Guy Chaty, À fleur de peau, éd. Gros textes, 2019 (100 p), dessin de couverture de Laurence Izard.

Une chronique de Basile Rouchin

Guy Chaty, À fleur de peau, éd. Gros textes, 2019 (100 p), dessin de couverture de Laurence Izard.

Guy Chaty est préoccupé par l’avenir du monde et le fait savoir en traitant de sujets graves avec sourire. Dans un style mêlant méthode, fantaisie littéraire, récit de science-fiction, jeux sur les mots et suspens policier, il réussit avec ce nouveau recueil, à nous tenir en haleine. Touché par les angoisses, les attentes, les besoins et les interrogations qui parsèment le recueil, le lecteur entre dans cet univers sensible, un monde recouvert d’une fine pellicule. Une sorte de moi-peau parcheminée et servi par une écriture qui déride. 

Comme le suggèrent le titre et les trois parties du recueil : « effleurements », « meurtrissures », « blessures », la sensibilité de l’auteur revêt une forme épidermique. Écorché vif à l’émotivité bien maîtrisée, Guy Chaty a le poil qui se hérisse devant les injustices du monde : « L’égoïsme fondamental n’a pas d’avenir ». Mais d’autres travers sont égratignés, tels que l’intolérance (« Le racisme chez les squelettes »), la perversion (« Bien dans sa peau »). 

Pour parler de cette transformation sociale sans effaroucher son lecteur, Guy Chaty utilise des voies détournées, des itinéraires bis. Le bestiaire en est un. La description de mœurs de peuplades imaginaires agissant comme des miroirs déformants, tendus à des congénères dits civilisés et apprentis sorciers, participe aussi de cette peinture. Et l’on pense aux tributs sauvages d’Henri Michaux. Autres procédés générateurs d’ironie : la comparaison et l’inversion des qualités. C’est ce cadavre qui sent la fleur, qui embaume pourrait-on dire. C’est ce monsieur qui va accoucher. Enfin, la surenchère logique et les extrapolations dans des mondes futurs permettent d’échafauder un système voué à s’effondrer de lui-même. Les appareils mis en service, soit pour s’approprier le bien commun (l’air, le soleil, la pluie) et les richesses de la terre, soit pour exténuer les forces vives des travailleurs (« Stressomètres ») illustrent cette rationalisation généralisée. La valeur argent est portée au pinacle, au prix de la vie. Inquiétantes, ces inventions créent alors un climat de vraisemblance. Et si elles nous contaient l’avenir ? 

Dans sa démonstration, l’auteur fait le tour de la question qui le préoccupe, énumère des exemples, travail sur l’acception d’un terme (« peau »), recherche expressions, arguments logiques ; accumule les preuves pour cerner le sujet et lui conférer force et véracité. L’objectivité du ton, le style parfois bureaucratique (sigles, formules toutes faites), l’utilisation du « nous », contribuent à lisser le sujet. Cette infaillible perfection laisse alors…songeur. Et la poésie dans tout cela? 

Cette métamorphose touche aussi l’individu, mû par des forces obscures, organiques (« Le monstre par morceaux », « La femme dans la voiture »). L’individu perd-t-il simultanément le contrôle de lui-même et la maîtrise de son environnement ? « Participons à cette mutation de l’homme qui prend le risque de devenir un nouvel être, pour se sauver ! ou se perdre » (cf. p 67).

Néanmoins, le discours scientifico-financier, poussé à outrance, dévitalisé, a pour effet de légitimer cette poésie et de préserver notre besoin de beauté, d’humour et de liens affectifs. 

Plus que la peur et la terreur, joie et plaisir sont aussi source de frissons. L’homme isolé, réifié de nos sociétés automatisées, programmées, semble avoir la nostalgie du contact humain et de l’expression première, vitale (« Métro moderne »). Et si la peau était le moyen de se relier les uns aux autres (caresse, rire, contacts affectueux mais aussi cruauté, morsure, griffure) plutôt que de crever de solitude dans son coin ? C’est grave dr Chaty ? Grave, triste mais drôle. En singeant Knock, on pourrait dire que « ça chatouille et gratouille » en même temps. 

Basile Rouchin

Dans le jeu la vie, nouvelles, Guy Chaty (éditinter 2015, 15€).

Chronique de Martine Morillon-Carreau

Dans le jeu la vie, nouvelles, Guy Chaty (éditinter 2015, 15€).

Il y a jeu et jeu ! Celui par exemple de l’enfant endossant, le temps de son jeu, un personnage, une personnalité autre, mais jeu que pratiquent aussi certains adultes du livre de Guy Chaty, tel ce narrateur-protagoniste de la première nouvelle, justement intitulée « Jeu ? », pour le plaisir et le temps d’une rencontre amoureuse au cinéma ! Mais, au sein même de ce ludique canular, vient se greffer un autre type de jeu, ce défaut de serrage entre les deux pièces d’un mécanisme, qui va en perturber bientôt le fonctionnement. Ici, le joueur se trouve pris, par sa partenaire, à son propre piège – à son propre… jeu – jusqu’au « Qui suis-je ? » final, interrogation tout existentielle, qui n’empêchera pas l’élégante pirouette de la chute. Ainsi, tout au long du livre, l’auteur ne se prive-t-il pas de jouer à son tour… Le poète Guy Chaty n’est-il pas  également acteur – un auteur-acteur dont le goût pour le théâtre transparaît dans quelques-unes de ces nouvelles construites comme de vraies saynètes ? Dans le jeu la vie témoigne en tout cas, au fil des vingt-deux nouvelles, du jeu de leur auteur avec la langue – celle du bois dont on fait les clichés et le prêt-à-penser – celle ne disant le plus souvent, sans nous laisser loisir d’y prêter attention, que l’enchaînement de situations convenues ou les rouages de conduites humaines, dont l’auteur s’amuse au contraire à questionner, détourner les automatismes habituels. Un ton – toujours sur le mode humoristique (ô le cocasse « Parasol fou » !) cher à un auteur passionné de Raymond Queneau – qui amène le lecteur, au-delà de son premier mouvement de plaisir amusé, à s’interroger sur les comportements sociaux courants ou les identités sexuelles (celles de Claude et Camille dans « Il ou Elle ? ») voire l’indécidable et réversible appartenance à l’espèce humaine et/ ou animale, comme dans « L’âne amoureux ». Mais l’humour pratiqué par Guy Chaty est parfois noir : « Quand l’avion explosa », l’ultime brillante nouvelle, met allègrement la narration en abyme, dans une sorte d’écriture spéculaire, qui amène à douter jusqu’au bout de qui écrit quoi, tout en mimant jusqu’au vertige le tourbillon endiablé du crash final !

 

©Martine Morillon-Carreau

Carré d’as pour des proses majuscules

Carré d’as pour des proses majuscules


 

Georges KOLEBKA :  Acidulés (L’Arbre Vengeur éd., 2014), 160 pages, 10 euros – 15 rue Berthomé 33400 Talence ou www.arbre-vengeur.fr

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Ces 80 textes indépendants les uns des autres se succèdent dans une sorte de délire maîtrisé grâce au pouvoir magique d’un style pétillant. Tout s’y presse et s’y bouscule dans une cavalcade enjouée. On peut goûter sans modération tous ces écrits qui ne sont acidulés qu’au moment où on les déguste mais, avantage sur les sucreries de même nom, on peut les re-déguster à l’infini.

Jean-Claude TARDIF : Navaja, Dauphine & accessoires (Rhubarbe éd., 2015), 120 pages, 11 euros – 10 rue des Cassoirs 89000 Auxerre ou www.editions-rhubarbe.com

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Même si ce livre ne s’accompagne pas de sous-titre, on peut affirmer sans risque d’erreur qu’il s’agit bien de 10 nouvelles où des personnages bien identifiés occupent la plus large place et croisent leurs maigres destins. Le lecteur se trouve plongé dans de singulières atmosphères et participe activement à ces rencontres parfois brutales et à ces minutieuses enquêtes.

Guy CHATY : Dans le jeu la vie (Editinter éd., 2015), 92 pages, 15 euros – BP 15 91450 Soisy-sur-Seine ou www.editinter.fr

jeuvieL’exergue de Raymond Queneau est là pour rappeler la fugacité des existences. C’est une excellente porte d’entrée pour ces 22 textes relativement courts, textes dans lesquels les dialogues occupent la plus large place. L’auteur s’y ingénie à décaler une rationalité sclérosante. Il use de jeux de langage et de pirouettes pour entraîner le lecteur dans d’improbables situations.

Jacques A. BERTRAND :  Brève histoire des choses (Julliard éd., 2015), 144 pages, 16 euros – (en librairie)

65464555_13485123De la chaise à l’ordinateur et du savon au rond-point, tout est prétexte à l’auteur pour conter une brève histoire. Le style est alerte et ne laisse aucun répit au lecteur entraîné qu’il est dans les bahines de ces histoires rocambolesques comme celles du « fond sonore » ou encore celle du « marché de l’animal de compagnie ». Le fantôme d’Alexandre Vialatte ne cesse de rôder et l’on ne sera pas surpris que ce livre ait obtenu le Prix Vialatte en 2015.

©Georges CATHALO