Corinne Morel Darleux, La sauvagière, roman, éditions Dalva, 139 pages, 17€, Août 2022

Une chronique de Lieven Callant

Corinne Morel Darleux, La sauvagière, roman, éditions Dalva, 139 pages, 17€, Août 2022


10 chapitres et un épilogue

C’est le premier roman de Corinne Morel Darleux après deux livres jeunesse en 2021et un essai : Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce: réflexions sur l’effondrement en 2019.

La narratrice après un grave accident de moto vit sa convalescence dans un refuge de montagne en compagnie de deux femmes: Stella et Jeanne. Les trois femmes semblent avoir trouvé la paix dans ce lieu où la nature est omniprésente. Elles vivent en autarcie, cultivent un jardin potager, disposent d’un verger généreux. Elles se partagent les tâches selon leurs possibilités, capacités et centres d’intérêt. La narratrice met à profit son passé professionnel d’aide-cuisinière pour confectionner les conserves, préparer l’hiver à partir des bienfaits du potager et de ce que peut offrir la nature sauvage environnante. Peu à peu, au fil des chapitres, on découvre les blessures qui unissent les trois femmes et on devine que ces mêmes blessures les éloignent et les séparent. Aucune n’interroge le passé de l’autre, quand Stella fait une grave crise, Jeanne et la narratrice se contentent de calmer la peine par une acceptation silencieuse. Jeanne entreprend de plus en plus souvent des visites nocturnes de la forêt. La coalition des trois femmes sur le non-dit et l’acceptation mutuelle, silencieuse est mise à mal.

Laquelle des trois est celle qui se plaît le plus à vivre en retrait de la société des humains? Laquelle est la plus farouche, la plus brutale, la plus rude, la plus sauvage? Est-ce Stella au comportement erratique, qui se met parfois en colère contre on ne sait quoi, se mutile et va jusqu’à se blesser en rasant ses cheveux? Est-ce Jeanne, énigmatique, silencieuse, aux allures souples, à la chevelure rousse, parfumée à la violette et qui se dénude pour partir en forêt? Est-ce la narratrice blessée par la vie, en convalescence? Ne sont-elles toutes les trois que les versants étonnants d’une seule et même personne?

Le livre ne nous le dit pas. Pas vraiment car réside là tout l’art de l’auteur à créer un univers multiple, beau, complexe, naturel mais dont les contours magiques deviennent un peu flous à l’instar de ces lieux de montagnes brumeux et que les contes peuplent d’êtres fabuleux. On pensera à « Kitsune » une personnage mi-renard-mi femme du folklore japonais. La narratrice l’évoque plus d’une fois à propos de Jeanne. 

Chaque paragraphe est ainsi écrit qu’il pourrait à lui seul être une histoire, celle de la montagne, de ses paysages, sources et forêts, de son climat, lumières, bruines et saveurs. C’est aussi l’histoire d’un monde rugueux par ses hivers, ses journées où le soleil décline si vite et laisse dans le ciel deux lunes. 

L’aspect le plus précieux du roman réside dans la remise en question de l’existence à tous les niveaux. Il nous faut aller de l’avant et réinventer notre manière d’adhérer au monde. La poésie parce qu’elle n’est pas qu’une attitude mais une manière de voir, de sentir, de saisir la vie est une des étapes de la transition vers un mieux vivre. Écrire, lire c’est préparer son esprit, affuter sa vision. Le monde, notre planète n’est pas une marchandise. 

le roman se lit d’une seule traite, il est bon après l’épilogue de relire la citation en exergue de Victor Hugo, tirée de Le promontoire du songe de 1863.

© Lieven Callant


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