Chronique de Marcel Detiège

Jean-Loup Seban, VINGT-QUATRE COUPS DE SONNET POUR LA DIXIEME MUSE, Erotopégnies antiques, Robert Clerebaut imprimeur,: poésie classique, octobre 2018
Jean-Loup Seban est un sonneur de sonnets, métier précaire autant que d’être carillonneur. Le public est restreint et d’autant plus averti qu’il est exigeant. La technique en est la grâce sanctifiante ; l’antique, l’impératif catégorique.
L’ouvrage est consacré à la courtisane Sapho, la poétesse des Neuf Livres, dont les mœurs ravissants ont été appelés saphiques, à l’exemple de ses vers à pieds subtils. Sa vie a fait l’objet d’une héroïde du chantre libertin, Ovide. Notre auteur en prolonge la tradition en s’inscrivant dans la lignée d’André Chénier, d’Hérédia et d’Emile Van Arenbergh, l’inoubliable ciseleur des Médailles (1921), le dernier des grands recueils de sonnets belges.
En des sonnets, certains classiques d’autres de factures diverses (estrambot, pétrarquiste, élizabethain, dorica castra, dantesque, double à miroir, double pyramidal, gigantal, etc.), le poète classique au front ceint des lauriers parisiens (Prix Victor Hugo 2017) célèbre la beauté et le génie de celle qui détourna les femmes de qualité de la tyrannie phallique, afin de jouir entre elles de leur corps et de leur esprit, et non d’être le réceptacle passif du plaisir masculin ! Fallait-il alors que la noble dame de Mytilène, au faîte de sa gloire, s’enamourât d’un joli dieu du stade et de la scène, un bellâtre à peine sorti de l’adolescence, et qu’elle souffrît les affres du rejet par l’être aimé, jusqu’à l’homicide de soi au fameux promontoire de Leucade ? Sans doute était-ce la volonté des dieux ?
« J’ai revu le bellâtre et cherché sa caresse ;
Son térébrant mépris me pénétra d’effroi.
Mourante, j’irai donc sur un noir palefroi
Au rocher de Leucade abîmer ma tendresse. »
La poésie de Jean-Loup Seban, formatée par l’antiquité, la mythologie gréco-romaine et le passé glorieux de l’Occident, s’adresse à l’élite intellectuelle et non aux chalands des kiosques de gare. Car elle requiert une certaine attention, le juste tribut du labeur considérable que l’écrivain a déployé sur son écritoire, invitant le lecteur à rouvrir les livres de ses lointaines humanités, à consulter les bons dictionnaires.
Il se peut que d’aucuns regrettent que le poète n’ait pas ajouté un glossaire en fin de volume, qui eût facilité la tâche du lecteur peu averti, tant le vocabulaire est riche, trop riche pour une tête commune. D’autres, plus savants, apprécieront et approuveront, en revanche, le désir qui est sien de ré-enrichir la langue, de ré-enchanter la rêverie en faisant occasionnellement appel au vieux langage.
La poésie doit s’apprécier sans truchement, et, en l’espèce, à l’aune des critères du genre choisi, du style que l’auteur a emprunté aux siècles révolus. Sous sa plume inspirée, l’alexandrin sonne à l’oreille et émeut le cœur comme ces grands classiques qui firent jadis nos délices vespéraux. Comme l’indique le sous-titre, il s’agit d’une collection d’érotopégnies, à savoir de poésies érotiques. Mais qu’on se rassure, l’érotisme « à la Seban » ne verse pas dans la vulgaire pornographie ; c’est un érotisme salonnier.
L’hommage au passé se retrouve encore dans le choix du titre du recueil : il est tiré d’un des chefs d’œuvres du poète symboliste belge Théodore Hannon : Les Vingt-Quatre Coup de Sonnet (Bruxelles, 1876).
Disons-le sans ambages, Jean-Loup Seban, dandy suranné, féru de beauté grecque, nous offre, après la passionnante Epopiade (2017), une œuvre d’esthète et de galant, élégante et émouvante, faite pour plaire aux fins lettrés ; une œuvre raffinée dans sa présentation – le papier, le caractère, les illustrations, la couverture marbrée – faite pour tirer l’œil des sociétaires des Bibliophiles belges dont il est l’un d’entre eux.