trépassés: »On sent dans les cordages de notre âme passer le vent des Trépassés »
-Messianique :où le poète -musicien ( organiste, entre autres instruments) se fait peintre :
»La mer affine ses efforts d’être un peu plus bleue chaque jour..sur des fonds Véronèse »
Et voici enfin le merveilleux cadeau final inattendu, présenté avec humour :
»Trois proses pour la route »
Tout d’abord, l’auteur s’émeut de »l’étrange humanité des campagnes désertes »
Arrive alors l’étude d’un portrait de Rembrandt : »La jeune fille aux boucles d’oreille’‘
Et enfin, comme en conclusion, les mots si savoureux du musicien , car comment parler musique sans la chantante langue italienne qui sert tout à la fois les joies du corps dans la danse, la transe amoureuse, et aussi celles de l’âme dans les paroles papales…
»Les mots de la musique »
Appassionato…larghetto…agitato… scherzando…et con fuoco !
Pierre GUERANDE, une plume musicienne qui enchante par sa justesse, sa profondeur, son sens de l’humour élégant, et sa capacité à vous laisser un accord parfait en mémoire.

Un grand merci encore et toujours pour cette belle fenêtre ouverte aux poètes qu’est notre belle revue TRAVERSEES ! Merci pour votre écoute attentive Amitié en poésie Jeanne C G
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