Une chronique de Jean-Luc Breton
Santiago Montobbio, Los poemas están abiertos, Editions Los Libros de la Frontera, 2023, 677 pages, 38€.
« Los poemas están abiertos » est le troisième volume que Santiago Montobbio consacre à sa vie confinée pendant la pandémie de coronavirus. Les deux premiers volumes, « De infinito amor », nous montraient comment cette situation nouvelle agissait sur les humains, d’abord en les recentrant sur leurs sens et leur quotidien (volume 1), puis en les projetant dans une recherche de l’essentiel, c’est-à-dire la découverte de soi par le médium de la culture (volume 2). Avec « Los poemas están abiertos », le poète procède à une synthèse des deux, engoncé dans un quotidien limité à quelques éléments (les arbres, les oiseaux, la nuit, la lune et, selon les époques, la mer ou les bancs des avenues de Barcelone, redevenues fréquentables) mais aussi ouvert à des lectures, des films, des musiques, qui alimentent sa réflexion sur lui-même et le monde.
Le recueil représente la production poétique d’une année, de juillet 2020 à juillet 2021, une année particulièrement pluvieuse et à plusieurs égards déprimante, souvent grise et souvent morne. Les lecteurs de Montobbio savent bien qu’une foi créative l’habite à tout moment et que cette foi est un manifeste pour ce qu’il nomme l’art ou, surtout ici, la poésie. Santiago Montobbio écrit « Poème de poème et ensuite poème. Et ainsi / Vivre », parce que la vie et la poésie se confondent et se nourrissent mutuellement. Comme le temps est défini comme ce qui se passe « entre pluie et pluie ».
Après dix huit mois d’enfermement ou de liberté limitée, plus rien de nouveau n’est dicible. Les poèmes de ce recueil sont majoritairement très courts, dépourvus de syntaxe, quelques notations récurrentes sur l’environnement visuel, au jour le jour. Certains sont à peine l’itération de la même formule (« Le soleil du soir. Le soleil du soir » ou « La musique de la nuit. La musique de la nuit ») et ce trope obsédant tient à la fois du plaisir de la reconnaissance et de l’angoisse du passage du temps, comme le poète le dit des Quatre Saisons de Vivaldi, « une musique connue, toujours nouvelle, toujours une surprise ». Et seul les gens pressés ou inattentifs peuvent croire que la lune ou la mer ou la pluie ou les mouettes sont toujours recommencées. Vivre libre ou vivre confiné, c’est au fond la même chose, puisqu’il s’agit dans les deux cas de trouver bonheur et fascination dans la répétition d’impressions vécues.
Vivaldi mais aussi Mompou, dont la Suite Compostelana accompagne une autre nuit. Les deux Catalans, Mompou et Montobbio, ont en commun d’évoquer des sensations simples, comme la lumière derrière une fenêtre ou la pluie qui tombe. Ils ne sont pas les seuls, évidemment, mais ils ont tous les deux la faculté moins commune de faire de l’expérience immédiate une expérience spirituelle. Ce sont des pèlerins de Saint Jacques que la pluie baigne dans la Suite Compostelana, et, dans l’attention de Santiago Montobbio aux petits faits du quotidien, il y a quelque chose de Dersou Ouzala et de François d’Assise, deux figures qu’il évoque. On se souvient peut-être que le grand saint et le trappeur gold ont la même vénération, qu’on peut trouver naïve, pour « les êtres et les choses dans leur humilité », c’est-à-dire « la joie et la clarté de l’âme ». Et cette recherche du bonheur et de la lucidité à travers les petites choses du quotidien est sans doute la quête du poète dans cette année entière. Une quête de silence et de plénitude, qui ont de toute évidence partie liée.





