Florian ZELLER – La jouissance

 

  • Florian ZELLERLa jouissance.

 

Devenu incontournable dans le paysage artistique depuis 2002, après un long détour par le théâtre où il excelle – en 2007, la pièce Si tu mourais, avec Catherine Frot, a reçu le Prix du jeune théâtre de l’Académie française et, en 2011, Catherine Hiégel, interprète de La mère, a été consacrée par le Molière de la meilleure comédienne  – , Florian Zeller, écrivain de trente-trois ans, revient avec La jouissance (Prix de la rentrée à la Forêt des livres), un nouveau roman publié chez Gallimard, et une pièce, Le père, créée au Théâtre Hébertot, interprétée par Robert Hirsch et Isabelle Gélinas.

La jouissance s’ouvre dans un lit sur une scène d’amour en apparence classique. Nicolas, trentenaire, réalisateur méconnu, amoureux de Pauline, vit « le sexe comme un moment métaphysique », un rêve qui annihile les déceptions de l’individu. Soudain la couette se soulève…, une troisième tête apparaît, le film qu’il s’invente se déroule librement sous ses paupières et la fantasmagorie de Nicolas est bien protégée de toute incursion (Notons que Florian Zeller « aime l’invisibilité »)…

De prime abord, c’est l’Ode à la joie rythmée par la neuvième symphonie de Beethoven qui accompagne l’histoire intime du jeune couple dans la recherche souveraine du plaisir érotique. Un jour, observant son entourage, l’auteur fait une constatation qui l’interpelle : de nombreux amis trentenaires se sont séparés de leur conjoint juste après la naissance de leur enfant ; alors il s’interroge sur « ce fait sociologique apparemment majeur » : « parce qu’il y avait un enfant l’amour semblait être condamné alors qu’il lui avait toujours semblé que le fait d’avoir des enfants était comme une sorte de ciment qui consolidait le couple et lui permettait de dépasser les difficultés sentimentales »… Or « construire quelque chose de plus large que soi », c’est-à-dire une famille, implique la notion de renoncement, une atteinte à la liberté, l’acquisition de l’esprit de sacrifice et aussi le sens du pardon. L’auteur en déduit que ces trentenaires du 21ème siècle sembleraient avoir « désappris à faire des enfants et vivraient sous la tyrannie joyeuse de la jouissance » parce qu’ils appartiennent à la première génération qui ne s’est pas construite sur l’Histoire.

La jouissance est aussi un roman européen : dès le début du livre se dessine une ligne de narration parallèle, « une grande Histoire parallèle à la petite histoire » relative à la construction européenne à partir du couple franco-allemand, François Mitterrand et Helmut Kohl ; Florian Zeller compare les lois qui régissent les individus à celles qui régissent les pays : « de la même façon que les êtres s’unissent dans un ensemble plus large dès lors qu’ils se sentent fragiles, de la même façon, les pays se joignent les uns aux autres à cause de l’intuition de leur faiblesse pour se sentir plus forts », d’où la construction d’un couple en crise dans une Europe en crise…

Ainsi, Florian Zeller nous offre, avec humanisme, un texte captivant, très vivant, enrichissant où les références abondent (hommage à Kundera, Cioran, Michel Leiris, Sartre…), au style fluide, à l’écriture simple et belle, très agréable à lire,  et ponctué de passages humoristiques qui détendent l’atmosphère malgré la gravité du sujet. Sans être un conte moral, La jouissance pose clairement la problématique de la vie de famille dans la société du 21ème siècle et pourrait susciter chez les trentenaires une certaine remise en question qui consisterait à intégrer dans leur façon de vivre la notion d’effort et la lutte contre l’individualisme afin de relativiser « les égratignures de la vie ordinaire ».

Yvette Bierry

Florian Zeller, La jouissance, roman, Gallimard

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  • Florian Zeller, La jouissance, roman, Gallimard (160 pages- 16,90€)

Florian ausculte un couple de trentenaire, depuis les prémices de l’amour jusqu’à son extinction, qui conduit inéluctablement à une séparation.

L’originalité de ce roman réside dans sa façon de comparer la genèse du couple aux fondements de l’Europe. On subodore les intentions de l’auteur dans le sous titre: « Un roman européen ». Les deux récits s’entrecroisent à chaque grande étape.

En fil rouge, à l’instar de Cioran, qui considérait « le rétrécissement progressif des trottoirs » comme un événement majeur, une question taraude le narrateur : « Quel est l’événement le plus marquant du siècle ? ». Ce qui le conduit aussi à s’interroger et à déterminer ce qui compte le plus au sein du couple Pauline et Nicolas.

Le narrateur revisite toutes les négociations nécessaires pour aboutir à l’hymne européen de l’ode à la joie. Il revient sur l’ouverture que l’espéranto avait fomenté.

Il braque les projecteurs sur l’entente cordiale franco-allemande et ces poignées de mains historiques. Il rend hommage à Robert Schuman, considéré comme « le père de l’Europe ». Les dates majeures défilent, les images gravées dans notre mémoire affleurent: la chute du mur de Berlin et l’effondrement des tours jumelles à New York.

Tout comme il souligne les difficultés qui naissent dès que l’Europe accueille une autre nation (négociations plus complexes), il décrypte tout ce qui est venu enrayer l’harmonie du couple : les absences professionnelles, les soupçons qui s’installent après la découverte d’un texto à l’ère des portables-espions, la confiance perdue, les doutes, « le cap fatidique des 3 ans », la jalousie. S’y ajoutent les tentations de liaisons kleenex, (alimentant les fantasmes de Nicolas) incarnées par Sofia, Victoria, Ana, hédonistes se réclamant plutôt de la liaison Sartre & Beauvoir et pour qui le sel de la vie est de « jouir et faire jouir », et non pas de se sacrifier. Moyen d’occulter la vieillesse (Car « plus on avance, plus l’espérance se fait rare ») et la finitude de l’être humain, deux thématiques qui firent l’objet d’une lettre de Ionesco au pape.

Paradoxalement, il appert que l’enfant n’est pas le ciment qui aurait pu ressouder ce couple qui se délite. Les mots : concession, pardon et réconciliation sont ignorés.

Dans La jouissance, Florian Zeller met en exergue les valeurs perdues qui ont manqué à ce couple à la dérive : « des efforts, de l’abnégation, de la constance, beaucoup d’attentions ». Si Pauline avait consenti à se séparer de son chat par amour pour Nicolas, ce dernier est moins enclin à assumer le quotidien. La conception si diamétralement opposée de l’amour chez les deux partenaires (l’un jouisseur, l’autre angoissée ne pouvait que lézarder leur foyer. La mélodie du bonheur sur les airs de « a perfect day » est rompue. Un roman qui fait songer à celui de Jean-Marc Parisis : « Avant, pendant, après », un titre résumant bien l’explosion du couple.

D’autre part, Florian Zeller distille en creux le portrait d’une génération, fragilisée, « en train de devenir pauvre », obligée de s’exiler à la périphérie, dès l’arrivée d’un enfant, constat aussi souligné par Olivier Adam dans Les lisières. Le roman, débuté dans un lit, s’achève sur une vision réaliste de ces familles mono parentales, esseulées, déambulant dans un parc avec leurs bambins.

En filigrane s’esquissent le panthéon littéraire de Florian Zeller (dont Kundera: son maître tutélaire, Leiris, Roth…), son talent de dramaturge dans la maîtrise des dialogues, ainsi que ses références musicales (Beethoven) et cinématographiques (Godard, Bergman, Kubrik). Le tout brossant le portrait d’un auteur érudit.

Florian Zeller signe le roman d’une vie qui se désaccorde, hanté par une pointe de nostalgie, au ton subtilement désenchanté, porté vers l’introspection dans lequel il explore l’intrication du désir et de la culpabilité. Il remonte au grain de sable qui vient ébranler la pérennité du couple et capte le basculement de l’admiration au mépris.

En parallèle, le romancier élargit sa focale avec la construction, pas à pas, de l’Europe, nécessitant maints compromis. Sujet d’autant plus actuel en période de crise.

Un récit des évidences : celle de ne plus aimer et d’aimer ailleurs.

A noter, une autre actualité : Le père , pièce de Florian Zeller qui se joue au théâtre Hébertot, Paris 17ème.

◊Nadine DOYEN