El bronce de los sueños, de Santiago Montobbio et Sofia Isus Revue en ligne RAL,M (Revue d’art et de littérature, musique), Le Chasseur abstrait éditeur, Mazères, 2017,

Chronique de Jean-Luc Breton

El bronce de los sueños, de Santiago Montobbio et Sofia Isus
Revue en ligne RAL,M (Revue d’art et de littérature, musique), Le Chasseur abstrait éditeur, Mazères, 2017,

(http://www.lechasseurabstrait.com/revue/IMG/pdf/santiago_montobbio-sofia_isus.pdf)

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« Cheval encorné », Pablo Picasso, 1917

La revue en ligne RAL,M vient de publier un curieux mais fort intéressant petit ouvrage de 40 pages consacré à un happening culturel qui a eu lieu en juin au Musée Picasso de Barcelone. Au cours d’une soirée autour du dessin de Picasso nommé « Cheval encorné », reproduit avant le texte, différents performers ont pu créer leurs propres commentaires, ou commentaires de commentaires, sous différentes formes : analyse orale, chorégraphie, dessins, poèmes.

L’objet culturel multiforme conçu lors de cette soirée (et dont le recueil, qui comprend des poèmes de Montobbio et des dessins de Sofia Isus, n’est qu’une partie) est tout entier sous le signe de la mise en abîme, puisque les dessinateurs ou le poète regardent une danseuse exprimer dans ses postures et dans son corps ce qu’elle ressent devant le dessin de ce cheval à la fois agonisant et triomphant, et se laissent guider par ce qu’ils voient ou entendent plus que par le dessin de Picasso lui-même.

C’est ainsi que, alors que le cheval étique du peintre est avant tout la mimesis d’une érection, l’érotisme des dessins et des poèmes de « El bronce de los sueños » est exclusivement celui d’un corps de femme progressivement libéré et révélé dans sa chair et dans ses formes, statufié par l’évocation du bronze contenue dans le titre.
Si on tente d’imaginer la situation de spectateurs assis dans une salle de musée et regardant les évolutions d’une danseuse, on se rend compte que presque tous leurs sens sont en alerte, la vue et l’ouïe, évidemment, mais aussi sans doute les odeurs, la chaleur, la moiteur, tout un ensemble de sensations qu’il devient nécessaire d’évoquer. Et le moyen que Montobbio découvre naturellement pour traduire cet ensemble de sensations diffus est un rythme haché, avec des vers très courts, comme des notations impressionnistes. L’impact sensuel de la beauté du corps en mouvement est rendu par ces notes brèves, qui créent des univers propres.
Mais Montobbio ne serait pas Montobbio s’il n’intellectualisait pas ses sensations. Il a beau clamer que « La vie, c’est le regard. L’art, c’est le regard », il ne peut se contenter d’être spectateur. Il met aussi en évidence les contradictions de la beauté, à la fois liberté et prison, désir de prédation et proie, réalité terre-à-terre du corps et élévation angélique, présent et moment d’éternité suspendue. Le recueil est donc aussi une occasion de s’étonner, s’interroger et méditer. Et si l’espagnol a le même terme (sueño) pour désigner le sommeil et les songes, et si le premier peut-être, comme en français, de plomb, on ne sait pas très bien si c’est lui ou si c’est le rêve qui est, comme le titre l’évoque, de bronze.
En tout cas, alors que, dans son recueil précédent, « La lucidez del alba desvelada », Santiago Montobbio envisageait de ne plus écrire de poèmes, ce retour en inspiration, par le biais d’un commentaire sur d’autres expressions artistiques, réjouit pleinement.

©Jean-Luc Breton

La libertad y el mar son una música, poèmes de Santiago Montobbio, musique d’Ofilio Picón Estudios Francisco Cedeño, Managua, Nicaragua

presentacion_managua_inchLa libertad y el mar son una música, poèmes de Santiago Montobbio, musique d’Ofilio Picón
Estudios Francisco Cedeño, Managua, Nicaragua


PAR JEAN-LUC BRETON

Le chanteur-compositeur nicaraguayen Ofilio Picón a fait le choix courageux de mettre en musique douze poèmes de Santiago Montobbio, dans un CD placé sous le signe de la mer, accompagné d’un très beau livret, qui, outre les textes des poèmes, propose des reproductions de tableaux miroitants et sensuels du peintre catalan Lluis Ribas, ainsi qu’un beau texte de Sancho Mas sur les liens entre l’Espagne et l’Amérique Latine, la poésie et la mer, les influences de Montobbio et celles de Picón.

Santiago Montobbio est un lecteur attentif et éclairé, qui reconnaît et cultive ses influences et ses amitiés littéraires, et ne conçoit son œuvre qu’en écho tacite et parfois inconscient avec elles, comme dans son poème « Jorge Folch (1926-1948) », où il revendique la connaissance de ce poète catalan, mort avant sa naissance (« celui qui dirait que nous ne nous sommes pas connus mentirait »). Ofilio Picón est un artiste protéen comme il en reste malheureusement peu, engagé politiquement et littérairement, qui met en musique, depuis une vingtaine d’années, des poètes nicaraguayens. Que la première excursion de Picón en dehors de la littérature de son pays soit un voyage vers la poésie de l’espagnol Santiago Montobbio est une heureuse surprise.

L’autre surprise est qu’il n’ait pas choisi de mettre en musique le Montobbio tourmenté, introspectif, lucide, « plein de [s]es fangeux abîmes de misère / en route vers le dernier abîme ». Les douze musiques du CD sont d’aimables pièces, des chants d’amour et de paysage, sans discordance ou dissonance, pleines d’un charme très latino-américain, où le rythme et les instruments traditionnels du continent créent une atmosphère propre. Il faut aussi rendre hommage à la diction d’Ofilio Picón qui permet d’entendre clairement les textes, ce qui montre à quel point il se les est appropriés.

J’en aurais rarement fait la même lecture, mais la sienne est séduisante. Le très emblématique poème « Hôpital des Innocents », qui donne son titre au premier recueil de Santiago Montobbio (« la poursuite de moi / à travers l’épuisante et très étrange partie de chasse / où je suis l’arme et aussi la proie »), est ici transformé en tango lent, ce qui n’a rien d’absurde, quand on pense que le tango est un genre musical hybride, qui rend le mélange, très typiquement argentin, mais sans doute très hispanique aussi, de dérision et de conscience du destin, celui qu’on retrouve aussi dans la fête des morts mexicaine ou les tableaux de Frida Kahlo. Lorsque la flûte ou la flûte andine (de Raúl Martínez) s’élève et plane, on ressent parfaitement le trop-plein, un peu doloriste, d’amour qui affleure parfois dans les poèmes de Montobbio (« peut-être que c’était le café / ou que c’était ses jambes, ou peut-être que je l’aimais »).

En donnant à entendre ces poèmes exigeants, Ofilio Picón rend hommage au talent de Santiago Montobbio, mais il met aussi en évidence deux idées qui plaisent sans doute beaucoup au poète. La première, c’est qu’il n’y a pas de lecture unique et immuable d’un poème ; la seconde, et c’est un paradoxe fondamental de la création, c’est que ce qui se conçoit et se construit dans la solitude et le labeur ne peut prendre forme que pour et dans la diffusion, voire l’ostension : « Heureux de savoir qu’il était en nous, / nous l’avons étendu au soleil, comme pour un jour de fête ».

©JEAN-LUC BRETON

Vanuit mijn donkere raam, de Santiago Montobbio

Chronique de Jean-Luc Breton

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Vanuit mijn donkere raam, de Santiago Montobbio, Éditions Piaam, Deventer (Pays-Bas)


Le joli livre, avec une élégante couverture bleu nuit, que proposent les Editions Piaam, contient une soixantaine de poèmes de Santiago Montobbio, en version bilingue espagnol-néerlandais. Le choix du traducteur, Klaas Wijnsma, s’est porté sur les poèmes de la première période de la production de Montobbio, c’est-à-dire des textes écrits dans les années 80 et publiés entre 1989 et 2011.

La sélection proposée est excellente. On retrouve évidemment le Montobbio métaphysicien qui est familier à ses lecteurs, celui qui sait superbement en quelques formules spontanées croquer l’absurde de notre inévitable quête de sens (Je parcours les corniches de la folie/ et moi seul suis le précipice ; il doit me rester une manière/ de me faire du mal, jusqu’à la fin et dans la nuit,/ une manière de viser au plus juste/ la ruine), l’absurde de la nécessité impérieuse d’écrire (j’écris pour croire que je fais mon salut,/ pour croire que je peux/ encore faire mon salut) et a fortiori celui de la critique ou de l’enseignement de la littérature (j’ai toujours été convaincu qu’il faut être/ complètement idiot pour penser/ qu’on étudie – ou encore plus grave qu’on enseigne – la littérature). On retrouve aussi l’extrême sensualité que l’auteur cache sous le verbe, sensualité qui peuple ses poèmes de lieux, d’objets, de sensations climatiques, de mille petits riens qui impriment leur trace sur la conscience du « je » qui écrit (Non seulement les choses ne sont pas comme elles sont ni même comme elles semblent être : les choses, en général, sont comme elles nous font mal). A ce titre, la sélection du recueil néerlandais retient les poèmes essentiels, les plus percutants et paradoxaux, de la production de Montobbio, et c’est un bonheur de les y retrouver.

Mon ignorance du néerlandais ne me permet pas de juger de la qualité de la traduction, mais souvent le rythme choisi par le traducteur, avec des mots courts et une alternance de syllabes longues et de syllabes courtes, semble particulièrement bien correspondre à la musique des vers de Montobbio. Le titre, Vanuit mijn donkere raam, est la traduction de celui de la première partie de L’anarchiste des feux de Bengale, « De ma fenêtre obscure », poème fondamental du laconisme existentiel de Montobbio :

La ville que personne ne voit, et c’est la plus grande,

est celle où travaillent, condamnés à être

toujours pareils,

tous les personne que je suis.

Klaas Wijnsma fait aussi le choix heureux de ne pas respecter la chronologie des publications de Santiago Montobbio et de rassembler les poèmes par thèmes en cinq grandes sections, dont une, Ver (loin), comprend les poèmes parodiques ou amusants de l’écrivain. La démarche de Montobbio, il est vrai, est en partie œuvre d’auto-dérision, mais lire en succession ces textes qui portent un masque parodique mais sont profonds par la bande, procure un sentiment temporaire de légèreté tout à fait attrayant.

Le recueil des éditions Piaam est un vrai plaisir de lecture, et les lecteurs néerlandophones vont pouvoir apprécier à leur tour les grands et beaux poèmes des premiers recueils de Santiago Montobbio, comme Hôpital des Innocents (j’admire au passage la concision du néerlandais simpelhuis) ou L’anarchiste des feux de Bengale.

©Jean-Luc Breton

Hasta el final camina el canto, de Santiago Montobbio. Edition Los Libros de la Frontera, Malaga, 2015.

Chronique de Jean-Luc Breton

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Hasta el final camina el canto, de Santiago Montobbio. Edition Los Libros de la Frontera, Malaga, 2015.

Le poète espagnol Santiago Montobbio poursuit dans l’élégante collection de poésie « El Bardo » l’édition des poèmes qu’il a écrits lors de l’année 2009, une année d’intense et fulgurante production littéraire, avec près de mille poèmes. Hasta el final camina el canto, contrairement aux deux recueils précédents, composés à la fin de l’hiver, est un ouvrage d’été, d’un été espagnol, écrasé de tellement de chaleur qu’on ne peut penser qu’au désert, à la solitude et à la mort, thèmes familiers aux lecteurs fidèles de Montobbio.

L’ouvrage vient avec une substantielle préface de l’auteur, et, quand on connaît le goût du poète pour l’analyse méticuleuse, on ne peut que s’en réjouir. Avec la grande lucidité que lui donne l’habitude de s’explorer lui-même, Montobbio évoque comment ce déferlement subit de poésie pendant quelques mois de 2009 a imposé un schéma à son écriture et à sa vie. Il nous fait fort bien comprendre que, lorsqu’on écrit 8 ou 10 poèmes en une seule journée et autant chaque jour qui suit, les échos lexicaux et sonores s’imposent naturellement d’un poème à l’autre, comme un flot. La métaphore de la rivière, que Santiago Montobbio utilise dans sa préface, est de toute évidence pertinente, puisqu’une rivière est, comme la mer évoquée par Valéry dans son image célèbre, précisément à la fois toujours recommencée, constamment en mouvement, mais toujours identique et en apparence immobile. Et l’écriture est bien ce même flux, qui reprend images et symboles, les mêmes mots et les mêmes agencements de mots, pour dire toujours les mêmes choses de manière à chaque fois différente. A cette métaphore de la rivière ou de la mer, Montobbio marie celle du ver qui retourne la matière littéraire comme la terre et, ce faisant, permet au sens d’être sans cesse questionné et ramené à la surface. Et les mots de Montobbio s’enrichissent dans la répétition, se chargeant de plus en plus de sens d’être employés dans différents réseaux.

En ce sens, la taille importante du recueil (250 poèmes) n’est aucunement gênante : toutes les petites touches de vie créées par Montobbio contribuent à façonner un ensemble où l’angoisse de mort, la force de la vie, celle de l’amour, celle du besoin d’écrire, se marient efficacement au quotidien, une conversation entre amants, un échange sur la littérature lors d’une hospitalisation, un repas de famille, la réplique d’une nièce ou le courrier d’une amie.

Comme le remarque Santiago Montobbio dans sa préface, Hasta el final camina el canto est en quelque sorte un journal intime de moments de vie d’un poète, révélateurs de la condition de l’homme et du créateur, et donc fascinants pour le lecteur qui se réjouit d’être lui aussi transporté par ce flot de mots et de correspondances qui habitent l’auteur.

La conscience qui s’impose à nous dans Hasta el final camina el canto est celle de l’art (Cette vie n’est rien d’autre que de l’art, écrit le poète, et ailleurs il évoque la précipitation de vivre et de dire, et de se sentir vivre dans le dire), qui nourrit chacun de ses écrits depuis toujours. Un des poèmes du recueil illustre de manière inattendue ce thème central : il s’agit également d’un poème inattendu, puisqu’il est plus long que la plupart des autres et particulièrement narratif. Il rapporte une conversation au sujet de l’Albanie, dont on vante la proximité remarquable avec la nature et la culture, l’excellence des produits de la terre qui font de ce pays pauvre et isolé une espèce d’Eden du vrai, mais aussi le seul en Europe où des rhapsodes récitent encore de village en village les poèmes d’Homère. Et ces évocations d’une Europe originelle suivent une allusion à Ismaïl Kadaré, qui a donné une histoire à l’Albanie qui n’en avait pas. En d’autres termes, la vraie Albanie n’est pas celle qu’on voit sur les cartes, mais celle que Kadaré a dessinée dans ses romans. De même, la vraie expérience de soi est celle que Santiago Montobbio essaie de circonscrire dans chacun de ses poèmes (A proprement parler, il n’y a pas de biographie. Tout se passe à l’intérieur), multipliant les définitions de l’écriture et de la poésie, toujours à la recherche de l’ineffable fragment du temps où l’informe est créé, et, devenu création, commence son cheminement inexorable vers sa mort. Montobbio, qui nous a habitués à une poésie intensément métaphysique, retrouve le paradoxe fondateur des Quatre quatuors de T.S. Eliot dans une méditation sur le cycle du commencement et de la fin : L’art est un orphelin qui dans sa fin trouve son origine.

©Jean-Luc Breton

SOLO LA DERROTA PUEDE LLEGAR A TENER FORMA DE PLAZA : une lecture du texte de la conférence de Santiago Montobbio devant le club Amics de la Unesco, Barcelone, 24 octobre 2013 ——Chronique de Jean-Luc Breton

Chronique de Jean-Luc Breton

 

Santiago Montobbio

Santiago Montobbio

  • SOLO LA DERROTA PUEDE LLEGAR A TENER FORMA DE PLAZA : une lecture du texte de la conférence de Santiago Montobbio devant le club Amics de la Unesco, Barcelone, 24 octobre 2013 (texte publié sur babab.com le 9 novembre 2013)

 

En octobre dernier, le poète Santiago Montobbio a prononcé devant le club UNESCO de Barcelone une conférence de présentation de ses derniers livres, qu’il a intitulée Sólo la derrota puede llegar à tener forma de plaza (il n’y a que l’échec qui puisse prendre la forme d’une place publique). Ce titre, savoureux et original, comme souvent chez Montobbio, situe l’acte d’écrire au cœur de l’espace urbain, sur ce qui en constitue l’allégorie la plus pertinente : la place, lieu public et ouvert aux rencontres et aux influences.

 

Déjà, en 2000, Santiago Montobbio était intervenu à la Maison de l’Europe de Paris pour développer sa vision de la culture européenne comme lieu de systèmes d’hybridations culturelles multiples. La métaphore que le poète barcelonais avait utilisée alors était celle du café, agora moderne à la fois typiquement européenne et symbolique de toutes les rencontres plus ou moins aléatoires de l’existence. La conférence s’intitulait Europa : un café nunca esta lejos (on n’est jamais bien loin d’un café). Treize ans plus tard, l’image revient sous une forme légèrement différente mais non moins significative, dans un texte long et serpentin, qui est, dans la veine habituelle de Montobbio, méditation sur la mort, la solitude et la mémoire.

 

La place publique, comme le café, est en effet un lieu paradoxal, puisqu’il est à la fois ouvert et fermé, lieu d’échanges, de rendez-vous ou de virées entre amis, comme dans les assez nombreux poèmes où Montobbio inscrit les itinérances de son moi dans le paysage urbain barcelonais, mais aussi lieu où l’on se rend tout seul et même parfois pour écrire sur un coin de table, comme protégé par la page blanche du spectacle de l’agitation du monde, et vice versa.

 

La place, c’est aussi celle qu’on occupe, professionnellement mais également au sein de tout groupe, celle que l’on défend parce qu’elle nous pose et nous définit. La place que Montobbio revendique est évidemment celle du poète. La conférence de Barcelone se termine par une longue méditation sur l’écrivain catalan Salvador Espriu, bien oublié mais ressuscité temporairement dans son pays par la grâce du centième anniversaire de sa naissance. Santiago Montobbio ironise sur cette manie moderne des anniversaires, qui permet de laisser dormir des créateurs majeurs (et leurs œuvres, qui deviennent rapidement introuvables) et de les sortir à intervalles réguliers, comme les saints des processions, pour une célébration appuyée. Dans le monde actuel de la consommation, Montobbio s’interroge sur le rôle du créateur et sur les moyens de concilier voix poétique impérieuse et marchandisation des écrivains et de leurs textes.

 

En espagnol, le mot plaza évoque aussi ce que nous nommons des arènes, la plaza de toros, lieu par excellence de la mise à mort. Montobbio n’a jamais dit si ouvertement et si nettement que dans la conférence de Barcelone que, pour lui, il n’y a pas de différence entre vivre et mourir. Citant même en français le titre de son recueil Le théologien dissident, il procède à une superbement lucide inversion de la formule chrétienne en rappelant que l’une des rares certitudes humaines est que la vie est mort éternelle. Et donc que s’interroger sur la teneur rose ou noire d’une œuvre n’a aucun sens. Puisque la place publique est le lieu de la rencontre aléatoire, il est aussi celui de la rencontre avec Dieu ou avec la mort, celle qui, in fine, donnera un sens à la vie.

 

©Jean-Luc Breton