Lecture et adaptation de « TERRE ADOLESCENTE » de Jeanne CHAMPEL GRENIER – Poésie libre

(« …) Là pourtant, au milieu des broussailles, il avait planté des légumes espacés que bordaient des lis blancs, des verveines et le comestible pavot ; avec ces richesses, il s’égalait dans son âme…aux rois ; et quand, tard dans la nuit, il rentrait au logis, il chargeait la table de mets qu’il n’avait point achetés. Il était le premier à cueillir la rose au printemps et les fruits en automne ; et, quand le triste hiver fendait encore les pierres de gel, et enchaînait de sa glace les cours d’eau, lui commençait déjà à tondre la chevelure de la souple hyacinthe, raillant l’été trop lent et les zéphirs en retard. Aussi était-il le premier à voir abonder ses abeilles fécondes et leurs essaims nombreux ; les tilleuls et lauriers-tins étaient pour lui extrêmement féconds ; et autant l’arbre fertile, sous sa nouvelle parure de fleurs, s’était couvert de fruits, autant il cueillait de fruits mûrs à l’automne.(… »)

                                                                                                                Bucoliques de Virgile, IV


       Jeanne, dans ce nouveau recueil illustré en couverture par une belle reprise inspirée des amants de Chagall, vos adolescents sont bien jeunes, à moins qu’ils ne papillonnent encore…Ils ont gardé le printemps dans leurs mains « balsamiques » et « leur duvet tout neuf ». Elle boit le thé fumant, en silence, avec « un grand fou entreprenant, plein de chardons dans les cheveux »( p 9). Elle jardine mais lui « reste autour » faisant crisser le cuir de ses bottes.

      Si le creux des mains semble ponctuer le texte poétique de douceur et de tendresse, c’est bien la Terre qui en est à son adolescence ( p 10). Pourtant, une main dans une poche retrouve « des petits mots perdus », ceux de la mater familia qui a veillé tard sur les danses et les polkas( p12). « La Terre se couche tard », les ados retrouvent la raison à l’aube, pieds nus après  « des effluves sacrées, quelque noce de Cana » agrémentée d’orangeade et de miellats ; mais ils sont de grands papillons ou de fines tourterelles ! …Et les mains fragiles « emplissent les sacs de lin fin ( dont on cousait les draps) de plantes choisies et d’aromates, et lui, malgré le froid, est à l’affût du cerf « dans sa hutte de branches  »(p 22) ; faisant tous deux corps avec la Nature. 

       L’occupation de l’une est aussi le grand souci de l’un ; et même si « chaque pas brise un miroir » ( P.14)  « chacun entend l’ici et l’ailleurs » ( P.19)

Parfois ils s’en retournent au bord d’une rive où l’herbe sèche leur a rendu leurs doigts ; la Nature et le froid mis à part, je cite Jeanne CHAMPEL GRENIER : « Ils ne sont plus que deux, Elle et Lui, bien serrés, pieds nus, et n’ont (  »n’avaient », dans le texte) d’autre faim que la liberté » ( P. 21)

  Réunis au chaud, Maria Carmen laissant ses obligations, fait une pause au son du flamenco : moments d’harmonie où les reflets des corps s’impriment derrière le rideau, puis il l’écoutera dormir « ..Car son cœur est là «  dans l’ancolie de ses yeux clos où le rêve a la teinte du laurier rose et du mimosa bleu » ( P. 24) : Fruits vertigineux de l’amour !

« À l’embarcadère, Elle retient ses cheveux, de sa main blanche… » L’hiver semble leur être favorable ; peut-être grâce au feu qui exige des mains tout un abracadabra ! Elle se fait alors babouchka et lui moujik, et c’est ce que renvoie « la forêt de glace où chaque pas brise un miroir »

    L’imbécile que je suis vient de comprendre : l’amour est une rivière, où l’homme se tient en amont, et sa compagne en aval ( ou inversement) mais leurs membres brassent les mêmes eaux : Une rivière « est un nid de hasard…qui fait bien les choses »( P 27) aussi sont-ils à l’épreuve du ‘‘fond de l’air » . Et voilà que de  »papillons’,‘ nos ados se font  »passereaux réfugiés dans les pins connus d’eux seuls ».

     C’est un nouveau battement d’ailes, pas si différent de nos bras agités. Ce peu de sommeil fonce d’un éclat violet son regard matinal de femme et le chèvrefeuille s’est emparé des cheveux de l’homme.
La guitare posée, à l’heure bleue, l’instant se partage dans un vase improvisé avec les albizzias, l’émotion des jacinthes, la force de la mélisse et de la menthe : Coeur sensible !…
Derrière le rideau monte l’écho de sa voix « à peine bleue » ; et blanc comme neige résonne son « Salut ! » ; Poètes, ils sont aussi, à portée de voix, de haut en bas de la rivière ; c’est donc là qu’Elle trouve le temps de remplir des cahiers d’écolier ( qui sont mille), tandis que doucement la musique – et cela m’importe beaucoup – transcrit « une vie entière(…) sur des portées multiples »

Bruit de l’eau, silence du gel… bruits du feu et de l’homme... « On pourrait rester là des jours entiers tendrement adossés au silence » ( P 54) et même se relever en pleine nuit pour hier ou demain « respirer  la peau des mandarines, cette douce écorce qui ouvre la passion, et « se revoir tête nue sous la neige, des flocons au bord des lèvres »

Secret de femme-rivière, de femme-neige : 

« Rester sage pour être aimée ! Des jours entiers ! »

Pierre MIRONER, ENCORE UNE COUCHE, Poésie, Ed. Menu Fretin.


Par ce titre à connotation humoristique, l’auteur coupe court à tout lyrisme d’emblée qui pourrait banaliser le sujet du recueil. En effet, lorsqu’il est question de neige, il y a danger! Il est si facile de glisser vers la description. Il suffit d’aligner les poncifs de blancheur et de pureté traditionnelles, et de glissade en glissade, la chute d’attention par défaut d’intérêt en devient inévitable. Mais ici : aucun danger de  »déjà vu » !.

En séjour de santé dans les Vosges, Pierre MIRONER, gagné par la beauté et la force du site enneigé, entame ce que l’on peut appeler un journal, puisqu’il nous annonce, dans son Avant-propos,  »avoir noté jour après jour les variations du paysage neigeux ». Tout en regrettant les effets néfastes de  »la haute technologie et le déferlement des machines », il se propose de nous extraire  »quelques mots susurrés à lui par Dame Nature, comme s’il s’agissait du message sibyllin d’un autre monde »

Un simple tableau, un croquis, pour commencer de la part d’un poète qui a un bon coup de crayon,

                                                         Soleil et neige

                                                           couple idéal

                                                          portail ancien

                                                         chien qui aboie(P.6)

et puis des signes positifs pour quelqu’un venu rétablir sa santé:

                                              La force de la neige sur les sapins

                                              la force de l’eau ruisselant sous la glace

                                              la force de l’eau courante en montagne

                                              cette vie qui ranime les linceuls blancs !(P.7)

 Il s’agira aussi de regretter, en forêt domaniale de Haute Meurthe, l’intrusion du progrès : ici, les trop nombreuses et bruyantes automobiles heurtent la sensibilité du poète qui est aussi musicien :

Ces machines me tuent l’esprit / me ravissent ma vie et ravivent / toutes les douleurs, tous les chagrins.

Pierre MIRONER qui aime l’art et qui dessine, décrit ce qu’il voit de façon précise :

L’hiver transforme les sapins en arêtes de poissons,/ pourtant, même à basse altitude, la terre entretient ses fourrures…(P.9)

Plus loin en page 11, il s’agira du bruit des eaux de la Petite Meurthe : 

 »Ce discret mais essentiel grondement

m’a toujours fait penser à des applaudissements nourris

et unanimes, dans une salle à grand spectacle…

Et le poète de soliloquer :

et pourquoi à l’odeur un feu de cheminée

m’apparaît-il soudain si bon pour la santé

tandis que la carbonisation lente de l’espèce humaine

se poursuit au hasard du passage des bolides ?

Et puis de comparer la vie magique de la neige à celle de l’homme :

Mais la neige avant de mourir

se permet des instants de mystère,

des sculptures inouïes qu’elle nous demanderait

 presque de lécher…(….)

car elle seule est capable

de transparences qui justifient l’union

du verre avec son eau ( P.19)

Nul homme n’a réussi quelle que soit son intelligence à faire coïncider le contenant et le contenu humain ; l’apparence physique et la vie intérieure, comme le fait la neige devenue glace :  »l’union du verre avec son eau »

Mais la sensation de trésor fragile est là :

Mille reflets évanescents de bijouterie

Oh combien de carats illusoires

en chaque pas broyant un paquet de biscottes( P.22)

Et plus loin, se rappelle à l’auteur une originale image de fête :

La tranche fraîche de l’arbre tronçonné

claire comme du beurre,

ou la crème des bûches de fêtes….

Retour empressé

par les sentes

de douce meringue (P.24)

L’ambiance hivernale où la neige transforme tout, réveille les dons de peintre du poète à l’oeil exercé : vous avez dit : blanche, la neige ?

La surabondance de nivosité produit des noirs

des gris et verts que je n’obtiens pas sur ma palette( P.29)

On le voit, ce recueil d’une soixantaine de pages est un voyage attentif de reconnaissance où Pierre MIRONER note ce qu’aucun œil, aucune oreille avant lui n’a noté avec autant de personnalité, de justesse, de poésie et de finesse. De nombreuses pages abritent cette grandeur de vue éloignée de toute description vieillote habituelle consacrée au paysage enneigé :

 » Les Danaïdes déversant sur nos têtes / deux mille ans de débris d’hosties… un bon mètre de noblesse sous le pied . »( P.45)

Il sera alors bien temps, d’autre part, de se désoler avec l’auteur, conscient des changements du climat, à l’heure où les neiges éternelles fondent :

On ne te regarde plus, Dame Neige

on ne tient plus compte assez de toi

qui recule, t’atrophie, te tasse, te cimente

et te dérobe jusqu’à disparaître( P.61)

Et puis une réflexion positive sur la vie et sur la nature malgré tous les dangers :

 »Mais pour ces jours « comptés », comment

ne pas m’extasier devant la prise de pouvoir

en noir et blanc du climat (P.46)

ENCORE UNE COUCHE ! Voilà que ce beau recueil, riche encore de tant de fines observations à la fois musicales, artistiques et poétiques, sans compter les craintes prémonitoires qui sont plus que des allusions quant au changement climatique, justifie amplement son titre :

Encore une couche… de poésie fine sur les sommets ! On en redemande !


Pierre MIRONER, LES LARMES DE PHAETON – Poésie – Éditions du Menu Fretin

Une chronique de Jeanne Champel Grenier

Pierre MIRONER, LES LARMES DE PHAETON – Poésie – Éditions du Menu Fretin

Il s’agit d’un recueil de poésie dont la couverture blanche présente dans les tons gris-bleu la photo d’une famille de cygnes blancs sur un lac de grande amplitude d’où se dégage un sentiment mêlé d’élégance, d’immuabilité et de solitude immédiate. 

             Le titre : « Les larmes de Phaeton » dont le seul indice explicatif de l’auteur soit  »  Phaeton fils du Soleil, pleure sur Varsovie », Varsovie dont la famille de l’auteur était originaire. Et puis cet avertissement dubitatif qui me fut donné : » ce livre est difficile » ; il s’agit non pas là d’un trait d’orgueil, certes Pierre Mironer a fait ses études en Sorbonne, a été enseignant, et tout en découvrant la complicité du piano ancien et les musiques du XVIIe, a couru le monde comme le firent nombre de poètes tels Blaise Cendrars et plus près de nous Sylvain Tesson, ou un Blaise Hofmann ; ces mots » ce livre est difficile » sont presque une excuse, comme s’il n’avait écrit que pour lui-même ce grand voyage de joies et de larmes qu’est la vie, ou pour son père disparu à qui ce recueil est dédié.

            Aussi, ne nous attendons pas à une prosodie régulière et compassée, il y a dans l’écriture de Pierre Mironer un gisement de richesses brutes et des explosions de lumière urgente ici et là indiquant la présence d’un trésor dont on ne veut déployer (comme le font souvent par orgueil les poètes) tous les filons, car il ne s’agit pas de briller, il s’agit de mesurer une vraie profondeur de douleur et de solitude. Toutefois il n’est pas question non plus de se retirer dans la prostration ou l’ascèse.

            L’auteur écrit au vrai rythme de sa vie et au rythme du monde qui n’est pas celui où se suivent naturellement les alexandrins. Ainsi se présente sa  »description » du célèbre et beau tableau de « La Dame à l’hermine » où Pierre Mironer avertit le lecteur sur le ton naturel de l’échange :

« Aligner des vers…/ ou raconter l’épopée turco-bulgare / ou les confluences balkaniques /comment le pourrais-je ?

La misère des cités d’Europe de l’est est fort grande / Inutile de traduire « La Ballade des Pendus » en polonais ( P.49) 

Il en viendra donc à regretter cette fourrure d’hermine qui orne le col des riches bourgeoises :

« Un petit animal qui disparaît sous la neige des congères

elle a su le caresser, et depuis, il ne cesse de se retrouver en hiver 

autour du cou des grosses dames de Krakow »(P.46)

            Pierre Mironer évoque le voyage de toute une vie passée à rechercher des racines vivantes, sans en trouver. Il ne lui reste que les dieux de l’Olympe et de la culture comme Phaéton, ce fils folâtre du soleil dont il s’imagine être le semblable, ce qui lui fait dire :

« J’accumule les errances et les enfantillages

C’est cela que tu me reproches » ( P.31)

           Aussi, n’espérons pas lire ici de la poésie  »classique » bien  »calculée » mais laissons-nous surprendre par exemple par un moment naturel d’admiration devant une tenture ancienne :

« ce chat qui tâte la température de la rivière / va-t-il marcher, courir sur l’eau »… se contredisent perchés / le cacaotès et un doux rapace…/ Il n’en faut pas plus pour oublier ce monde..

« La verdure la plus fraîche est sans doute celle de la cigogne, / qui prolonge de son corps oblong et de ses pattes de roseaux / le reflet des arbres »…( Musée de Cracovie)

           Ainsi, Pierre Mironer a raison, la poésie est partout, et malgré une vie difficile à circonscrire, il suffit de regarder la nature (même si elle se raréfie), parfois même une œuvre d’art :

« Venez écouter le chant inouï des Oiseaux dans les musées

Et caresser la Création, caresser les créatures… »

          Seul au monde, le poète ( à la manière de Heinrich Heine) se donne une ligne à suivre :

« Va comme la nuée répandant la brume

sur chaque chaume, et ne te laisse pas enclore

dans l’ajustement des tuiles d’un toit. » ( P.35)

          Je retiens entre mille autres beautés ce « Petit bestiaire de circonstance »

où l’auteur à l’oreille musicale nous laisse écouter 

« le cliquetis dérivé du trot de l’haridelle sur les promenades » ( P.25)

          Ce livre est une confession, une invite poétique plus en prose qu’en vers, et peut devenir un ami si l’on sait se détacher des habitudes comme le souhaite  Pierre Mironer en page 38 :

« Viens au monde un Kerouac entre les dents

peut-être au contraire de moi te sentiras-tu « en famille » ici-bas…

 consolide ton ashram littéraire, bien loin du parking terrestre »

© Jeanne Champel Grenier

Pierre MIRONER, « SORELLA », Roman poétique, Ed. du menu fretin, 2017, ISBN 978-2-9543997-13, 88 pages, 15 euros

Une chronique de Jeanne Champel Grenier

Pierre MIRONER, « SORELLA », Roman poétique, Ed. du menu fretin, 2017, ISBN 978-2-9543997-13, 88 pages, 15 euros


 « SORELLA », qui signifie « soeur » en italien, a été écrit par le poète et pianiste Pierre MIRONER, en écoutant des enregistrements de Su Ya Wang, ainsi que la musique de chambre de Gabriel Fauré. Cette œuvre est accompagnée d’élégantes peintures florales pleine page, de Dang-ngoc Tran.

 Il s’agit d’un roman de facture originale puisqu’il est rédigé en vers libres, le plus souvent groupés en quatrains non rimés, liberté assumée par le poète  ( on note cependant, ici et là, l’apparition naturelle d’alexandrins) tout en »cultivant la spontanéité, Esprit de jeunesse en fleur! selon les mots-mêmes de l’auteur, et l’on songe à Voltaire : »Cultivons notre jardin » c’est à dire notre vie en priorité, et par extension, le monde.

 Le sujet étant l’enfance du  »récitant » ( qui dit n’être pas l’auteur du conte) accompagné de Sorella, sa sœur, qui joue pleinement son rôle d’ainée. Une enfance en marge du monde légiféré qui brime l’humain dans le carcan social, une enfance protégée dans une grande maison du Lubéron, entourée de murailles, sorte de thébaïde, de grand jardin clos, où rien d’essentiel ne fait défaut :

                           Devenir grand, voilà à quoi je passais mes journées (P.11)

Les impressions relatées, détaillées, apparaissent si vraies qu’il est difficile de croire qu’elles n’aient été réellement vécues ou du moins ardemment désirées.( »j’aurais aimé une sœur plus âgée que moi / que j’aurais un jour désirée…)

Par bonheur, le  »héros » de SORELLA a la chance de vivre à côté d’une sœur post-adolescente, sûre d’elle, digne de confiance, en place d’adulte ou de tuteur rigide, une présence vive, très proche de l’enfance, un guide sans violence, comme pour aider les plantes à grandir, en douceur, à la verticale de la poésie :

                          elle m’aurait fait deviner quelque rime

                          ne répondant que sottise comme rhume

                          ou fume pour plume, ma sœur se serait fâchée

                         « La poésie est aussi utile que les oiseaux »

Et l’auteur d’ajouter :

                          mais je me moque toujours autant de ces jeux

                          de vieillards – aux figures de style je préfère

                          l’écho puissant qui bondit dans les montagnes (P.9)

Plus loin, l’auteur confirme, en relatant les paroles d’un ouvrier venu réparer la toiture

                           L’un d’eux écrit quatre vers à sa belle 

                          andalouse et me dit du haut de son perchoir 

                          que la poésie est libre et qu’elle doit le rester

 SORELLA, ce roman qui ressemble à un long poème libéré des lois  »mécaniques » artificielles de la versification, raconte au jour le jour, de façon naturelle, l’essentiel de l’homme dès la petite enfance : le besoin de sécurité, d’amour paisible, le besoin absolu de rythme naturel, de proximité avec les animaux ( le chien Icare). L’auteur décrit une enfance protégée au sein de la vraie vie, une enfance qui permet aux humains baignant dans un milieu naturel de découvrir leurs dons personnels :

                           j’apprends et je retiens sans souci tout très vite

                           nul besoin d’école ou de leçons…

Toutefois nous ne sommes pas en pays Amish, le monde extérieur n’est pas pour autant ignoré, on n’est pas non plus dans une atmosphère d’eau bénite ou de couvent ; la culture circule : on nous parle de Salomé, des filles de Loth, et de cet absurde poème 😮 bleu, u vert, i rouge...On nous cite Pascal, Jules Verne ( trop technique), on évoque la guerre, la shoa ( je cherchai le mot absurde et l’absurdité / dans le Petit Robert sans trouver de réponse)

On parvient lentement et sûrement à la conclusion suivante : l’éducation, l’instruction et la culture se forgent au rythme de la vraie vie entourée de la confiance qui doit émaner d’un adulte digne de s’occuper d’enfants:

                          je prépare un diplôme unique en son genre :

                          je serai admissible aux plus grandes écoles

                         de la vie, et serai en tout cas sûr de moi,

                         garderai confiance en pensant à Sorella…

                         elle veille à ma croissance en m’ouvrant

                         »un chemin où l’homme ne pourra me nuire ».(P.37)

Pierre MIRONER nous offre dans SORELLA un roman attachant, très original, sous forme de long poème si vivant, si précis, si délicat, qu’on le croirait en grande part vécu ; une histoire détaillée qui interpelle et marque le lecteur en le replongeant dans sa propre enfance. 

 Il nous décrit au jour le jour une sorte d’éducation idéale qui nous rappelle Rousseau, Voltaire, ou bien René Char dans  »Luberon »( C’était en pays heureux), une éducation où le respect des besoins de l’enfant, de ses goûts personnels, prime sur la connaissance générale déshumanisée issue des livres et des  »grandes écoles ». 

 Il prône une éducation proche de la nature qui procure une réelle sérénité (Nous n’avons à l’automne que le mot  »bulbe » à la bouche). Voilà pourquoi ce roman est dans l’air du temps. N’est-ce pas ce qu’un Pierre Rabhi, pâtre de  »la sobriété heureuse », nous a encouragés à faire : réconcilier l’humain et la terre ? Cela prend doublement valeur d’exemple lorsqu’on sait que le poète Pierre Mironer a consacré sa vie non pas seulement à l’écriture et à la musique, mais à l’enseignement.

                                                                                                    © Jeanne CHAMPEL GRENIER