Jean-Marie Corbusier, Comme une neige d’avril, La Lettre volée,Bruxelles, 2022

Une chronique de Pierre Schoven


Jean-Marie Corbusier, Comme une neige d’avril, La Lettre volée,Bruxelles, 2022


Dans ce recueil, Jean-Marie Corbusier interroge le regard, le mot et le monde, nous  invite à épouser le mystère de celui-ci voire à nous ouvrir à ce qui est hors de nous (« j’écris aussi loin que possible de moi »/André du Bouchet). Conscient du fait que  nos yeux sont souvent éteints par l’habitude et le monde de l’utile, le poète questionne  ce qui nous entoure, traque les forces dissimulées derrière les formes,  vise la richesse du vivre et par un langage nu, essaie de traduire les états d’un réel traversé par les gerbes colorées de ce qui ne cesse de naître et de disparaître ; mieux, à l’écoute de ce qui se manifeste comme de tout ce qui se réserve, il vient nous dire que c’est au moment où plus rien n’a de signification que surgit le monde. Ici, tout se fragmente, s’efface, semble suspendu dans le vide et nous fait entrevoir la clarté que préserve la nuit; ici, les blancs et les silences enracinent le langage en son versant invisible ; ici, enfin, tout vibre d’une vie nouvelle et ouvre en notre être qui se croit achevé une béance.

Pierre pour l’autre mur

                    à nouveau pierre

Tenir le souffle sans que le mot ne parle

                                telle que neige

                                retient la neige où je heurte

Air

que les mots râpent

© Pierre Schroven

Jean-Marie Corbusier, Ordonnance du réel, Châtelineau : Le Taillis Pré, 2021

Une note de lecture de Pierre Schroven

Jean-Marie Corbusier, Ordonnance du réel, Châtelineau : Le Taillis Pré, 2021


Dans cette suite de poèmes en prose, Jean-Marie Corbusier hisse haut l’air vif d’une parole qui nous invite à aller au-delà de nos abstractions et de nos idées toutes faites pour découvrir une vie qui ne va pas de soi ; mieux, prenant le contre-pied d’un monde où tout va trop vite et où on a tendance à vivre dans l’ignorance de soi et des choses, Corbusier met ici  au jour une poésie susceptible de nous permettre, non pas de fuir la réalité, mais bien de se rendre encore plus réel pour se donner une chance de saisir toutes les potentialités de l’univers et de capturer la part de nous-mêmes qui nous échappe. De même, malgré le fait qu’il soit conscient du fait de l’impossibilité du langage à approcher le monde dans sa réalité, le poète cherche le réel au-delà du réel et tente de  faire naître une vie existante en conjurant l’absurdité d’une vie qui a tout pour vivre, mais ne vit pas. Ici, chaque poème ouvre en notre être qui se croit achevé une béance, contre l’inertie du monde , pose la question du réel tout en nous faisant prendre conscience  que d’une part, rien ne va au néant  et que d’autre part,  la seule rencontre qui vaille, est la rencontre avec soi et au fond de soi, avec la vie qui contient l’univers entier.

Le chant de l’alouette se suffit. Il n’impose rien et rien ne le requiert. À  qui sait prendre, il donne, pointe extrême d’un bleu sans soleil. Pour un bref instant, il accorde l’obole du passeur : le sol réintégré. Rien n’a eu lieu. Rassénérés par ce clair moment, nous ne savons pourquoi.

                                                                                                                 © Pierre Schroven