Toh Hsien Min, dans quel sens tombent les feuilles, choix de poèmes traduits de l’anglais par Jacques Rancourt. Edition Caractères, 2016

Une chronique de Michèle Duclos

01-Couverture_Toh-Hsien-Min-page-001Toh Hsien Min, dans quel sens tombent les feuilles, choix de poèmes traduits de l’anglais par Jacques Rancourt. Édition Caractères, 2016


 

Singapour, ville-état, plutôt que le matin calme où le soleil levant évoque un pays d’Asie dont l’activité industrielle et économique rivalise avec ses plus grands voisins. On sait moins qu’elle a une politique culturelle muséale poussée et des écrivains qui écrivent dans les quatre langues du pays et parmi eux des poètes, dont une dizaine, surtout anglophones, étaient les invités d’honneur au Marché de la poésie de Paris en Juin 2012. Outre leur présence dans le volume n°30 (2012) de La Traductière un Cahier à part de huit pages leur était consacré ainsi que des lectures et des  participations aux autres activités musicales et artistiques habituelles de cette manifestation annuelle.

L’un d’eux, Toh Hsien Min, qui, après des études à Oxford et de nombreux déplacements en Occident, « travaille dans le secteurs financier », semble conjuguer dans sa vie et sa création les deux aspects ultra-actifs, économique et culturel, de son pays. Il était à nouveau invité au Marché en juin dernier et sa poésie est reprise par les belles éditions Caractères.

Certes ses thèmes de prédilection échappent à sa profession officielle mais son traitement du matériau langagier exprime la conviction que la poésie peut trouver son inspiration et sa langue dans la prose, une prose en rien distincte de celle de la vie active. On ne trouvera ni le lyrisme ni le travail moderniste sur la langue ni l’engagement social qui caractérisent les grands moments de la poésie anglophone du siècle écoulé. C’est l’humain non la nature qui provoque la prise d’écriture, une poésie axée sur le quotidien et sur les réflexions qu’il inspire.

Les poèmes créent comme un journal relatant des événements ordinaires ou des réflexions sur le sens de la vie.

Certes l’amour, la relation amoureuse est présente comme l’indique le titre d’un premier volume, L’Enceinte de l’Amour, mais le sentiment « Crucial » semble n’être pas l’attrait pour une femme avec « des cheveux dénoués, doux comme le vent, caressant votre visage / un doigt frôlant des doigts timides » « explosion d’un sentiment tendre » mais s’avérant « comblé en un nombre de jours limité » contrairement à l’appel prolongé de «  la terre/ consumée par le soleil, dévouée et fidèle ». L’ironie préside aux relations amoureuses : « L’expression la plus pure de ton amour était ta façon de cuisiner les aubergines ».

Car cet homme d’action est aussi un bon vivant : il aime « entendre l’agréable baiser d’un bouchon » de champagne, « brut » bien sûr. Un épicurien au sens familier du terme ?  « La vie devrait être juste ici, tout de suite ». Des pommes de terre se déclinent en des sonnets stricts ; un « Gant » et la « Théorie des cordes » se conjuguent aussi en sonnets.

Bref, nous avons affaire à un homme de notre temps, très cultivé, qui a étudié les classiques à Oxford et participe activement à des mouvements artistiques y compris dans son pays, un homme qui sait qu’on ne meurt plus d’amour, à qui son père « a dit un jour /de ne jamais courir /contre le vent mais / toujours avec lui », mais qui cache aussi derrière une certaine ironie un désenchantement, un manque, conscient qu’il est derrière sa réussite matérielle que « toutes les feuilles / de tous les livres/ que vous tourniez / finissent / par vous abandonner à jamais / dans leur poussière. » – leçon taoïste ou bouddhique sur l’impermanence du monde matériel  Mais surtout un homme discrètement sensible à la beauté du monde alors que son avion survole « le serpent de la Tamise » et les comtés limitrophes / de Londres, brumeux / comme la mer ». Un témoin majeur de notre temps.

©Michèle Duclos