Une chronique de Lieven Callant
Sophie Divry, Cinq mains coupées, Éditions du Seuil, Paris octobre 2020, 121 pages, 14€
Allô Place Beauveau du journaliste et documentaliste David Dufresne recense depuis novembre 2018 toutes les violences d’état commises par la police lors des manifestations des Gilets jaunes.


- La grenade lacrymogène instantanée GLI F4 responsable des mutilations dont il est question dans le livre.
- Le lanceur de balles de défense LBD40
- La grenade de désencerclement GMD
Il y a eu 992 signalements, 4 décès, 353 blessures à la tête, 30 éborgnés, 6 mains arrachées.
La France est le seul pays d’Europe à utiliser ce type d’armement sur sa population. Ces armes de guerre provoquent de sévères lésions pourtant le ministère de l’intérieur a renouvelé son stock en passant une nouvelle commande massive de ces armes.

« Cinq mains coupées » n’est pas un livre ordinaire d’abord parce qu’aucune des phrases n’a été écrites par l’auteur. Sophie Divry a recueilli les témoignages des cinq personnes qui ont eu la main arrachée lors des manifestations des gilets jaunes. Elle a repris mot pour mot, phrase après phrase ne modifiant que la ponctuation et la juxtaposition des propos. Le texte obtenu respecte ainsi aussi bien l’intégrité du témoignage que celle de la personne. On s’écarte du voyeurisme, de la dramatisation ou au contraire de la banalisation opérée par les « grands » médias. Les victimes parlent en choeur, on devine que ce qui a bouleversé leur vie aurait pu arrivé à chacun d’entre nous.
Les histoires racontées dans ce livre se ressemblent, des Français un jour décident de sortir de chez eux, de se joindre au mouvement de contestation qui dénonce les difficultés que rencontrent de plus en plus de gens à vivre correctement et dignement de leur salaire. Les fins de mois sont de plus en plus difficiles. Beaucoup aussi se sentent concernés par la situation écologique de la planète et exigent de nos gouvernants qu’ils prennent les mesures politiques nécessaires.
Un jour leur vie bascule et ne sera plus jamais la même.
Les souffrances sont multiples et diverses. Les blessures sont graves et conduisent toutes à l’amputation de la main droite . La plupart des victimes ignorait totalement ce qu’était une grenade de désencerclement, n’avait pas d’expérience violente en manifestation. Aucune n’a ramassé la grenade en vue de la relancer vers les forces de l’ordre, comme cela a été affirmé par les forces de l’ordre et le ministre de l’intérieur de l’époque. Toutes les victimes se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Aucune n’était violente ou susceptible de commettre une violence. L’usage de la force s’est abattue sur ces personnes d’une manière totalement disproportionnée.
Pourtant pour les cinq personnes qui ont perdu leur main et pour leur famille, l’incompréhension ne se transforme jamais en haine revancharde. Les questions sont nombreuses et restent sans réponse. Pourquoi une telle violence a-t-elle été utilisée contre eux? Qu’avaient-ils fait pour mériter un tel traitement aussi violent et arbitraire? La police n’est-elle pas censée protéger la population même quand elle manifeste?
« Cinq mains coupées », ce titre me fait tristement penser aux châtiments divers et multiples infligés à une population qu’on veut réprimer et asservir. La punition la plus courante du système répressif brutal et sauvage mis en place par l’administration belge au Congo était justement de couper la main à ceux qu’on réduisait à l’esclavage et qui osaient se rebeller. Ce châtiment est malheureusement encore utilisé par les dictatures et les régimes sanguinaires. On devine le message que le gouvernement veut envoyer à la population: S’opposer au régime est un crime. Que ou qui cherche-t-on à protéger? A-t-on encore l’opportunité de manifester ou de se mettre en grève sans risquer une répression brutale et sauvage de la part de ceux qui sont censés nous protéger?
Heureusement, le livre de Sophie Divry n’est pas un pamphlet et se garde soigneusement de sombrer dans la mise en garde politique. Ce qu’on entend ce sont des êtres humains, celle qui répercute ces voix est une personne sensible et sans apriori. Il est tout simplement nécessaire d’entendre ceux et celles qui sont blessés dans leur chair sans les juger, sans les condamner.
Ce livre comme bien d’autres m’interpelle sur la notion de liberté, ce qu’elle implique, ce qu’elle réclame et revendique. Naturellement, cette notion se travaille, se réfléchit. On la nourrit aussi par l’expérience, la vigilance personnelle à l’égard des autres, de tous les autres.
©Lieven Callant